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CRITIQUE


aujourd’hui plus exactement critique de provenance. I a iconde consiste à vérifier la conservation du texte, son intégrité, de façon à le rétablir, autant que possible, dans son état primitif, tel qu’il est sorti des mains de son autour. C’est la critique plus justement dite textuelle. Elle se t’ait par la comparaison des manuscrits, des versions anciennes, s’il y en a, et elle consiste à rejeter les fautes de transcription, à choisir parmi les variantes la leçon originale et parfois à constater que le texte est altéré, sans avoir le moyen certain de le corriger, sinon par conjecture. La critique textuelle, fondée sur les documents, est dite scientifique ; faite par conjecture, on la nomme conjecturale. On ne doit recourir à la conjecture que quand on n’a à sa disposition aucun moyen scientifique de restituer un texte évidemment altéré ; on est alors en droit de proposer modestement une emendatio ou correction. Quelques conjectures, faites par de véritables critiques, ont été parfois vérifiées, après la découverte de nouveaux documents. Mais certains critiques abusent de la conjecture et proposent des reconstitutions fort.discutables des textes qu’ils étudient ou qu’ils éditent. Cf. Langlois et Seignobos, Introduction aux études historiques, 2° édit., Paris, 1899, p. 59-60. — 2. La critique de provenance est dite externe, si l’authenticité est prouvée par des témoignages extrinsèques, attestant expressément l’attribution à l’auteur ou par citations et emprunts l’existence du livre à telle époque où il était déjà connu et employé. Elle est dite interne, lorsqu’elle s’appuie sur le contenu du livre pour confirmer son attribution à l’auteur ou à l’époque auxquels on le rapporte, ou bien pour prouver qu’il ne peut être de cet auteur ou de cette époque. Voir Authenticité, t. i, col. 2590-2591. On oppose quelquefois ces deux sortes de critique ; c’est à tort. Toutes les fois qu’elles coïncident, elles doivent s’unir et se soutenir. Les preuves externes ne sont valables qu’autant qu’elles sont confirmées par les preuves internes, et celles-ci ne peuvent contredire les témoignages que lorsqu’elles montrent évidemment la fausseté d’une attribution et l’inautlienticité d’un ouvrage pour l’époque à laquelle on le rapporte. Ne tenir compte que d’elles seules et négliger départi pris les preuves extrinsèques ou de témoignage, c’est une méthode que Léon XIII a blâmée dans son encyclique Providenlissimus Deus du 18 novembre 1893 sous le nom de critique sublimior.

— 3. On distingue parfois la critique de provenance en critique négative et en critique positive, selon les résultats auxquels elle aboutit. Mais ce sont plutôt deux fonctions différentes que deux espèces de critique. Celle-ci est négative, quand elle déclare non authentique un document jusqu’alors attribué faussement à un auteur ou à une époque déterminée ; elle est positive, lorsqu’elle démontre l’authenticité du livre qu’elle a examiné. Si les arguments sont démonstratifs dans un sens ou dans l’autre, les résultats sont acquis et inattaquables. Mais parce que certains critiques ont trop facilement, et pour des raisons insuffisantes ou purement subjectives, déclaré l’inautlienticité de plusieurs écrits. le nom de critique négative a pris un sens péjoratif et sonne mal aux oreilles du public, parce qu’elle suppose des conclusions hâtives ou mal fondées. De soi pourtant, la critique n’est pas nécessairement négative et destructive, et si elle dissipe une erreur, elle n’est pas moins réelle et positive que si elle établit ou confirme une vérité. — i. On parle parfois aussi de critique indépendante, autonome. Si on veut parler de cette autonomie qui fait que la critique historique a, comme art, ses règles propres et sa méthode spéciale, il va de soi que la critique doit être indépendante de tout préjugé, et il est inutile d’affirmer son indépendance. Mais en employant ce nom, on parle ordinairement de l’indépendance de la critique à L’égard du dogme catholique et de la révélation divine. Or, cette prétendue autono mie, qui n’est que la négation apriori du miracle et du surnaturel, n’est pas de l’essence de la critique. Selon l’expression de Pie X, cette négation du surnaturel n’est qu’un postulat d’une fausse critique historique. La critique, ajoute le pape, n’est pas de soi responsable de » abus qu’on en fait ; elle n’est pas une démolisseuse et elle reste un moyen légitime d’heureuses investigations. Encyclique Jucundasane pour le 13" centenaire de saint Grégoire le Grand, du 12 mars 1904, dans le Canonitle contemporain, 1904, t. XXVII, p. 288. Toutefois les rationalistes, quelques protestants et les catholiques dits modernistes ont vicié l’emploi de la critique historique par l’introduction d’idées philosophiques, qui, selon l’énergique expression de Pie X, dans l’encyclique Pascendi du 8 septembre 1907, n’aboutit qu’à la défiguration de l’histoire. Leur méthode, toute subjective, n’est pas admissible, et le pape l’a justement condamnée. — 5. A la critique de provenance, ou authenticité, à la critique de restitution ou critique textuelle, on ajoute la critique d’interprétation du document, démontré authentique et rétabli dans son texte primitif. Mais cette critique rentre plutôt dans une autre discipline qu’on appelle herméneutique. Comme nous ne faisons pas ici un traité de critique historique, nous nous bornons à la signaler et nous renvoyons le lecteur aux manuels de critique. Voir Ch. de Srnedt, Principes de la critique historique, c. vii, viii, Liège, Paris, 1883, p. 99-136. Notons enfin qu’on appelle parfois critique interne cette critique qui consiste à comprendre le sens du document, à contrôler son affirmation, à juger de sa vérité et à en apprécier la portée. D’autres la nomment critique réelle.

L’hypercri tique.

C’est l’excès de la critique ; « c’est l’application des procédés de la critique à des

cas qui n’en sont pas justiciables. L’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse. Certaines gens flairent des rébus partout, même là où il n’y en a pas. Ils subtilisent sur des textes clairs au point de les rendre douteux, sous prétexte de les purger d’altérations imaginaires. Ils distinguent des cas de truquage dans les documents authentiques. État d’esprit singulier ! A force de se méfier de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner. Il est à remarquer que plus la critique des textes et des sources réalise de progrès positifs, plus le péril d’hypercritique augmente. En effet, lorsque la critique de toutes les sources historiques aura été correctement opérée (pour certaines périodes de l’histoire ancienne, c’est une éventualité prochaine), le bon sens commandera de s’arrêter. Mais on ne s’y résignera pas : on raffinera, comme on raffine déjà sur les textes les mieux établis, et ceux qui raffineront tomberont fatalement dans l’hypercritique. » Langlois et Seignobos, op. cit., p. 107. L’hypercritique démolit le travail de la critique ; elle nuit aussi au bon renom de la critique avec qui on la confond à tort.

II. De la. critique biblique en particulier. — 1 » Son utilité et sa nécessité. — Appliquer la méthode critique à la Bible, n’est-ce pas une impiété ? Quelquesuns seraient peut-être portés à le penser età le dire. La considération de sa nature et de son objet propre suffit à écarter ce soupçon. La critique n’est pas par elle-même opposée à la révélation. C’est, répétons-le, une méthode d’investigation, un instrument de travail, qui s’applique à toute production littéraire. D’ailleurs, elle n’étudie pas la Bible comme livre divin. On ne s’en sert pas pour vérifier le fait de l’inspiration des Livres saints, qui, attesté par la révélation et par l’Eglise interprète de la révélation, échappe aux prises de la critique, aussi bien que la canonicité, nonobstant la prétention des protestants. Voir Canon des Livres saints, t. ii, col. 1555-1569. Elle n’est pas chargée non plus de fixer l’objet propre de la révélation divine con-