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CREDIBILITE


l’on ju^e de la foi comme d’un acte moral ordinaire, car ici la virile’1 qu’il s’agit de connaître, dit-il, dépasse le pouvoir rationnel, et ideo necesse est ut per alual a ralione credatur laudabiliter. Ibid. Cependant à la fin de ce membrum, il complète la doctrine de Hugues de Saint-Victor, cf. P. L., t. clxxvi, col. 332-333, qu’il vient de reproduire littéralement, par celle de Richard au début de son De Trinitate, 1. I, c. i, P. L., t. exevi, col. 891 : Nous sommes certains rationnellement de ne pas nous tromper, car nous utilisons, pour attester et confirmer notre foi, les miracles comme arguments, les prodiges comme expérimentations. Suit le célèbre commet, richardiintm : nonne cum omni confidentiel, etc., voir plus haut, col. 2264, et sa suite, qui renferment une mise en œuvre si intense de la notion de crédibilité.

C’est dans le m. ii, An fides exrationibus et suasionibus habeatur, que se trouve l’apport nouveau et original d’Alexandre à la question de la crédibilité. La négative, le non, est représentée par une série de raisons tirées du caractère vertueux de la foi, une entre autres qui semble venir de Guillaume d’Auvergne, où le mérite de la foi est attribué à l’improbable de son objet par analogie avec le mérite de la charité fraternelle qui consiste à aimer le méchant, improbum. L’affirmative, le sic, est représentée par des textes de l’Écriture et surtout par le texte, devenu classique, de saint Augustin, où l’assentiment de la foi est rattaché comme à sa condition à un témoignage approprié, idoneum. La conciliation s’opère par la distinction, empruntée à saint Jean Damascène, dedeux sortes de foi : la foi acquise et la foi infuse ; la première colligitur ex testimonio et ratione, et non est suf/iciens adsalutem ; [a seconde donnée par Dieu est la foi salutaire. C’est la première que concerne directement le témoignage idoine dont parle saint Augustin : lllius causa est ratio vel apertum testimonium auctoritatis. Cf. ibid., part. I, q. il, m. iii, a. 3, à la fin. Entre la foi naturelle ainsi acquise et la foi infuse il y a d’ailleurs un rapport. La première dispose à la seconde : Notandum tamen qttod ratio et (ides qux est ex ratione se habentad fidem gratuitam sicut prœambula dispositio, ad formam. Disponit enim animant ael receplionem luminis quo assentiat veritali primée propter se, sed per modum naturse non gratise, et elicitur ipsam introducere sieur tela filvm, et tune ratio cessât Itumana, quando ei non innititur fides introducta. Ce passage est très remarquable. Alexandre, en effet, intercale entre la présentation de l’objet de foi et l’assentiment de la foi un acte explicite de foi humaine. Cette foi humaine joue le rôle de l’aiguille qui introduit le fil dans la toile et dont l’intervention prend fin aussitôt que le fil adhère au tissu. Abélard n’avait pas compris ce rôle temporaire et extrinsèque de la preuve rationnelle ; il avait ainsi introduit le rationalisme au sein de la foi. Les Victorins, de leur côté, ne nous avaient point habitués à une affirmation si nette de la légitimité de la préparation rationnelle à la foi. La manière dont Alexandre conçoit cette préparation, à savoir comme un acte de foi humaine formellement distinct de l’acte de foi divine qu’il précède, retentira sur la théologie de la crédibilité qui subit l’inlluence d’Alexandre, Scot, les scotistes et d’autres, par exemple G. Valentia, S. J., Comm. theol., t. iii, De fuie, disp. I, q. i, p. i, § 9, omnes moveri ad credendum aligna fide acquisita.

Notons qu’Alexandre de Halès se garde de résoudre à proprement parler la foi infuse dans la foi acquise naturelle, comme on l’a reproché plus tard à Scot. Outre les textes cités, nous pouvons apporter à l’appui de cette remarque : In philosopho veniente ad fidem, idem est scitnm et creditum : sed scitum per comparationem ad rationem, creelitum per comparationem ad primam veritatem cui innititur propter ipsam…

Rationes naturalet sunt eau a motiva in habente /idem

per modum incitant is ad oêsentiendum prima propter se, non tamen cum innixione ad illaê. Part. III. q. i.xvin, m. vii, a. 3..i Sent, propria. Alexandre de Halès, qui a si bien posé le problème de la crédibilité

sur le terrain de la genèse de la loi. tient d’ailleurs : qttod non semper prseexigitur deliberatio de credendo, utrum sit credendum, et deinde’/ami credal : la cogitatio, c’est ainsi qu’il nomme l’élément intellectuel humain de la foi, précède naturellement le credere. - d non semper aclu, immo quandoque prsecedit, quandoqite comilatur, quandoque subsequitur ; et illud quod prsecedit lempore non est ceptum fidei. Univ. theol. Summa, part. III, q. LXXI1I, a. 2, ad obj. Il n’en a pas moins le mérite d’avoir le premier, sous le nom de foi acquise, fait entrer la reconnaissance de la crédibilité rationnelle dans une systématisation théologique d’ensemble de l’acte de foi.

Le B. Albert le Grand. — Son commentaire In Sententias est de 1245. selon de Rubeis et Mandonnet, voir Albert le Grand, t. i ; de 1218, selon Denille et Jeiler, Op. S. Bonaventurse, édit. Quaracchi, t. i. p. i.vi. col. 2, note. Nous suivons l’édition de Paris, 1894, t. xxvin.

On s’attendrait à voir le philosophe entrer dans la voie ouverte par Alexandre de Halès et, lui aussi, nous faire suivre la genèse du philosophe arrivant à la foi. Il y faut renoncer. C’est de l’intérieur de la psychologie de la foi qu’Albert envisage l’intervention des motifs de crédibilité. Avec saint Augustin il distingue dans la foi l’assentiment qui est le formel et la cogitatio dont il explique la nature et le rôle en ces termes : Secundum quod est ex auditu fides assentil cum cogitatione de hoc quod audivit de ratione non probante quideai sed manuducente : ila tamen quod auditus generaliler accipiatur… scilicet quod includit in se auditum exteriorem per verbum et visu m miraculi et opéra ai Dei et auditum interiorem. In Sent., . III, dist. XXIII, litt. d, a. 8, sol. La foi consiste essentiellement à.ms l’assentiment : tamen per accidens, in quantum uutritur et fovetur et manuducitur, liabet se ad cogitativam virtutem mquirentem de credito. Ibid., ad î um. Cette recherche de la cogitative ne procède pas d’un doute. Tout en adhérant, on peut demander à Dieu la raison de son adhésion ; et cette raison, quand on l’a trouée, ne donne pas une certitude que l’on avait déjà, mais réjouit l’âme et l’émerveille. Ibid. On voit combien cette doctrine est peu rationaliste, de la part d’un philosophe comme Albert, ilais ce qui étonne davantage encore, et n’est cependant que l’explication d’une incise que l’on vient de lire, à savoir : non quia dubitat, sed quia ejus cui consentit a Deo petit rationem, c’est la manière dont Albert conçoit la preuve par le miracle : Aliud est signum persuasivum per modum miraculi in eu jus rationem non possamits ex nobis : et hoc manuducit ad fidem, sicut apparitio signum est resurrectionis, et unum fuit italatens rationem sicut altérant : et per taie beneprobatttr fides. sed jatijih’r illctai probationem iwnef/icitur ipsade apparenlibus : quia et ratio probans et conclusio probata sunt île non apparenlibus, eo quod iti neutrum possumus ex ratione. Ad 3’"", p. 429. Voilà le miracle passé à l’état de preuve qui échappe à la raison, latens raliotiem. Il n’en faudrait pas conclure trop vite que, selon Albert, le miracle ne prouve que pour ceux qui ont déjà la foi, ou que apparitions du Christ après la résurrection sont déjà des objets de foi. Le contexte montre que le bienheureux oppose simplement aux arguments ex signo qui sont tirés par nous de natura rei probandas qu’il n’admet pas pour prouver la foi, les arguments tirés de signes extrinsèques divins que notre raison ne peut extraire par abstraction de la nature des choses et qui, en ce sens, lui échappent ; il ne dit pas qu’ils échappent à sa connaissance naturelle.