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Nous classerons les doctrines scolastiques en quatre groupes : 1° d’Abélard à Guillaume d’Auvergne, 11201230 ; 2° de Guillaume d’Auvergne à Capréolus, 12301450 ; 3° de Capréolus aux Salmanlicenses, 1444-1679 ; 4° fin du x i r. xviiret xixe siècles.

/" période, 1120-1230. - Abélard if 1142). - La masse de textes contradictoires touchant le motif de la foi, mis en circulation par Abélard, la position extrême qu’il choisit, la virulence avec laquelle il la défend, déterminent une rupture dans le courant paisible des idées de cette époque de foi. Son intervention doit surtout sa fécondité aux réactions et aux études qu’elle provoque durant plus d’un siècle. C’est, pour la foi, une crise analogue à celle qu’a suscitée de nos jours, pour la pensée philosophique, l'œuvre de Kant.

Comme l’a remarqué le R. P. Portalié, voir Abélard, t. i, col. 45, Abélard n’a pas une notion nette de la foi d’autorité, propter lestimonium divinum. Ce n’est pas que dans la Tlieologia christiana, qui reproduit le De unitale et Trinitate divina, édit. Stozle, Fribourg-enBrisgau, 1. If, condamné à Soissonsen 1121, il n’avance une juste idée du magistère intérieur de la Vérité première, Theologia, 1. III, P. L., t. clxxviii, col. 1220, 1224-1226, qu’il ne reproche aux dialecticiens de vouloir tout comprendre par leurs petits raisonnements, ibid., col. 1221, et qu’il n’attribue une intelligence supérieure des mystères à la foi qui est sous l’influence de la purification du cœur et de la charité, col. 1221. Mais, déjà, malgré ces précautions, il revendique le droit de se servir de la raison, avec piété, dit-il, pour entendre les vérités divines. Ce n’est qu’une clef de bois, mais elle ouvre, col. 1215. Elle est nécessaire pour réduire l’impudencedes dialecticiens, col. 1227. De unilate, etc., 1. II, p. 24. Les Pères avaient les miracles pour convaincre les ennemis de la foi, les miracles ne sont plus : pugnemus verbis, col. 1212. Cf. De unitale et Trinitate divina, p. 20. Il avoue d’ailleurs que la raison ne donne que des similitudes de la vérité pleine, col. 1228, aliquod verisimile, col. 1227. Cf. De unitale, ibid., p. 30.

Avec Ylntroductio ad theologiam, le ton change. Abélard a, durant toute sa vie, été frappé par l’antinomie régnante entre les textes des Pères qui tiennent pour la foi aveugle et ceux qui la disent intelligente. Les listes qu’il en donne dans ses principaux ouvrages trahissent sa constante préoccupation. Tlieol. christ., P. L., t. clxxviii, col. 1216-1220 ; Inlrod. ad theol., col. 984-986 ; surtout Sic et non, col. 1349-1353. Le texte de saint Grégoire : Nec fides habet merilum, eux humana ratio preebet experimentum, lui fournit, dans Ylntroductio, l’occasion d’une explication décisive : saint Grégoire ne dit pas, dit-il, qu’il ne faut pas raisonner sa foi ; il dit que cette foi, que détermine la raison plus que ne l’incline l’autorité, ne doit pas son mérite à la raison. Et donc, la foi divine qui mérite, qui s’appuie sur le témoignage divin, telle la foi d’Abraham, développe comme des prodromes, fidei noslrse primordia, qui sont l'œuvre de la raison ; la charité survenant donne à cette foi acquise ce qui lui manquait. Introduclio, P. L., t. clxxiii, col. 1050-1051. Le motif formel de l’assentiment de la foi est la raison : Nec quia Deus id dixerat creditur, sed quia hoc sic esse conrincitur, recipitur. Ibid., col. 1050. Il repousse énergiquement la foi sans preuve, col. 1050, 1051. Il admet d’ailleurs que le résultat de l’argument de raison n’est qu’une opinion, exislimatio non apparent ium. Ibid., col. 1051. C’est cette définition de la foi que saint Bernard prendra si vivement à partie. Il dit encore que ce n’est pas une connaissance manifeste. Aliud est intelligere seu credere, aliud cognoscere seu manifestare. Ibid.

Quels motifs poussent Abélard à cette théorie extrême où le surnaturel n’est donné dans la foi que comme charité ; où le motif de croire est la preuve rationnelle,

impuissante d’ailleurs, du mystère lui-même.' Des motifs assez analogues à ceux que donneront)>- théologiens orthodoxes pour réclamer l'évidence de la crédibilité. Ce serait agir avec légèreté que d’acquiescer avant

que la raison ait discuté, quantum valet, an scilicel adhiberi /idem convenial, Inlrod., P. L., t. CLXXVIII, col. 1051 ; cf. Dialogus inter philosophant jiidseum et chi islianum, col. 1641 ; il est impossible de croire sans avoir l’intelligence de ce qu’on croit, col. 1053 ; il y aurait danger pour la foi à ne pas savoir ce que l’on croit, col. 1054 ; il faut, en effet, pouvoir repousser les hérétiques, col. 1047, confondre les incrédules, col. 1212. Finalement, la justification de cette manière de concevoir la foi est dans l’exemple des Pères, col. 1046. Cf. col. 980. Abélard admet d’ailleurs le témoignage de ces derniers à figurer parmi les preuves à l’appui de l’opinion de la foi, mais au même titre, semble-t-il, que le témoignage des philosophes païens, col. 1035, 1139, Il résume lui-même le but et la portée de l’introduction de la raison au sein de la foi, lorsqu’il dit que la raison seule permet de distinguer : ulrum ita sciliret credi oporteal vel non, col. 1049.

Abélard, on le voit, a senti avec plus d’acuité que les générations précédentes la nécessité d’une vue intellectuelle qui justifiât rationnellement la présentation de l’objet de foi. Mais il a abordé la solution avec une disproportion de moyens qui n’a d'égale que sa fougue et son obstination. Il a cru pourvoir suffisamment au côté piété de la foi en expliquant sa vertu méritoire par la charité ; il a livré en entier son côté connaissance à la raison, sans distinguer entre la vérité intrinsèque et la vérité extrinsèque de l’objet de foi. Pour lui crédibilité = rationabilité du mystère. Là est son erreur fondamentale dont de récents critiques ne l’absolvent qu’incomplètement. Cf. Kaiser, Pierre Abélard critique, Fribourg (Suisse), 1901. D’ailleurs, trop critique pour ne pas s’apercevoir de la faiblesse des arguments rationnels, de pure convenance à l’endroit des mystères, il n’a pas craint d’en tirer cette conclusion que la foi dans son côté connaissance n'était qu’une opinion. Et c’est sa seconde erreur, celle qui fit le plus de scandale, et dont la réfutation obligea ses adversaires à un travail considérable pour mieux préciser les divers sens du mot vérité en tant qu’elle concerne la foi, travail d’où devait sortir systématisée, après un siècle, la notion précise du vrai de crédibilité.

Rupert, abbé de Deutz. 1135. — Rupert ne subit pas l’influence des idées d’Abélard sur la foi. Il ne les contredit pas directement, bien que le développement mesuré et bien équilibré de sa conception de la crédibilité présente un contraste frappant avec l’exclusivisme abélardien. A l’entendre, si la recherche rationnelle précède la foi, c’est dans un but prudentiel : Quia jam non propter tuam loquelam credimus… Cur hoc, nisi quia de illoper mulierem quidem primitusaudierunl, sed ne levilale duci… viderentur, ipsius Sahatoris verba judicio proprix rationis diligenter examinaverunt. In Joa., 1. IV, P. I… t. ci.xix, col. 378, cf. col. 384, en bas. Ce jugement rationnel ne scrute pas l’intérieur même de la parole divine, mais ses alentours, sa sagesse, sa douceur. Ibid., col. 379. Il est provoqué par ses miracles : lanto, inquit, lempore vobiscum sum, tam veri ser~ monis, tamque admirandorum operum testificatione instructi, adhuc et vos sine intellectu estis, neque cognoscitis nie… invisibilem Deum esse. Ibid., 1. XI. col. 699. Sur la vertu probante du miracle, ibid., I. X. col. 642 ; 1. II, col. 275, et dans le Dialogue entre un chrétien et un juif : Christ. : Unde sois i/uia Deus locutus est Moysi ? Unde scis quia Dens locutus est prophetis ? Jud. : Scriptura hoc mihi denarravit et testimonia fidelia prxdicta sunt signis, prodigiis atque portentis. Christ : El mihi similiter de patribut mets apostolis Scriptura denarravit, quia Deus locutus