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CRÉATION


ment temporel du monde, problème insoluble à son sens, et au sujet duquel on peut invoquer des raisons pour et contre, sonl assez significatives. « Toutefois, dit forl bien le P. Kleutgen, si l’on ne peut affirmer que quelqu’un ait professé toutes les erreurs qu’on peut déduire de ses opinions, on ne peut non plus soutenir qu’il ait connu toutes les vérités qu’il est possible de prouver par ses doctrines. » Op. cil., p. 443. Le fait qu’il ne nous reste dans la littérature antique aucune preuve péremptoire sur ce point, ne prouve nullement que le dualisme ou le panthéisme fussent la seule solution reçue, surtout des simples qui voyant moins de difficultés arrivent souvent plus vite au terme ; il n’établirait pas que la pensée philosophique ayant approché avec ces derniers philosophes si près du terme ne fût arrivée quelque jour à aller par elle-même au bout de leurs principes.

A relever enfin le lien que le concile établit, c. ni, § 1, et can. 1, entre le souverain domaine du Dieu créateur et le devoir de la foi dans la créature ; dans une pensée analogue sans doute il affirme dans le can. 4 la possibilité du miracle : c’est parce que le créateur dépasse son œuvre de toute son infinité et qu’il est maître de tout ce qu’il fait, qu’il a droit de commander l’obéissance de l’intelligence comme celle de la volonté, qu’il a le pouvoir d’intervenir avec sagesse dans son œuvre, sans être lié irrévocablement par les lois qu’il lui a originairement données.

V. Place de la création dans la théologie chrétienne, LA PHILOSOPHIE, L’APOLOGÉTIQUE. — I. HARMONIE AVEC LES AUTRES DOGMES CBRÉT1BNS. — A prendre

individuellement les dogmes, on est frappé, même après démonstration, des difficultés qu’ils présentent ; à les voir dans l’ensemble de la dogmatique, on les comprend les uns par les autres. Il convient de considérer la création dans l’ensemble du symbole.

1° Limitée dans son être, la création apparaît comme une œuvre indigne d’un ouvrier infiniment parfait. On a vu comment les plus grands penseurs ont été impressionnés par cette considération. Si l’on prouve que hors de Dieu rien ne peut exister que de limité et d’imparfait, la raison reste encore mal à l’aise de n’avoir pas rencontré un acte adéquat à l’énergie infinie. — Le dogme de la trinité vient en ce point compléter celui de la création, en montrant dans la procession immanente des personnes divines une activité digne enfin d’une pareille nature. C’est un mystère de plus, dira-t-on. Sans doute, mais la raison, quoi qu’on dise, ne rejette que la contradiction, non le mystère, et deux mystères, si leurs données se concilient, s’éclairentau moins d’autant, s’ils ne s’expliquent, et cela même est un soulagement.

2° Limitée dans son bonheur, la créature raisonnable semble dans certaines conjonctures plutôt le jouet d’un autocrate impassible, que l’objet d’une providence paternelle. L’affirmation catholique, que Dieu a créé par pure bonté, fait sourire ceux que leur éducation première n’a pas accoutumés à ce langage. Or, 1. le dogme de la vie future ici encore complète celui de la création : en enseignant que la fin de la créature raisonnable n’est pas dans ce monde sensible, non hvjus creationis, Heb., ix, 11, elle fait tomber l’objection ; en apprenant que cette fin dernière est une participation au bonheur de Dieu, il rend vraisemblable que le créateur ait pu vouloir, comme lieu d’épreuve momentanée, un monde où l’on est en fait très mal pour être heureux, mais, dans le mélange présent des jouissances et des souffrances, juste assez bien pour prendre patience et très bien, en fin de compte, pour être éprouvé. — 2. Le dogme de l’élévation à l’ordre surnaturel vient confirmer les deux précédents en montrant un créateur qui concède une participation de lui-même au delà des exigences et des puissances natu relles de sa créature. La vision intuitive, le bonheur spécifiquement divin qui caractérisent cet ordre nouveau ne sont, il est vrai, tant que dure ce monde, qu’une promesse, mais il suffit à la démonstration présente que cette promesse nous révèle un même dessein de munificence dans le créateur et nous apparaisse comme le prolongement merveilleux de ce mouvement qui l’a porté à appeler des ristence : sa bonté

resplendit, son titre de l’ère, -avre rûv SXâv, rayonne d’un éclat nouveau et incomparable et les objections trouvent une solution plus aisée. — 3. Le dogme de l’incarnation parachève la réponse en montrant un créateur qui n’hésite pas, pour instruire et relever la créature, à lui envoyer son Fils unique, sir. Deus dile.’it mundum, Joa., iii, 16, et à faire annoncer par son propre Fils, avec l’Évangile du royaume, la double paternité dont il se glorifie, Patron nieum et Palrem vestrum. Joa., xx, 17.

3° Limitée dans sa perfection morale, la créature raisonnable semblerait incapable de procurer à Dieu cette gloire qu’il a, dit-on, cherchée dans la création. Les cieux peuvent chanter ses louanges. Ps. xvin. i : bien peu les entendent, et beaucoup soupçonnent qu’il y a mieux à dire. Les mêmes dogmes font tomber les objections, non qu’ils soient la réponse unique et nécessaire, mais parce qu’ils sont la réponse surabondante, du moins en ce qui concerne l’ordre surnaturel.

1. C’est dans la vie future que cette glorification doit être atteinte : le monde présent ne dit de Dieu que ce qu’il en faut pour le faire soupçonner et désirer. —

2. L’élévation à l’ordre surnaturel, en donnant aux créatures ainsi divinisées le moyen de connaître et d’aimer Dieu d’une manière spécifiquement divine, montre une seconde fois le même dessein du créateur de se communiquer pour se faire connaître et par conséquent pour se glorifier lui-même. — 3. L’incarnation apporte la dernière lumière en montrant dans le composé théandrique le chef-d’œuvre du souverain ouvrier. C’est par cette voie d’une union hypostatique avec la créature que Dieu supplée à l’impossibilité métaphysique de créer une créature infinie, en qui il épuise à la fois tout ce qu’il a de puissance, tout ce qu’il a de bonté, pour recevoir d’elle toute la gloire qu’il mérite. Et remarquons-le, dans le Christ aussi apparaît cette intime union que nous avons signalée entre l’utilité de la créature et la gloire du créateur. Que Dieu s’incarne, rien n’est plus utile à l’homme, et rien non plus n’est plus glorieux à Dieu, que de manifester, par tant d’abaissement, tant de miséricorde et de bonté. En lin de compte, comme l’Infini ne peut s’accroître, la créature est seule à tirer un profit réel de toutes ces œuvres de Dieu. Cf. Monsabré, Conférences de HoU-e-Danie, in-8". Paris, 1877. -25 conf., p. 3 sq.

Ainsi c’est dans l’Ilomme-Dieu que s’achève toute la création et que doivent se résoudre toutes les objections. Encore une fois les difficultés du comment n’font rien, dès que la raison ne peut articuler une contradiction évidente, si elle est acculée par ailleurs à conclure à la nécessité du fait. De ces dogmes dont nous indiquons très imparfaitement l’harmonie, les uns s’établissent par la raison, d’autres par l’histoire, d’autres par la voie d’une autorité authenliquement démontrée : à chacun sa preuve. Par contre, si chacun individuellement, fait merveilleux, isolé comme un bloc erratique dans l’histoire du monde, nous déconcerte par son étrangeté, un groupe de faits qui se répondent, où se dévoile une même pensée, diminue quelque peu cette épouvante naturelle de la raison en présence du mystère : c’est un langage qui devient plus intelligible parce qu’il se répète, et auquel on commence à entendre quelque chose.

/ ;. PLACE dans LA ruÉOi.OGiE. — Les considérations précédentes laissent voir que le dogme de la création