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pouvoir dire avec le P. Hurter : on ne voit nulle raison suffisante d’admeltie cette possibilité pour les substances incorruptibles et de la nier pour les autres. Compendium, in-8 » , Inspruck, 1900, l. il, n. 266.

Depuis cette époque, la solution suarézienne semble avoir rallié un assez bon nombre de partisans. Valentia, à ne considérer, dit-il, que les preuves de raison lu ] « ", disp. III, q. III, p. il ; Jean de Saint-Thomas, Physic., q. xxiv ; Billuart, Summa, 1*55, t. ii, De op. sex dierum, diss. I, a. 6 ; Janssens, De Deo créante, p. 201. Quelques-uns tiennent pour l’impossibilité absolue. ïolet, Physic, 1. VIII, c. il, q. Il ; Lessius, De perf. div., 1. IV, c. il, n. 8-11 ; Tanner, disp. VI, q. i, club, m ; Palinieri, De Deo créante, th. xiii ; Cosmologia, th. xxxi ; Hontbeim, 1ns lit. tlieod., c. XXIV, a. 5 ; Hurter, Compendium, loc. cit. D’autres imitent la réserve de saint Thomas et attendent qu’on ait apporté quelque argument décisif en un sens ou en l’autre. Schiffini, Disp. metaph. specialis, t. ii, disp. IV, sect. iv ; Liberatore, Cosmologia, c. i, a. 6. Cf. Stentrup. Das Dogma von der zeillichen Wellschôpfung, Inspruck, 1870 ; Janssens, op. cit., p. 188 sq.

(/) Discussion philosophique. — Quelques mots suffiront sur les arguments principaux de l’une et l’autre opinion. On omettra de discuter, comme moins logiques, les solutions mixtes de saint Bonaventure et de Suarez.

— a. Pour la possibilité théorique d’une création éternelle. — Elle ne paraît impossible ni de la part de l’agent, ni de la part de l’effet, ni de la part de l’action. L’agent est en effet tout-puissant ab seterno in œternum ; rien ne peut l’empêcher d’exercer sa puissance, ni rien qui existe, ni le manque de quoi que ce soit. L’effet est possible « 6 seterno, puisque la raison de sa possibilité c’est l’existence de Dieu source infinie de l’être ; s’il est impossible qu’il participe de manière adéquate et univoque aux perfections divines, on ne voit pas au contraire pourquoi il ne pourrait y avoir, comme il existe une sagesse créée analogue à l’incréée, une éternité créée purement analogue. L’action enfin, l’acte créateur n’exige pas le temps : en effet, si les actions successives, mutationes, le réclament — ainsi réchauffement graduel d’un corps froid — les actions instantanées ne le demandent pas ; comme il n’y a pas d’intermédiaire entre rien et quelque chose, entre être et n’être pas, on naît par exemple ou on meurt instantanément. On ne saurait objecter que « tirer du néant » suppose précisément que la non-existence a précédé l’existence et par conséquent implique commencement temporel. Il y a bien une priorité, dit saint Thomas, mais de nature et non de temps, c’est-à-dire que la nature même d’être créé emporte qu’on est étant néant de par soi, esse ab alio, et non pas qu’on est ayant été quelque temps néant, esse posl non esse. Que la première priorité de nature n’emporte pas priorité de temps, l’on en a un exemple non seulement dans la génération éternelle du Verbe, mais dans l’existence éternelle des possibles, qui sont dès que Dieu est. Chr. Pesch, Prxlectiones dogmal., in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1899, t. iii, p. 26. Cf. Sertillanges, L’idée de création dans S. Thomas d’Aquin, dans la Revue des sciences philos, et théol., 1907, t. i, p. 239-252.

b. Pour l’impossibilité. — Une première raison tirée de la contradiction apparente des concepts, créé signifiant appelé du non-être à l’être, éternel désignant ce qui a toujours été. On vient de voir la réponse du docteur angélique : créer, c’est faire être ce qui n’est rien de soi, et non pas forcément ce qui n’a pas été. Autre raison tirée des conséquences : il faudrait admettre un nombre infini de révolutions terrestres déjà accomplies, un infini limité à aujourd’hui et ce nombre infini aurait été franchi pas à pas par le monde, au jour le jour, et cet infini s’accroîtrait chaque jour ; enfin, si la race humaine avait été créée ab xterno, il faudrait

aussi admettre un nombre actuel infini d’âmes parées.

On remarquera que les trois premiers arguments concernent l’infini successif, et le quatrième l’infini actuel : la réponse doit être tout autre pour ces deux cas.

Les objections que l’on tire de l’infini successif viennent en général d’une confusion de concepts et de mots. On peut bien admettre qu’il peut exister à titre de créature, un infini étendu, quantitatif, dimensif. qui n’est et ne peut être réalisé tout entier à la fois ; mais alors ce qui est infini, ce n’est pas une partie de cette étendue, c’est toute l’étendue qui correspond à l’Infini véritable. Il y a donc duperie de mots, quand on dit : si Dieu avait créé ab seterno, il y aurait aujourd’hui un nombre infini de jours écoulés ; ce nombre est incommensxirable, non infini, précisément parce qu’il ne correspond pas à toute l’extension virtuelle de l’éternité. Il faut dire résolument : c’est une partie d’infini : ce n’est pas une partie proportionnelle, qui répét V un certain nombre de fois puisse servir à évaluer la durée infinie ; ce n’est même pas une partie mesurable elle-même, puisqu’elle est infinie par un bout, a parte ante, et c’est pour cela qu’on peut l’appeler infinie ; le mot d’infini cependant n’a pas le même sens appliqué soit à toute l’extension virtuelle de l’éternité, c’est-à-dire à toute la durée créée qui lui correspond, soit à une partie seulement de cette durée.

On répondrait donc : a. que le nombre des révolutions terrestres déjà accomplies ne serait pas un nombre, puisqu’il n’y a pas eu de première révolution : aussi haut que l’on remonte, on trouvera un jour, un an, un siècle précédent, mais précédent n’est pas synonyme de premier ; secondement cette quantité, incommensurable déjà par un de ses bouts, n’est pourtant pas strictement infinie, pour la raison signalée plus haut ; b. franchir une distance infinie, pas à pas. ou compter un nombre infini, un par un, n’est impossible que pour l’infini strict défini plus haut, mais quelle répugnance à ce que le monde, depuis l’éternité, c’est-à-dire dans un temps incommensurable, ait pu en quelque sorte compter ce nombre incommensurable de joui s’c. Qu’un tel infini puisse s’accroitre, cela n’a rien d’étonnant, puisqu’à vrai dire ce n’est pas un infini strict et qu’il s’accroit seulement sous le rapport où il est limité, a parte posl, à partir du moment présent.

Quant à l’infini actuel, si les réllexions précédentes sont justes, on pourrait dire que ce nombre des âmes, pour n’être pas évaluable, n’est pas non plus un nombre, ni strictement un infini.

e) Conclusion. — Si chaque opinion a ses difficultés, il resterait que le problème est encore à débattre, et c’est sans conséquence pour la foi, qui n’est pas oblig< e d’avoir sur toutes les questions philosophiques des solutions faites. Par contre, c’est à grand tort qu’en arguerait de l’incertitude de ce problème pour affirmer qu’une matière incréée ne répugne pas. L’étude précédente prouve tout au plus qu’une matière créée ab xterno n’est pas évidemment inadmissible ; mais les caractères mêmes de la matière prouvent qu’elle ne saurait être incréée. La thèse panthéiste ou matérialiste n’a ici rien à gagner ni rien à perdre. Voir Ami du clergé, i, t. xxvi. p. 831 sq. ; Civiltà cattolica, 1881, 2 « série, t. vu. p. 20 sq.

3° La création est-elle possible en un autre temps ?

— Le monde a toujours existé, il n’aurait pu être créé ni plus tôt, ni plus tard, S. Augustin, De civil. Dei, 1. XII, c. xv sq.. P. L., t. xii. col. 364 sq. ; c. XII, col. 359 sq. ; De Gen. ad. Int.. 1. V. c. xix. n. 38, cf. n. 19, P. L., t. xxxiv. col. 335. manières de parler philosophiquement justes, qui n’ont d’autre tort que d’aller au rebours de l’usage vulgaire. Ces expressions sont exactes, parce que le temps et le monde sont deux