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CREATION


le sollicite par son charme à produire l’effet ; puis quand l’agent s’est décidé à produire, il le dirige jusqu’à ce que la reproduction soit parfaite, Sans cause exemplaire la cause eflicienle n’agirait pas. En ce sens son influx peut se rapprocher de la causalité efficiente : ita et exemplar, quatenus est forma arti/icis qua operatur, ad efficientem causant pertinet. Suarez, Disp. mataph., disp. XXV, sect. il, n. 2.

Les auteurs sont frappés tantôt par l’un, tantôt par l’autre de ces aspects, cf. Vasquez, In P m div. Thomas, disp. LXXII ; Ruiz, De scientia Dei, disp. LXXXJI.

Thomassin, Dogmata tlieoloaica, t. I, c. xi sq., in-fol., Venise, 1730, p. -124 sq. ; Petau, De Deo, 1. IV, c. IX sq., p. 187 sq. ; Dubois, op. cit., t. i, 1. II, III, p. 579-896.

VII. fin iæ la CRÉATION.

Le problème.

Le

mot fin dans le langage courant reçoit des acceptions multiples ; occasion de confusion à laquelle l’École tente d’échapper par une classification méthodique des sens. Il peut désigner : 1. le terme objectif visé, finis qui [intenditur] ; 2. la satisfaction subjective cherchée dans l’action, finis quo [movetur agens] ; 3. le sujet à l’avantage de qui l’agent travaille, finis cui (fit opus}. Distinction équivalente : 1. la fin de l’ouvrier, finis opérant is ; c’est le résultat qu’il se propose d’atteindre ; 2. la fin de l’œuvre, finis operis : c’est le but que l’ouvrier lui assigne. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. I, q. il, a. 1 sq. ; cf. dist. XXXVIII ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1, II, dist. I, a. 2 ; cf. dist. XXXVIII, a. 1, q. i-m ; Lessius, De perfecl. moribusque divinis, 1. XIV, c. i, n. 1 sq., in-fol., Lyon, 1651, p. 199 sq. ; Suarez, Disp. metaph., disp. XXIII, sect. ii, Paris, t. xxv, p. 847 sq.

Au point de vue moral, le problème présent est, pour les créatures raisonnables, celui du « sens de la vie » . Toute leur activité devra s’orienter vers le but voulu de Dieu. Au point de vue métaphysique, ce problème n’est qu’une autre face de la difficulté centrale de la coexistence du fini et de l’infini. Comme elle se rencontre dans l’ordre de l’existence — comment peut-il exister autre chose, si Dieu est l’Infini ? — elle se présente ici dans l’ordre de la volition — comment l’Infini, s’il a tout en soi, peut-il vouloir quelque chose hors de soi ? La difficulté, réelle quand il s’agit de déterminer la fin de l’œuvre, finis qui, finis operis, est plus grande, on le voit, quand on cherche à déterminer les desseins du créateur, finis quo, finis operantis. C’est à cet aspect de la question que nous nous attacherons spécialement. Aussi bien l’un commande l’autre : en étudiant ce que Dieu a voulu pour soi, on précise ce qu’il veut de nous.

Pour écarter de Dieu toute idée de subordination, certains philosophes visés par saint Thomas, Cont. qenl., 1. I, c. lxxxvii ; Sum. theol., I » , q. xix, a. 5, ne voulaient pas qu’on cherchât de raison au choix divin : Dieu veut parce qu’il veut. Cette solution marque bien l’indépendance de Dieu, mais n’explique ni la rationabilité de son choix, ni la possibilité d’une volition ayant pour objet le terme fini.

Hans une pensée analogue, ce semble, M. Ravaisson présente la création comme un amortissement de l’activité surabondante de Dieu, Philosophie en France au xixe siècle, in-4°, Paris, 1868, p. 262 ; mais, outre qu’il y a là une image plus qu’une explication, comme le note très bien M. Janet, Causes finales, p. 580 sq., l’excès répugne dans l’Absolu autant que l’indigence. A moins donc de comprendre cette formule dans un sens émanatiste, la difficulté subsiste enlinv.

Kant, Rayle, Hegel, Hermès, à qui répugne la conception égoïste d’un Dieu créant pour soi-même, raient que l’homme soit la fin de la création. En fait, c’est dire ce que Dieu veut, non pourquoi il le veut ; ce mouvement de L’Infini vers l’extérieur reste sans explication. Il y a là une sorte de dualisme dans la vo lonté divine, une tendance double et divergente, qui semble eu contradiction avec la simplicité souveraine de l’Infini. Déplus dans une telle hypothèse les peines du péché ne sauraient ôtrequi médicinales et non vindicatives, puisque c’est le bonheur île la créature qui est le terme, non l’honneur de Dieu ; les peines éternelles n’ont point de raison d’être, si ce n’est peut-être d’effrayer les hommes pendant la vie. Cf. Scheeben, Dogmatique, trad. Belet, in-8°, Paris, 1881, t. iii, n. 96.

La théorie de Kant est reprise par M. Janet. La fin de la création, c’est l’homme, mais la fin de l’homme, c’est la moralité, fin absolue, c’est Dieu. « Dieu a pour fin une nature dont il serait lui-même la fin. "II. cit., p. 592. En dehors des objections qu’on peut faire à cette dénomination de fin absolue, la difficulté, on le voit, reste la même : Dieu s’est-il cherché dans son acte, c’est l’unité complète dans sa volonté comme dans son être, mais il semble égoïste et indigent. A-t-il cherché autre chose que soi, il n’est pas égoïste, mais il se manque à lui-même et ce mouvement divergent reste inexpliqué.

A ce problème la doctrine catholique répond : Dieu agit pour une fin — cette fin est sa propre gloire — c’est aussi, et par identité, le bien de sa créature — il agit donc par pure bonté — par une hiérarchie providentielle les créatures inférieures sont subordonnées à l’homme.

Il suffira, semble-t-il, dans une question où la tradition catholique est si claire, de présenter rapidement l’enseignement de la Bible et des Pères, pour établir ensuite par la raison chacune des propositions précédentes.

2 » L’Écriture. — 1. Dieu crée pour une fin, et il est lui-même la fin de son œuvre, l’a et l’a>. Apoc, i, 8 ; xxi, 6 ; xxii, 13. C’est de lui, par lui, pour lui que sont toutes choses. Rom., xi, 36 ; Heb., il, 10. On lit dans la Vulgate : ’« le Seigneur a opéré toutes choses pour lui-même, » Prov., xvi, 4 ; mais les Septante portent « avec justice » , et l’hébreu 8 pour un but » . Vigouroux, Bible polyglotte, in h. t. : Palmieri, De Deo créante, 1878, p. 99. Les saints Pères ont fréquemment admis el commenté le premier sens si conforme au moins à l’esprit de l’Écriture. Tout sera consommé, ajoute I Cor., xv, 28, quand toutes choses auront fait retour à Dieu.

2. Cette fin c’est sa gloire : Exod..xiv, 17, 18 ; Deut., x, 12 ; spécialement dans ses œuvres plus éclatantes. Deut., xxvi, 19 ; Ps. cv, 8. « Quiconque m’invoque, c’est pour ma gloire que je l’ai créé, que je l’ai formé, que je l’ai fait, » Is., xliii, 7 ; Eph., i. î. 6, 10. 12 ; I Cor., x, 31 ; Rom., 1, 21 ; Col., i, 16 ; cf. Luc. il, 14 ; Joa., ix. :  !  ; aussi toutes les créatures sont-elles imitées à louer celui qui les a faites, Ps. cxlviii ; Daniel, iii, 57 sq. ; aussi le monde est-il propre à faire connaître le créateur, Sap., i, 13sq. ; xi, 6 ; xiii. 5 : Ps. xviu. 1 : i.xxxvin, 6 ; ciii, 24 ; cxxxv ; Eccli.. xvii.7, 8 : Rom.. î. 20, et Dieo renvoie à son œuvre, Is., XL, 12, se refusant à en céder la gloire à un autre : et gloriam meam alteri non dabo. Is., xlii, 5-10.

3. Il crée par bonté, non par besoin. Joli, xxii, 3. Les Septante et la Vulgate traduisent Ps. xv, 2 : Vous êtes mon Dieu, car vous n’avez pas besoin de mes biens. L’idée est chère aux exégètes chrétiens. Cf. Ps. xxviii, 9 ; Is., xxxiii, 7. C’est pourquoi Dieu conserve parce qu’il aime, et pardonne parce qu’il est puissant, Sap.. xi. 23 sq. ; il veille sur le dernier des passereaux. Matth., x, 29. 31.

4. C’est à l’homme qu’il a soumis la création, Geii.. i. 26, 28, crescite… et donrinamini… ; l’eut.. IV, 19 ; Ps. vin. 5. omnia subjecisti sub pedibus ejus. I Cor., m, 15 ; cf. Rom., viii, 19 sq.

Ainsi chacun de ces enseignements a de solides attaches dans la Bible.

Les Pères.

Il suffirait de suivre dans les chaînes