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tion, principium guo retnotum, que l’intelligence et la volonté divin.’répondent à ce que sont en nous ces mêmes facultés, principes immédiats d’opération, principium quo proximum. On niera ensuite toute distinction physique et réelle, distinctio realis, et même toute distinction rigoureuse de concepts, distinctio rationis major, entre les facultés divines : toutes ces divisions de nature et de facultés ne sont que manières de concevoir commodes, parce que nous comprenons de la sorte quelque chose par analogie avec ce que nous sommes, et légitimes en un sens, parce que la cause première possède ces mêmes perfections, encore que ce soit de manière différente et excellente. On dira encore, Dieu n’agissant pas sur une matière préjacente ni par un organe sensible, que la création doit se concevoir comme un acte de la volonté éclairée par l’intelligence et efficace par lui-même. On apportera ensuite les corrections nécessaires pour écarter toute idée de mutabilité, toute proportion physique entre telle détermination divine et tel effet fini, toute ordination réelle, relatio realis, de créateur à créature, analogue à celle d’un effort musculaire donné à un travail mécanique déterminé. Que si l’on définit l’acte du créateur, la cause ou raison suffisante de telle créature, creatio principiative, on pourra le concevoir : a) comme un acte de volonté, b) éternel et inlini quant à sa réalité physique, entitative, c) définissant de toute éternité, sans mettre en Dieu aucune détermination actuelle, les conditions spéciales de perfection, de temps, de lieu, etc., de l’être qu’il lui plait d’appeler à l’existence : ce n’est donc en Dieu qu’une détermination virtuelle, d) tel enfin que par la toute-puissance de cette volonté l’être fini devient quand et comme Dieu l’a voulu. S. Thomas, Cont. génies, 1. II, c. xxxv, n. 2. Ces explications données, l’action qui produit et constitue la créature reste mystérieuse. « L’art de créer n’est point de ceux dont l’esprit humain puisse surprendre la recette, et nous sommes aussi incapables de la connaître, que de l’employer. » On détermine seulement par ces déductions rationnelles « quels caractères conviennent ou répugnent à l’acte créateur. » De Margerie, op. cit., t. ii, p. 19. Un certain agnosticisme s’impose. La raison remarque en effet que la puissance infinie débordant la nôtre a des ressources et des modes d’activité que nous ne pouvons comprendre : à l’Etre ineffable correspond une action ineffable ; elle note encore que la première production des choses ne peut ressembler en rien aux modifications accidentelles des substances existantes, et, ceci posé, comme le fait de la création se conclut nécessairement, elle se résout, à défaut de lumières plus vives, à ces explications provisoires et imparfaites, mais cohérentes. Et peut-être est-il bon de s’en contenter, si toutes ces données affirmées à la fois restent, malgré leur obscurité, plus lumineuses encore que les solutions qui se présentent pour les remplacer.

3. Explications hétérodoxes.

Il suflirait, ce semble, pour en juger la valeur, de constater les critiques violentes que se renvoient de l’un à l’autre leurs inventeurs. Voir Janet, Le matérialisme contemporain, in-12, Paris, 1888, p. 1 sq. On renverrait ces philosophes, comme faisait saint Justin, dos à dos, jusqu’à ce qu’ils se soient mis d’accord. Ce sont les « émanations » gnostiques, les énigmes de l’idéalisme contemporain : processus ternaire de Hegel, « axiome éternel » de’faine, « saut hors de l’absolu » de Schelling. « Qui peut comprendre des assertions aussi contradictoires, écrit M. Janet après l’examen de ce dernier système, et en quoi sont-elles plus claires que le dogme de la création’.’» Janet et Séailles, Histoire de la philosophie, in-8°, 1887, p. 876. M. Ravaisson explique la création par une sorte d’anéantissement, seipsum exinanv d’activité divine suivi de réveil et de résurrection. <i Voilà, écrit Vacherot, de ces subtilités trop alexan drines, qui doivent rendre l’école spiritualiste indulgente pour toutes les énormités du panthéisme. !. nouveau spiritualisme, in-8°, Paris, 188’t, p. 135.

Les difficultés philosophiques du dogme présent sont trop sérieuses pour que nous nous croyions permis de jeter l’injure à quelque penseur que ce soit cherchant en pleine sincérité, toutefois, à beaucoup qui rejettent avec dédain « l’anthropomorphisme » de la Bible, ne peut-on reprocher un anthropomorphisme au rnoinet des contradictions autrement graves que les difficultés du dogme chrétien ? — a. Anthropomorphisme au point de départ. On ne veut admettre aucun mode d’activité en Dieu, que par analogie avec l’activité humaine, soit sensible, soit intellectuelle. Qui prouve donc que ce soit le seul type possible de causalité’.’Cela n’est vrai que si l’on prend pour premier principe ce pur postulat : l’homme est la mesure de Dieu. — b. Anthropomorphisme au point d’arrivée. C’est chose manifeste dans l’idéalisme contemporain. Cette évolution de l’idée est copiée plus ou moins fidèlement sur le processus de la pensée humaine, et voici la contradiction notée déjà par saint Irénée. On proclame l’absolu transcendant, inconnaissable, ignotum omnibus, puis on transporte en lui, pour expliquer l’origine des ciioses, toutes les affections et les passions de l’homme. Cont. hser., 1. II, c. xiii, n. 3 sq., P. G., t. vii, col. 743. Il se connait, il se pose, il évolue : anthropomorphisme intellectuel. Saisset, Essai de philosophie religieuse, 3’édit., t. ii, p. 74. Le matérialisme n’échappe pas à cette erreur. « Ce qui fait illusion aux métaphysiciens de l’athéisme, écrit Mfl’d’Hulst, c’est que, après avoir refusé à la matière initiale toute autre propriété que la masse et le mouvement, ils lui restituent furtivement par la suite toutes les propriétés de la cause première, » Mélanges philosophiques, p. 259, 261, et cette matière veut, pense, tend vers un idéal, etc., tout comme nous. — c) Contradiction partout. Pour ne pas accepter le dualisme du créé et de l’incréé, on proclame que l’absolu est le relatif, l’i luparfait le parfait par identité : c’est du moins l’aboutissement logique de tout monisme. Les philosophes monistes ne sauraient être très sensibles au reproche d’impiété, puisqu’ils n’admettent pas un Dieu personnel et transcendant ; il est du moins inconcevable qu’ils prennent leur parti de tant d’illogisme : une telle manière de résoudre la difficulté en l’exaspérant n’est pas pour satisfaire précisément ceux qui demandent à peser les raisons et les mots..1. Simon. La religion naturelle, in-12, Paris, 1873, p. 85 sq. ; Farges, L’idée de Dieu, in-8°, Paris, 1894, p. 456 sq. ; Saisset, op. cit., p. 73 sq.

On trouvera, col. 2037, la réponse aux difficultés qui concernent la possibilité a priori, l’intelligibilité d’une création ex nihilo, et, col. 2038 sq., le développement des idées que nous venons d’indiquer sur les contradictions du monisme. A voir les inextricables difficultés que soulèvent, non pour l’imagination, mais pour la raison philosophique, tous ces essais d’explication, on se prend à soupçonner qu’une inspiration providentielle a du suggérer à l’écrivain des expressions si heureuses, Gen., I, 3 sq., et dixit Dominus, etc., qui nous exposent de l’acte divin ce que nous pouvons en entrevoir, intelligere, sans épuiser ce qu’il contient de connaissable pour Celui qui seul peut le comprendre, comprehenderc. Et sans doute l’image est naïve et faite pour les simples, descendensad pari ulorum capacitatem, disait saint Augustin, De tien, ad litt., 1. II, c. vi, n. 13, /’. L., t. xxxiv, col. 268 ; mais elle oiire assez à penser à qui réfléchit. Simple et riche de sens. elle a le cachet des maîtres ; si la prétention et l’obscurité de quelques autres trouve des admirateurs, est-on bien sur que ce succès soit de bon aloi’.' Le dogmatisme confiant de ceux qui les proposent n’étant