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r.liKATION


distincte de lui puisqu’il peut être sans elle, indistincte puisqu’elle ne peut être que supportée en lui et par lui émanation modale) ; transformation, si quelque agent externe détermine dans un autre un changement d’état ; création, si, par un pouvoir plus absolu, cet agent amène en dehors de soi à l’existence quelque chose qui ne préexistait en aucune façon. Ainsi : 1. par opposition avec toutes les solutions non chrétiennes, la création n’est ni procession, ni émanation, ni transformation ; par là elle se distingue du panthéisme et du dualisme ; 2. par analyse du concept, on voit qu’une création requiert : a) un principe extérieur, le créateur ; b) un terme qui n’existe pas de lui-même ; c) un intlux qui le fait passer du non-èlre à l’être et sans le tirer de l’agent le constitue comme une réalité distincte en dehors de lui.

Terminologie scolasliqiie.

Créer, c’est avec le

néant comme point de départ, terminus a quo, amener à l’être, terminus ad quem, une réalité nouvelle. S’il s’agit par exemple de produire une statue, le marbre choisi sera le terminus materialis a quo, l’état informe de cette matière première le terminus formalis a quo, la forme parfaite qu’on lui donnera, le terminus formalis ad quem. On voit facilement quelles différences existent entre une création proprement dite, creatio ex nihilo, et cette création de l’art, ou toute autre production par le moyen des causes secondes, effeclio ou efficientia. Si la forme que va recevoir le marbre peut être dite « tirée du néant » , parce qu’elle n’existe pas encore en elle-même, ex nihilo sui, elle ne l’est point pourtant, en tant que produite par le moyen de ce bloc qui déjà la renferme en quelque sorte, comme le sujet supporte ses diverses manières d’être, puisqu’il suffit de le travailler pour la faire apparaître, non ex nihilo subjecti. Au contraire, si rien ne préexiste, ni forme de statue, ni matière qui la contienne en puissance, produire la statue, c’est la créer, la tirer du néant. C’est là ce que l’École exprime en délinissant la création : 1. en raison du terme d’origine, produclio rei ex nihilo, ex ni/tilo sui et subjecti ; 2. en raison du résultat final qui n’est pas une modification accidentelle, mais la constitution de toute la réalité d’un être, produclio rei secundum tolam substantiam ; 3. en raison du terme visé par le créateur, qui est précisément d’appeler à l’existence un être nouveau, produclio enlis in quantum ens.

Pour éviter les confusions que provoque l’usage indistinct du même mot en de multiples acceptions, les scolastiques distinguent avec soin la création considérée comme l’acte créateur, creatio activa, et la création prise pour le devenir de l’effet, creatio passive, la création entendue dans son principe, c’est-à-dire l’agent lui-même et ses facultés, creatio principiative, ou dans son résultat, c’est-à-dire la créature, creatio terminative. Enfin, pour séparer, dans le récit de la Genèse, ce qui convient à la création au sens strict, de ce qui est modification, transformation, évolution subséquente, ils reconnaissent encore une creatio prima, à qui convient en rigueur la définition de produclio ex nihilo, c’est la création de la matière cosmique, et une creatio secundo, qui est l’élaboration, l’ordination de cette matière créée à l’origine. La création première pourrait s’entendre de Gen., i, 1, opus creationis ; la création seconde s’appliquerait à l’œuvre des six jours, Gen., i, 3 sq., opus distinctionis et ornamenti. Il ne sera question dans celle étude que de la création première, creatio ex nihilo.

¥ intelligibilité du concept. — 1. La creatio ex nihilo n’est donc pas l’acte contradictoire dans les termes par lequel Dieu, avec le néant comme matière première, façonnerait toutes choses. Les déclarations des Pères et des théologiens sont formelles et constantes sur ce point. Encore ne combattent-ils pas une opinion reçue

même du petit nombre : ilprotestent contre les absurdités qu’on leur prête pour les commodités de la discussion. Produire ex nihilo, c’est dire seulement non ex Deo. S. Augustin, Opta imnerf. contra.lui., I. V, c..i.ii, P. L., t. xi. iv. col. 1479. Ce n’est pas tirer quelque chose de rien, comme si rien était quelque chose et matière première positive, non materialiter ex, ni se servir de rien comme d’un instrument réel, non causaliter per, mais faire succéder quelque chose à rien par la seule puissance de l’agent, ordinaliter post. S. Bonaventure, In IV Sent., I. II, dist. I, p. i. a. 1, q. i, ad 6° iii, Quaracchi. t. ii, >. 18 ; v Anselme, Monolog., c. viii, P. L., t. ci.viii, col. 155. <, >uand on dit faire quelque chose de rien, la préposition de n’indique pas la matière première, causant materialem, mais le seul ordre de succession, sed ordinem lantum, de même qu’on dit de l’aube vient le jour, pour après le matin vient le midi. S. Thomas, Sum. tlteol., [ « , q. xlv, a. 1. ad 3um. De même que l’homme s’engendre du non-être qui est le non-homme, de même la création qui est production de l’être tout entier, emanatio totius esse, se fait du non-être qui est néant, lbid. Faire quelque chose de rien, suivant la définition courante de la création, r-ignilie donc ordre de succession, non ordre de provenance. Lien comprise, la formule est claire et commode dans sa brièveté.

Les scolastiques la précisent encore. « Impossible, dit Scot, de rien produire du néant absolu. Rien en effet ne se crée qui n’ait préexisté dans une intelligence on une volonté, quod non prius habuerit esse intelleclum vel volitum. t> In IV Sent., 1. IL dist. I, q. i, n. 7, Opéra, Paris, 1893, t. XI, p. 63. « Ainsi, comme il est clair que les choses ont été produites n’étant rien avant d’être faites, en tant qu’elles n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant et qu’il n’existait pas de matière dont on les formât, nec erat ex quo fièrent, cependant elles n’étaient pas néant quant à l’idée de l’agent par laquelle et selon laquelle « Iles devaient être faites. » S. Anselme, loc. cil., c. IX sq.. col. 157 sq. ; S. Thomas, De potentia, q. ni. a. I. ad 7um. Si l’on ne suppose donc un être premier, en qui préexistaient toutes choses, quant à leur type dans son intelligence, quant à leur possibilité dans sa puissance et dans -a volonté, éternellement rien ne sera. La question : 1e la création se ramène par conséquent à celle-ci : posé un être infini, lui est-il possible de réaliser ses idées hors de soi ?

2. La notion de création ex nihilo est donc intelligible, puisqu’elle contient quelques idées simples très claires : être cause — de quelque chose hors de soi — sans rien de préexistant hors de soi ; et qu’elle est l’objet de négations très précises. L’idée demeure imparfaite, inadéquate, comme tant d’autres ; on pense du moins quelque chose et l’on sait ce que l’on dit.

3. La création ex nihilo peut même, dans une certaine mesure, être l’objet d’une représentation mentale. La création passive a son image équivalente dans l’apparaître de tout phénomène physique qui commence, ou si l’on veut dans toute illusion des sens qui nous montre un effet sans cause apparente, esse post non esse ; la création active a son analogue, comme image, soit dans la causalité externe, soit dans la causalité interne, dans tout phénomène psychique qui commence sur une détermination de la volonté libre. L’image est sans doute imparfaite, mais en somme elle l’es ! moins que lorsque nous nous représentons les réalités immatérielles avec des mots, ou avec des images matérielles, usant de racines qui veulent dire souille, forme, peser, pour traduire âme, idée et pensée. Il suffit qu’il y ait quelque analogie entre les deux « apparaître » et les deux causalités, pour que nous puissions avoir dans l’esprit quelque notion intelligible, et dans l’imagination quelque symbole de l’une par l’autre. Il