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CORPORATIONS


Ainsi le réclament la pleine vie et la parfaite logique de la foi vive qui cherche le règne de Dieu comme la (in de toutes les choses. Léon XIII s’en réfère expressément à celle recherche première et prédominante du règne de Dieu, pour conclure au caractère chrétien des corporations ; c’est bien chez lui une doctrine de principe.

Néanmoins, sous Léon XIII et sous Pie X, une grande élasticité d’application est prudemment reconnue à ce principe de la corporation chrétienne. Le pape laisse faire et même approuve, comme on va le voir. Les cas les plus divers se produisent chez les catholiques, sous le rapport de la constitution religieuse des syndicats.

En Belgique.

Ce pays nous présente un type de

syndicats ou de sociétés ouvrières proprement catholiques, dans la classe agricole : syndicats d’acheteurs, laiteries coopératives, mutualités. Principalement établis dans les paroisses du Luxembourg, des deux Flandres, du Limbourg, du Hainaut, ces groupements doivent leurs possibilités de recrutement et d’extension à deux causes fondamentales : 1. la vie chrétienne des masses ; 2. la confiance inébranlée encore de celles-ci envers leurs curés et les propriétaires ruraux qui se vouent aux initiatives sociales de concert avec le clergé. On seraiten droit d’en conclure une sorte de loi sociale : le syndical expressément catholique a chance de s'établir à proportion des deux causes énumérées ci-dessus.

Mais, là encore, les tempéraments de l’application prudentielle font fléchir la rigueur du principe. D’après l’enquête de M. Max Turmann, Les associations agricoles en Belgique, Paris, 1903, les fondateurs et les chefs de ces groupes surent proportionner leur caractère religieux aux circonstances locales avec une grande tolérance : plus marqué dans le Pays llamand, ce caractère s’atténue davantage en Wallonie. Par contre, « dans les grands centres industriels du pays, dans les quatre grandes villes, dans quinze au moins des vingt et une communes belges ayant une population de vingtcinq à trente mille habitants, la majorité des hommes adultes, appartenant à la classe ouvrière, persiste, malgré toutes les œuvres déjà créées, à rester hostile ou indifférente à l’influence catholique. » Association catholique, 15 août 1901, p. 140. Cf. R. P. Rutlen, L’Union internationale des ouvriers chrétiens, dans l’Associ’ation catholique, 15 juin 1902, p. 473, 495. Cette dernière constatation marque très bien les limites où le principe de l’association ouvrière formellement religieuse devient en fait inapplicable.

2° En France, l’indifférence ou même l’hostilité des masses ouvrières, la méfiance envers le clergé et les amis du clergé généralisent l’impossibilité pratique du syndicat formellement chrétien. C’est ce que reconnaît M.Max Turmann, L'œuvre des catholiques sociaux en France, depuis l’encyclique Rerum novarum, dans l’Association catholique, 15 mars 1901, p. 194.

Comme le reconnaît encore le même observateur, des sociétés ouvrières ayant un caractère confessionnel ne pouvaient dès lors grouper que des minorités. 1. Minorités éparses, exceptionnellement atteintes par des influences religieuses : à Paris, la Fédération du livre, qui groupe les employés et ouvriers des grandes imprimerieset librairies catholiques, Association catholique, 15 juin 1899 ; les divers syndicats d’anciens élèves des Frères, notamment celui des Employés du commerce et de l’industrie comprenant près de trois milliers d’adhérents. Ibid., 15 mars 1901, p. 207. — 2. Il y a aussi des régions, où les syndicats formellement catholiques se propagent un peu : dans l’Ouest, la Fédération du Centre-Ouest, ibid., loc. cit., p. 199 ; dans le Nord, les groupes formés sous l’intluence d’ouvriers comme MM. Leclercq, Decopman et quelques-uns de leurs camarades, loc. cit., p. 207. Mais ces groupes sont

plutôt rares, et ils demeurent la minorité dans l’ensemble de la classe ouvrière fiançai-.-.

Il y a aussi les Syndicats jaunes ; mais « les syndicats jaunes ne sont pas des syndicats chrétiens ; ils n’ont pas, comme tant de syndicats rouges, une attitude antireligieuse ; mais ils ne sont aucunement des syndicats confessionnels, dont la religion ait plus ou moins à répondre. De syndicats confessionnels proprement dits, il n’en existe pour ainsi dire pas en France : il y a seulement un petit nombre de syndicats d’ouvriers et d’employés se recommandant ouvertement des principes de la démocratie chrétienne » . H. Savatier, A propos de lagrève des mineurs, p. 501. Cf. Max Turmann, Rouges et jaunes, dans la Quinzaine, i" et 15 octobre 1902.

Ce n’est donc pas un type d’associations expr< ment confessionnelles que la mentalité de l’ouvrier français permet d'établir ; mais simplement un type professionnel, où il appartient aux chrétiens d’entrer et d’agir, comme sérieux et honnêtes entre tous.

3° Entre ce type laïcisé et le type catholique, l’Allemagne et la Hollande présentent des associations mixtes de catholiques et de protestants, dites syndicats chrétiens. H. Savatier, Les syndicats chrétiens d’Allemagne, d’après le R. P. Rutlen, dans l’Association catholique, 15 février 1903, p. 166 ; R. P. Rutlen. L’Union internationale des ouvriers clirctiens de l’industrie textile, ibid., 15 juin 1902, p. 478. Ces sociétés interconfessionnelles s’unissent dans les principes généraux de la justice chrétienne, contre les socialistes et les révolutionnaires. Elles combattent la tactique de la « lutte des classes » , par des efforts de réconciliation et de paix sociale. « Les conllits entre travail et capital ne pouvant pas toujours être évités, les syndicats [interconfessionnels] cherchent les moyens de les apaiser et, pour cela, dans chaque usine, ils s’efforcent de faire régler les conditions nettes de salaire et de travail par les deux parties en cause, en fixant les tarifs par contrat, et en instituant des conseils d’usine. » Giesberls, Les syndicats chrétiens en Allemagne, dans l’Association catholique, 15 mars 1904, p. 219. Pour assurer l’entente parfaite à cette fin, entre catholiques et protestants, ces syndicats « excluent toutes les questions purement religieuses et politiques ; ils limitent ainsi l’action du syndicat à la solution du problème économique, dans l’intérêt et au profit de leurs forces concentrées » , p. 216.

D’ailleurs, cette fédération interconfessionnelle coexiste avec des sociétés confessionnelles où se répartissent leurs divers membres : en 1903, d’après M. Giesberts, l’Allemagne comptait 1 292 associations ouvrières catholiques, avec 204 500 membres, dans l’Allemagne du Sud et de l’Ouest, p. 216.

Quelle est l’attitude du clergé en face des groupes interconfessionnels ? D’après M. Giesberls, elle dissipa ses craintes primitives au spectacle des résultats obtenus : indépendance et dignité des ouvriers, diffusion parmi eux des notions économiques et sociales, des renseignements exacts sur les conditions de leurs diverses industries ; puissance véritable sur le marché du travail en face des patrons ; inlluence acceptée par les parlementaires et les hommes d'État, p. 222.

Cependant, il y eut et il y a peut-être encore des opposants. Les associations ouvrières catholiques de l’Allemagne du Nord et de l’Est réclamèrent des syndicats purement catholiques « sous l’inspection des prêtres » , dit M. Giesberts, qui reproche à cette réclamation de diviser les forces morales et religieuses de la classe ouvrière allemande, et de repousser de nombreux ouvriers catholiques.

Quoi qu’il en soit de ces oppositions, une note officielle de l’Osservatore romano. 23 janvier 1906, montra les dispositions plus larges du saint-siège, disant : g Comme on a invoqué l’autorité du pape au profit des