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CORPORATIONS

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    1. CORPORATIONS##


CORPORATIONS. — -I. Définition, d’après l’encyclique Rerum novarum. II. Nouveauté du problème pour les théologiens. 111. De quel droit les corporations existent. IV. Principes religieux des corporations. V. Principes sociaux d’organ.sation. VI. Rapports avec l’État. VII. Effets sociaux. VIII. Questions controversables.

I. DÉFINITION, D’APRÈS L’ENCYCLIQUE RERUM novarum (15 mai 18 !)1). — Léon XIII recommanda fortement les sndalilia opificum, pour une honnête et chrétienne solution do la question sociale. Le traducteur officiel de l’encyclique (cardinal Perraud) interpréta le mot par celui de corporations ouvrières (§ Postremo domini ipsique opifices). Un peu plus loin, le texte original appelle sodalilia opificum des sociétés purement ouvrières et des sociétés mixtes d’ouvriers et de patrons. Dans un autre passage, le latin collegia se traduit par corporations ou syndicats (§Verum tamen in lus).

Ainsi, dans l’usage de Léon XIII et de son interprète approuvé, corporation devient synonyme de groupement entre des travailleurs de la même industrie ou du même métier ; et cela, dans un sens large qui inclut aussi bien le syndicat moderne, soit ouvrier, soit mixte.

C’est un sens neuf du mot corporation. Dans l’usage ordinaire des historiens, sociologues ou économistes, le terme ne manque pas d’une saveur prononcée d’archaïsme, qui lui donne une toute autre compréhension : il signifie à proprement des groupements de maitresartisans qui, par degrés, s’assurèrent le monopole des métiers, au moyen âge et dans l’ancien régime.

L’acception nouvelle de ce vocable antique chez Léon XIII répondit sans doute à sa spéciale acception parmi les groupes de catholiques allemands, autrichiens, belges, français, italiens et suisses, qui sont connus maintenant sous le nom de catholiques sociaux. Ces groupes constatèrent les graves injustices auxquelles son isolement expose l’ouvrier moderne, et en particulier l’ouvrier de la grande industrie ; de là, cette conclusion que les anciennes corporations furent injustement supprimées par la Révolution et que de nouvelles sont réclamées par la justice, en vue des temps actuels. L’écho direct de ces pensées se retrouve dans l’exorde même de l’encyclique Rerum novarum. Ainsi le pape introduisait dans son propre enseignement un terme que les fidèles, des hommes d’action, en même temps que d’étude, prenaient l’initiative de rajeunir et de populariser. C’était comme une parole de l’Église enseignée, de l’Église chercheuse et apprenante, que l’Église enseignante vérifiait bonne et consacrait, par l’organe de Léon XIII.

Observons, toutefois, une réserve incontestable du pontife. Il s’abstient de prendre parti avec tel ou tel groupe de catholiques, dans la définition controversée du régime corporatif. Association professionnelle entre ouvriers seuls ou bien entre patrons et ouvriers, tel est le sens général du mot corporation dans l’enseignement de Léon XIII. C’est dans ce sens que le problème corporatif se pose comme relevant de la morale chrétienne ; et, à ce titre, il intéresse la compétence des théologiens.

IL Nouveauté du problème pour les théologiens.

— Cette nouveauté ressort de la comparaison entre le silence général des anciens et les paroles de Léon XIII ou de plusieurs contemporains ; de part et d’autre, des raisons de temps et de circonstances expliquent l’opposition des attitudes.

1° Comment les anciens ignoraient le problème Corporatif. — Contrairement à d’autres problèmes sociaux, les anciens théologiens ne se posèrent jamais le problème des corporations ; c’est que ce problème n’était pas directement influencé par des données de J’Eciiture ou de la tradition, comme celui du mariage ;

il n’était pas non plus posé par Aristote, le philosophe des théologiens et leur initiateur méthodique à la philosophie sociale ; il n’était pas imposé par les événements et les discussions de l’époque, à la manière de la question juive chez saint Thomas ; 11 était résolu pratiquement, sans discussions juridiques ni philosophiques, entre artisans, en dehors du monde universitaire où spéculaient les théologiens. Par cet ensemble de causes, le problème corporatif leur demeurait étranger.

Cependant, une attitude existait déjà, dans l’Eglise, où se dessinait implicitement une doctrine générale sur le droit des ouvriers à s’assembler professionnellement.

Du côté de l’Église qui est peuple, de l’Église enseignée, l’esprit chrétien des maitres-artisans les portait à des actes spontanés et collectifs de religion, tandis que leurs intérêts de métier les groupaient économiquement. A Toulouse, au XIIIe siècle, les corporations possèdent chacune son patron et sa lampe, qu’elles allument devant l’autel du saint : les charpentiers ont saint Joseph pour protecteur ; les forgerons, saint Éloi ; les boulangers, saint Pierre ; les parcheminiers, Notre-Dame de la Chandeleur. Aux xiv « et xve siècles, les corporations forment des sociétés religieuses, dénommées confréries. Celles-ci se réunissent dans une chapelle spéciale pour des services funèbres ou des solennités particulières. Le serinent consacre l’observance des statuts. Cette dernière pratique atteste évidemment une certaine utilisation de la religion pour les fins et les intérêts de la corporation ; mais elle n’atteste pas moins l’initiative religieuse des ouvriers, comme membres laïcs de l’Église : ils ont conscience pratiquement que Dieu bénit leur groupement professionnel. C’est le commencement 171stinctif d’une doctrine catholique dans la conscience des fidèles.

L’Église dans sa hiérarchie partage cette attitude et les pensées qu’elle enveloppe. Si les prieurs, abbés, chanoines, recteurs, évêques, ouvrent leurs locaux réguliers, chapelles, collégiales et cathédrales aux assemblées corporatives et aux confréries, comme cela se voit pendant des siècles, ces actes constituent la reconnaissance pratique d’une organisation religieuse et sociale. Or ils se retrouvent dans toute l’Europe, ces actes de bon accueil, dans toute la chrétienté. La hiérarchie catholique prend là une attitude universelle. Sans rendre aucune sentence doctrinale, elle proclame usuellement le droit corporatif dans une foule de relations amicales, au bénéfice des corporations.

Ce n’est pas que partout l’Église approuve en bloc tout ce que font les corporations. Elle proteste en particulier contre l’abus de certaines dévotions. Ces mesures de prudence accusent d’autant mieux l’approbation tacite et pratique donnée au principe général de l’association ouvrière.

Cependant, au point de vue de la doctrine, cette approbation purement usuelle ne constitue qu’un état implicite, un état imparfait de la pensée catholique. Il appelle des développements.

2° Les faits nouveaux qui posèrent le problème corporatif. — C’est depuis la Révolution française que les maux de la classe ouvrière et les problèmes conséquemment soulevés ont provoqué ce développement. Dans un mélange de centralisation jacobine et de réaction contre des abus, la Constituante interdit toute assemblée particulière des citoyens pour motifs d’intérêt commun. L’État devait pourvoir à tout, et, en dehors de son action, chaque ouvrier devait se suffire. Le Play, La Réforme sociale en France, t. iii, p. 358. Malheureusement, les anciennes corporations s’étaient aliéné l’opinion. Leurs exigences de monopole, si soui vent tyranniques et ridicules, allaient trop manifestement conire l’essor de la production par l’usage des