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CONSTANTINOPLE (ÉGLISE DE)

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A mesure que les relations de Constantinople avec les Églises orientales favorisaient son ambition et ses projets de domination universelle, sa conduite envers la papauté devenait moins conciliante, pour ne pas dire plus agressive. Tant que l’empire byzantin eut à sa trie des empereurs comme Marcien, 450-457, et Léon 1°, 457-174, les rapports entre l’Orient et l’Occident furent des plus cordiaux et les difficultés inévitables entre gens de race, de langue et de culture différentes, s’aplanirent au moyen de concessions réciproques. Tout changea à l’avènement de Zenon, 474-491. Ce rustre isaurien, que ses talents militaires avaient fait général, puis gendre de l’empereur, puis empereur, se sentait assez dépaysé dans les controverses théologiques ; mais il avait vécu de longues années en Syrie, la terre classique des hérésies, il avait subi l’ascendant de Pierre le Foulon, un monophysite, et il était d’humeur assez capricante. N’eùtce été que par amour du changement, il aurait volontiers modifié l’ordre de choses établi et fait du monophysisme la seule religion d’État. Il avait à se garder pourtant contre les aventures et les décisions trop brusques, qui l’avaient déjà renversé du trône et qui pouvaient lui susciter encore plus d’un compétiteur. Durant l’usurpation de Basilisque, 476-478, le rnonophysismc pur avait été imposé à l’empire par l’Encyclique, et l’empereur avait trouvé chez 500 évêques assez de servilisme pour souscrire ses décisions dogmatiques ; mais l’opposition des moines et du peuple de Constantinople l’avait bientôt contraint à retirer son édit par une Contre-Encyclique. L’expulsion de Basilisque et son propre rétablissement étaient le contre-coup de cette émeute populaire ; Zenon ne l’oubliait pas. Toutefois, sans se compromettre autant que son parent, il se crut de force à rétablir l’harmonie dans son empire, au moyen d’un formulaire d’union ou Hénotique (482). Cet édit politico-religieux, œuvre du patriarche Acace, 471489, prétendait ramener l’empire à cinquante ans en arrière, en condamnant tout ce qui s’était dit et tout ce qu’on avait défini pour ou contre les deux natures ; il échoua comme échouent toutes les formules hybrides, qui veulent contenter tout le monde et ne satisfont personne. Les monophysites rigoureux refusèrent de s’engager dans cette voie et constituèrent la secte des acéphales ; quant aux catholiques, ils menèrent sous la direction du pape une campagne vigoureuse contre le formulaire impérial. Le résultat de ces discusions religieuses fut que le pape Félix III se vit contraint, en 484, de rejeter de l’Église le patriarche Acace, le véritable inspirateur de cette politique, et tous ceux qui, pour des motifs divers, faisaient cause commune avec lui. Ainsi commença le funeste schisme dit d’Acace, qui dura 35 ans, 484-519, et tint pour la première fois l’Orient tout entier séparé de la communion romaine. Voir Acace, t. i, col. 288 sq.

En effet, avec l’avilissement qui caractérise l’épiscopat en Orient, les patriarches et les évêques s’étaient empressés de signer lTIénotique. Qu’ils fussent monophysites comme Pierre Monge à Alexandrie, Pierre le Foulon, Palladius et Sévère à Antioche, ou orthodoxes comme Martyrius, Salluste, Élie à Jérusalem, et Flavien à Antioche, tous avaient envoyé ou envoyèrent plus tard leur adhésion. La mort d’Acace, en 489, ne termina pas le schisme. Son successeur, Fravitas, 489-490, chercha à obtenir la confirmation de Rome, mais sans rompre avec Pierre Monge et sans renoncer à l’Hénotique ; il mourut avant d’avoir reçu la réponse négative du saintsiège. Euphémios, 490-496, était orthodoxe, mais orthodoxe modéré. Tout en rétablissant le nom du pape dans les diptyques de son Église, il refusa d’en effacer ceux de ses deux prédécesseurs, et, sans vouloir admettre la communion de Pierre Monge ni condamner le concile de Chalcédoine, il signa l’Hénotique qui le détruisait indirectement. Aussi ne put-il jamais entrer en com munion avec Rome. Il fut déposé en 496 par l’empereur Anastase I er, 491-518, eutychien déclaré et manichéen en secret, qui poursuivait de sa haine tous les évêques et tous les prêtres, plus ou moins favorableau rétablissement du LV" concile. Macédonius II, 496-511, représentait à peu près la même nuance religieuse que son prédécesseur. Lui aussi souscrivit l’Hénotique, ruais refusa constamment de condamner les décisions de Chalcédoine ; peu à peu, il en arriva même à se tourner de plus en plus vers les catholiques, à mesure que l’empereur accentuait son mouvement vers le rnonophysisme. Comme Euphémios, il fut déposé et banni, août 511, et remplacé par Timothée, prêtre indigne et monophysite avéré, 511-518. La mort de l’empereur et du patriarche, 518, délivra l’empire et la capitale d’un double fléau, et l’union avec Rome fut solennellement rétablie à Constantinople par les légats du pape, le 24 mars 519. Le formulaire de foi, envoyé par le pape Hormisdas, fut signé par le patriarche Jean II, 518-520, et par ses évêques ; les Grecs consentirent également à rayer des diptyques les noms d’Acace et de ses successeurs ; seuls, Euphémios et Macédonius II ne furent pas condamnés nominativement.

Ainsi prit fin cette malheureuse séparation, causée par l’ambition d’Acace et la stupidité de Zenon. Les prélats d’Orient s’y montrèrent ce que nous devons les retrouver plus tard en tant d’autres circonstances : moins soucieux d’être unis à Rome qu’à la cour et cherchant à favoriser les vues de l’État plus que les intérêts de l’Église. De là, des compromissions scandaleuses qui nous paraissent de vraies apostasies, des signatures de formules ambiguës qui trahissaient la foi en la passant sous silence ; de là surtout, des complaisances pour le pouvoir royal et pour ses créatures, parvenues aux plus hautes charges de l’Église, des concessions coupables, faites sous couvert d’économie et qui devaient peu à peu acculer leur Église au schisme définitif.

Sous Justin I er, 518-527, et sous Justinien, 527-565, l’Église romaine jouit d’une haute considération à Byzance ; son autorité s’exerce sans contestation aucune et, si des difficultés surgissent entre le pouvoir pontifical et la cour impériale, elles sont causées par la manie qu’a le basileus de régenter et d’ordonner tout, et de traiter indifféremment les choses de l’Église comme celles de l’État. Pour la première fois, un pape apparaît à Constantinople dans la personne de Jean I er (524), qui est reçu avec les plus grands honneurs et traité avec les marques de la plus grande vénération et du plus grand respect. Moins de douze ans après, Agapit accomplit le même voyage ; il parle et agit en maître, il dépose le patriarche monophysite Anthime (536), et meurt à Constantinople même dans tout l’éclat de son triomphe. A son tour, le pape Vigile (537-555) se rend sur les bords du Bosphore, mais compromis par ses louches négociations antérieures avec Théodore, craignant de s’aliéner l’Occident en se pliant aux caprices de l’Église orientale, il tient une conduite équivoque et indigne dans l’alfaire des Trois-Chapitres, condamne un jour ce qu’il avait approuvé la veille, avilit le prestige de la papauté jusque-là sans flétrissure et, sans avoir gagné l’affection des Orientaux, indispose et tourne contre lui la moitié des peuples d’Occident. C’est là vraiment que le despotisme de l’État byzantin éclate aux yeux de tout le monde. Dans cette lutte de plusieurs années contre un vieillard sans volonté et dénué de tout secours humain, le tyran religieux qu’est Justinien essaye vaij nement les pires mesures ; il se déshonore lui-même plus qu’il n’a déshonoré sa victime et quand le pape meurtri, poussé à bout, cède enfin à ses désirs, il déclare pourtant agir dans la plénitude de son autorité et ne veut tenir compte ni des théologiens de la cour, ni des évêques réunis dans un concile.