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CONTEMPLATION


quiétude. Cornons-nous à quelques extraits. Racontant comment, avant sa conversion définitive, elle (Hait purfois élevée à l’état mystique durant un temps très court : « Quelquefois, dit-elle, au milieu d’une lecture, j’étais tout à coup saisie du sentiment, de la présence de Dieu. Il m’était absolument impossible de douter qu’Une fût au dedans de moi. » Vie par elle-même, c. x. « Durant l’oraison de quiétude, dit-elle ailleurs, l’âme ne voit pas l’adorable maître qui l’instruit ; elle sait seulement avec certitude qu’il est avec elle. » Sur le Cantique des cantiques, c. IV.

Que telle soit aussi la pensée de saint François de Sales, ces quelques lignes extraites de son Traité sur l’amour de Dieu suffiront à le prouver : « L’âme qui est en quiétude devant Dieu suce insensiblement la douceur de cette présence… Elle n’a aucun besoin, en ce repos, de la mémoire, car elle a présent son amant. Elle n’a pas non plus besoin de l’imagination, car qu’est-il besoin de se représenter en image, soit extérieure, soit intérieure, celui de la présence de qui on jouit ? » L. VI,

c. VIII.

D’après Scaramelli, cette expérimentation de Dieu est l’indice irrécusable de la quiétude. « On observera, dit-il, si l’âme connaît Dieu présent par une certaine connaissance expérimentale qui lui fasse sentir et savourer sa présence, et si, sans aucune fatigue, elle sent le calme, le repos et la paix intérieure, du moins dans les facultés spirituelles. S’il en est ainsi, l’âme est déjà élevée par Dieu à ce degré d’oraison. » Directoire mystique, Venise, 1754 ; Paris, 1865, tr. III, n. 32.

Ces citations suffisent, nous semble-t-il, à démontrer que le sentiment de la présence de Dieu s’éveille dans l’âme dès que celle-ci jouit de la contemplation mystique, c’est-à-dire dès que Dieu lui donne l’oraison de quiétude. Ce sentiment, qu’on veuille bien le remarquer, n’est nullement réductible à celui qu’une dévotion ordinaire fait éprouver. Une âme recueillie sous le regard de Dieu, peut, à l’aide de l’imagination, se représenter Dieu présent en elle : rien de plus légitime que cette représentation, et rien qui facilite davantage le recueillement et les épanchements de l’amour. Mais cette image de Dieu, dont nous sommes les auteurs, ne ressemble en rien à la réalité que la contemplation mystique nous fait sentir et nous fait toucher au plus intime de nous-mêmes. De cette perception de Dieu, ainsi que de cet attouchement de Dieu, naît en nous un sentiment qu’on ne peut confondre, quand on l’a goûté une fois, avec aucune des joies de la dévotion ordinaire L’âme s’aperçoit fort bien qu’elle est dans une voie nouvelle, que ce sont choses jusque-là inconnues d’elle. « Quand après une longue étude de la pureté de cœur, dit le P. Louis Lallemant, Dieu vient à entrer dans une âme et à s’y montrer ouvertement par le don de sa sainte présence, qui est le commencement de ses dons surnaturels, l’âme se trouve si charmée de ce nouvel état, qu’il lui semble qu’elle n’avait jamais connu ni aimé Dieu. » Doctrine spirituelle, 7e principe, a. 2, § 1.

La présence de Dieu sentie, tel est donc le caractère fondamental de la contemplation mystique, le trait qui lui donne sa physionomie particulière. Malheureusement, selon la remarque très judicieuse du P. Poulain, « les écrivains de seconde main n’ont pas toujours assez mis cette vérité en lumière dans leurs descriptions. Ils s’attardent à noter les circonstances secondaires qui ne donnent pas d’idées précises. Ils disent, par exemple, que cette contemplation diffère de la contemplation vulgaire en ce qu’elle est plus profonde, plus sublime, plus suave, etc. Mais ce sont là des différences de quantité, non de qualité et d’espèce. » Mystique de S. Jean de la Croix, p. 18, note 1.

3° Jusqu’à présent, notre conception de la contemplation mystique reste passablement nuageuse. Nous savons qu’elle est une sensation spirituelle d’un genre

particulier : c’est quelque chose déjà. Mais ne serait-il pas possible de préciser davantage, d’emprunter, par exemple, à l’un de nos sens corporels une analogie qui éclairerait pour nous la question ? Il a semblé aux écrivains mystiques que l’entreprise n’était pas irréalisable : ils ont cherché quel est celui de nos sens extérieurs qui pouvait nous donner l’idée la plus exacte de la sensation spirituelle produite par l’état mystique, et voici le résultat de leurs recherches. Cette sensation, ont-ils dit. n’a rien d’analogue, du moins dans les degrés inférieurs, avec celle que nous fait éprouver la vue : nous ne voyons pas Dieu dans la contemplation mystique. Les locutions dont se servent les mystiques, comme « contempler Dieu dans l’obscurité, le contempler dans la divine ténèbre » , prouvent bien que la vue spirituelle ne trouve nullement sa satisfaction dans cet état d’oraison. Notre perception de Dieu, du moins dans les premiers degrés de la contemplation mystique, n’est donc nullement une vision de Dieu.

A-t-elle plus d’analogie avec la sensation que nous fait éprouver le toucher ? Oui, répondent les écrivains mystiques ; nous avons la sensation d’être comme immergés en Dieu. Notre sensation a quelque chose de comparable à celle d’une éponge qui est plongée dans l’océan, et qui, de toutes parts, est pénétrée par l’eau. Nous nous sentons comme placés en Dieu, enveloppés par lui, en contact avec lui. On peut donc dire très justement de cette sensation qu’elle est une sorte de palpation de Dieu. « Expliquons par la parité des touches matérielles qui s’opèrent sur les corps, la touche très suave que Dieu produit dans les âmes de ses bien-airnés, en exposant la nature de cette sensation véritable et réelle, mais purement spirituelle, par laquelle l’âme sent Dieu au plus intime de son être et le goûte avec une grande jouissance. » Scaramelli, Directoire mystique, tr. III, n. 122.

4° Une question assez importante trouve ici sa place naturelle : la contemplation mystique nous est-elle accessible ? Pouvons-nous nous hausser jusqu’à elle ? Notre solution différera absolument de celle que nous avons indiquée lorsqu’une question identique s’est posée au sujet de la contemplation acquise. Ni la production de la contemplation infuse, ni sa durée, ni son intensité, ne dépendent de nous : tout ici vient de la munificence divine. « Un soufile de vent, dit Alvarez de Paz, soulève la paille qui est sur la terre et la tient suspendue. Que le vent cesse : la paille retombe à terre. De même, c’est le soufile de l’Esprit-Saint qui suspend les facultés intellectuelles et qui enllamme d’amour la volonté. Sitôt que ce souffle ne soutient plus l’âme, elle retourne aux choses visibles. Nous disposer à la contemplation mystique par une grande pureté de cœur, par l’abnégation, par le sacrifice, voilà ce que nous pouvons. Mais atteindre à cette contemplation, si Dieu lui-même ne nous hausse jusqu’à elle, la chose nous est impossible. » De inquisitione pacis, 1. V, part. II, c. xii.

5° Cette contemplation à laquelle nous ne pouvons nous élever par notre industrie personnelle, nous sera-t-il permis du moins de la désirer et de la demander à Dieu ? Les écrivains mystiques n’ont pas tous abordé la question ; il semble que plusieurs aient voulu esquiver la difficulté. Mais ceux qui n’ont pas reculé devant le problème l’ont tous résolu en affirmant la légitimité de ce désir et de cette demande. Voici d’abord le témoignage d’un de nos mystiques les pluséminents : « Il nous faut, dit Alvarez de Paz, distinguer de la contemplation mystique les dons particuliers qui peuvent lui être ajoutés, tels que les extases, les ravissements, les visions corporelles ou imaginaires. Désirer ces dons et les demander est chose défendue. Celui qui les reçoit doit même décliner avec humilité un si périlleux honneur, et supplier Dieu plutôt de le faire marcher par la voie royale de la souffrance. Quant à la contempla-