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CONTEMPLATION


les joies de la contemplation servant de contrepoids aux peines endurées p ; ir les saints et aux travaux héroïques soutenus par eux. Prétendre qu’on peut porter facilement et joyeusement un tel fardeau avec les secours ordinaires de la grâce, et trouver une compensation suffisante dans les joies de la dévotion ordinaire, c’est un optimisme exagéré. C’est oublier que le Sauveur lui-même jouissait encore sur la croix de la vision intuitive. Que les saints aient été apôtres ou qu’ils aient été voués exclusivement à la contemplation, leur vie demeure une énigme dont les joies de la contemplation peuvent seules donner la clé ; et il est regrettable que si peu d’hagiographes songent à contenter sur ce point notre curiosité, à nous renseigner sur la façon dont les saints traitaient habituellement avec Dieu dans leur oraison.

II. Division de la. contemplation. — 1° Le nom de contemplation convient, ainsi que nous l’avons dit, à toute vue simple de la vérité, accompagnée d’amour. Mais les premiers écrivains qui tentèrent de décrire avec quelque exactitude les faits psychologiques placés sous cette étiquette de contemplation, s’aperçurent bientôt qu’une classification ou plutôt qu’une division de ces faits s’imposait. C’est qu’en effet telle vue simple de la vérité se révélait à eux comme le résultat des forces combinées de notre nature et de la grâce ; tandis que telle autre vue simple leur apparaissait comme un produit direct de l’action de Dieu sur une âme. Il s’agissait de trouver un nom qui peignît d’une façon suffisamment expressive chacune de ces deux classes de phénomènes très distincts. Essayons de reconstituer le travail qui dut s’opérer alors dans l’esprit des créateurs de terminologie. Ils se trouvaient, d’une part, en face d’une oraison qui réclamait le jeu ordinaire de nos facultés, et rien de plus ; ils avaient, d’autre part, sous les yeux une oraison où il se passait quelque chose d’insolite, de mystérieux, sans nulle analogie avec les phénomènes de la vie courante. Quelques ccrivaihs appelèrent cette dernière sorte de contemplation du nom de surnaturelle, voulant exprimer par là qu’elle n’avait rien de commun avec les procédés de l’oraison ordinaire. Cette dénomination était-elle heureuse ? Non certes, car elle semblait une confiscation du mot « surnaturel » au profit d’un seul genre d’oraison, alors que tous les autres, y compris la prière vocale, méritent aussi cette appellation. Puis cette première faute devait en engendrer une autre. Quel nom fallait-il alors donner à la contemplation qui est une résultante de notre travail personnel ? Il est évident qu’après avoir décerné à la première contemplation le titre de surnaturelle, on devait, en bonne logique, appeler la seconde du nom de naturelle. Quelques écrivains, Brancati entre autres, ne se sont pas effrayés de cette association de mots véritablement choquants. Mais la plupart ont compris qu’ils faisaient fausse route, et ils ont cherché mieux.

2° Le terme de contemplation infuse leur parut exprimer à merveille l’action de Dieu faisant lui-même oraison en nous, sans nous, sans notre concours. A la vérité, ce mot est très expressif ; il éveille l’idée de Dieu versant lui-même la contemplation dans une âme. Mais est-il rigoureusement exact ? Non, car il faut convenir qu’il s’applique dans une certaine mesure à toutes les oraisons. Il n’en est pas une seule durant laquelle il nous soit loisible de nous passer de Dieu, pas une où la grâce versée par lui dans une âme ne soutienne et ne transforme notre action personnelle.

Les auteurs de cette terminologie voulaient exprimer deux idées qu’il ne faut pas confondre : l’idée tout d’abord d’une grâce que Dieu verse dans l’âme durant l’oraison ; puis l’idée de la conscience que l’âme possède de cette opération divine. Que l’on veuille bien remarquer que c’est ce dernier trait qui distingue la

contemplation infuse des autres oraisons moins parfaites. Dans la pensée des écrivains mystiques, il s’agissait donc d’une infusion de grâce perçue par l’âme. Le terme de contemplation infuse suffisait-il à traduire d’une façon adéquate cette idée complexe ? Nous en doutons ; il eût mieux valu, pour plus de clarté’, allonger la dénomination primitive et dire « contemplation’manifestement infuse » . La plupart des écrivains contemporains se rendant compte sans doute de l’insuffisance des termes autrefois en usage, et désireux de posséder un mot qui ne prêtât plus à l’équivoque, se sont arrêtés à celui de contemplation mystique ; ce mot a aussi nos préférences, et c’est de lui que nous nous servirons habituellement dans notre étude.

Rendons-nous compte dès maintenant de la mentalité des écrivains mystiques relativement à la seconde sorte de contemplation. Ils ont vu qu’à côté de la contemplation que nul effort ne peut produire, il en existe une autre qu’il est possible de produire, au moins à petite dose, à l’aide d’un effort. Ils ont dit : l’eflort est comme la monnaie qui sert à acquérir un objet ; cette contemplation est donc susceptible d’être acquise. L ur intention, assurément, n’était pas d’exclure de cette oraison l’action de la grâce ; mais seulement de mettre en lumière l’idée d’efforts arrivant ici à leur but. Ils n’avaient pas davantage la pensée de signifier que cette contemplation était le résultat d’une habitude lentement acquise : ils savaient très bien qu’elle est parfois produite en un instant, soit par une grâce spéciale, soit par un événement influant, pour les modifier, sur notre tournure d’esprit, sur nos dispositions habituelles. Ils se contentaient d’affirmer qu’elle peut être acquise dans une certaine mesure par notre industrie personnelle.

De nos jours, quelques auteurs se sont avisés de nier cette division de la contemplation : pour eux, toute contemplation, quelle qu’elle soit, est mystique ; celle qui porte le nom d’acquise n’existe que dans l’esprit des faiseurs de classifications. Nous attarder à combattre cette opinion singulière, serait œuvre inutile : ceux qui la soutiennent sont trop peu nombreux. Qu’il nous suffise de leur rappeler avec Terzago que, de ce fait, ils se placent en dehors de la tradition ; « car tous les théologiens, aussi bien scolastiques que mystiques, s’accordent à diviser la contemplation en acquise et infuse. » Theologia historico-mystica, Venise, 176b diss. VII, § 3. Ce sont ces deux sortes de contemplation que nous allons nous-même étudier successivement.

III. De la. contemplation acquise. — 1° Nous avons défini plus haut la contemplation acquise ; nous avons dit qu’elle est une vue simple, une intuition de la vérité, que nous pouvons nous procurer par notre effort personnel aidé de la grâce. Si notre étude devait se limiter à l’acte de contemplation acquise, elle serait dès maintenant à peu près terminée. Il ne nous resterait plus qu’à traiter la question de la possibilité de cet acte et quelques lignes seraient suffisantes pour mener à bien ce travail. « Après que nous avons considéré dans ses diverses circonslances un mystère du Christ, tel que la nativité ou la Hagellation, rien ne nous empêche, en effet, d’embrasser ce mystère d’un seul regard, de nous arrêter devant lui pour l’envisager d’une vue simple de foi, non plus dans ses détails, , mais dans son ensemble. Avec un peu d’exercice, tout le monde est donc capable de contempler aussi bien que de méditer. » Brancati, De oratione christiana ; Opuscul., III, c. xvii.

S’agit-il d’un acte isolé et de peu de durée comme celui qui vient d’être décrit, aucune difficulté sérieuse ne peut surgir. Mais le problème devient plus compliqué lorsqu’il est question d’une contemplation qui dure plus longtemps, et qui est assez habituelle pour constituer un état spécial d’oraison. Cet état d’oraison*