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CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

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fanatisme par son arrêté du 3 frimaire suivant (23 novembre ) pris sur l’initiative de Chaumette, et par lequel : a) toutes les églises ou temples de la capitale étaient désaffectés ; b) tous les minisires des cultes seraient personnellement responsables des troubles religieux ; c) quiconque demanderait l’ouverture d’un temple, d’une église, serait arrêté comme suspect ; d) les comités révolutionnaires seront invités à surveiller de bien près tous les prêtres ; et la Convention à les exclure tous de toute espèce de fonction publique. Ce décret qui fut exécuté tout de suite marque le point culminant de la décbristianisation à Paris.

L’exemple de Paris, dont la Convention avait solennellement approuvé la conduite, gagna toute la France, sous l’impulsion des sociétés populaires et des représentants en mission. Tandis que les représentants de l’Église constitutionnelle renonçaient à la défendre et que se multipliaient « les déprêtrisations » , surtout que le 2 frimaire (22 novembre) la Convention assurait à tous prêtres abdicalaires des pensions variant de 800 à 1200 livres, ie culte de la Raison se répandait. « Il y eut beaucoup d’églises fermées, puis converties en temples de la Raison… Presque toutes le.s villes parurent se rallier au nouveau culte. » Aulard. Dans les campagnes il y eut aussi des fêtes analogues.

Le culte de la Raison ne fut pas partout matérialiste et alliée : il fut même presque partout déiste, mais « d’un déisme irrité, agressif, songeant moins à s’affirmer lui-même qu’à nier le catbolicisme » . Debidour. Mais il contrariait l’ambition et les plans religieux de Robespierre : le 1 er frimaire (21 novembre 1793) il protestait aux Jacobins contre la fureur de déchristianisation qui semblait s’être emparée de la Révolution, et le 15 frimaire il faisait adopter par la Convention, qui commençait à trembler devant lui, une Réponse aux manifestes des rois ligués contre la République, où il était dit :

« Le peuple français et ses représentants respectent la

liberté de tous les cultes et n’en proscrivent aucun » . Le lendemain 16 frimaire (6 décembre 1793), il faisait encore adopter par la Convention un décret affirmant la liberté des cultes. Un peu plus tard enfin, le comité de salut public, instrument de Robespierre, faisait arrêter Hébert, Clootz, Ronsin, Momoro, Chaumette, toute la faction des enragés. Gobel était du nombre, et tous mouraient sur l’échafaud. Le culte de la Raison disparut avec eux. Mais ce fut le culte de l’Être suprême qui prit sa place et aucune liberté ne fut rendue au culte constitutionnel lui-même. La Convention ne prit plus part à des mascarades antireligieuses et ce fut tout. Robespierre ne fit rouvrir aucune église à Paris et s’il n’y avait pas en France, en avril 1794, à la mort des hébertistes, plus de 150 paroisses où l’on dit publiquement la messe, il n’y en avait pas plus au 9 thermidor. Les prêtres n’osent pas se montrer davantage. Il semble bien en effet que cette liberté des cultes, dont Robespierre avait tant parlé en frimaire an II, n’était pour lui qu’une arme contre les hébertistes et une façon de se poser lui-même devant l’Europe. La loi du 16 frimaire n’était, au fond, qu’un leurre : en effet, dans sa première partie, elle affirme la liberté des cultes, mais dans une seconde, elle maintient toutes les lois existantes contre les prêtres réfractaires et contre « ceux qui tenteraient d’abuser du prétexte de religion pour compromettre la cause de la liberté » ; elle maintient également les arrêtés des représentants en mission. Cette loi ne pouvait donc être le point de départ d’une renaissance constitutionnelle. Et si quelques prêtres assermentés essayèrent, en vertu de la loi, d’ouvrir à Paris quelques chapelles, les violences populaires, que tolérait le comité de salut public, obligeaient à les fermer. Il faut le remarquer cependant ; jamais le culte catholique, réfractaire ou constitutionnel, ne fut totalement interrompu à Paris et à plus forte raison en

France, mais il ne s’exerçait guère que dans le plu3 grand mystère.

Comment l’Église constitutionnelle supporta-t-elle cette tourmente d’une violence extrême ? Fit-elle preuve des vertus extraordinaires que nécessitait l’épreuve ? Dans son Compte rendu au concile national, Grégoire s’exprime ainsi : « l’n de nos premiers soins (des évêques réunis) fut de reconnaître l’état du clergé. Il nous présenta la lâcheté ou même la hideuse apostasie en contraste avec une fidélité courageuse et digne des beaux siècles de l’Église. Je me hâte cependant d’observer qu’on a beaucoup exagéré le nombre des coupables » . Les faits confirment-ils ces assertalions ? On n’a de chiffres complets et certains que pour l’épiscopat. L’Église constitutionnelle comprenait alors 85 diocèses : aux 83 primitifs venaient d’en être ajoutés deux (1793) : Vaucluse (Avignon) et Mont-Blanc (Annecy, celui-ci créé par Grégoire quand il était représentant de la Convention en Savoie. Mais au 1 er octobre 1793, deux sièges étaient vacants par la mort des titulaires : Versailles, Laval. En avril 1795, lorsque s’adoucit la tourmente, cet épiscopat est bien réduit. 10 évêques sont morts, 4 de mort naturelle et 6 sur l’échafaud ; mais pour raison politique : 4 comme fédéralistes : Fauchet (Bayeux), Lamourette (Lyon), Roux (Belley), Expilly (Quimper) ; 1 comme modéré : Gouttes (Autun), et enfin Gobel comme hébertiste ; 9 ont apostasie et se sont mariés : Pontard (Périgueux), Dumouchel (Nimes), Minée (Nantes), Jarente (Orléans), Laurent (Moulins), Lindet (Évreux), Porion (Saint-Omer), Torné (Bourges) et Joubert (Angoulême). Avaient apostasie en fait, sans cependant se marier, les évêques de Sens, Paris, Viviers, Avignon, Saint-Maixent, Soissons, Valence, Perpignan, Reauvais, Angers, Luçon, Saint-Flour, Limoges, Guéret, Nancy et Laval. Quant aux autres, sauf Grégoire qui ne cessa de paraître à la Convention, ils se turent : on n’entend de leur part aucune protestation : ils se cachent, ils cessent même toute fonction, quelques-uns avec quelque éclat, mais tous n’échappent pas à la prison, c Élever la voix, c’eût été courir inutilement, dit M. Gazier, au devant du martyre, « .e que l’Évangile leur défendait, et redoubler la rage des persécuteurs. » Études, p. 227. Le clergé inférieur eut moins de constance encore que ses chefs. Il comprenait environ 30000 représentants, lorsque l’Église constitutionnelle eut sa pleine formation. Quel est le chiffre exact de ceux qui se sont mariés ? Il y en eut 10C00 d’après un pamphlet, 2 0U0 d’après Grégoire : en tous cas, leur nombre fut considérable. Bien plus considérable encore fut le chiffre des apostasies ou des démissions. « Sur trois cents ecclésiastiques qui composaient le clergé constitutionnel de Loir-et-Cher, trente-deux seulement conservèrent leurs principes religieux et républicains nonobstant les menaces et les persécutions ; vingt-trois se marièrent ; tous les autres apostasièrent ou du moins consentirent à remettre leurs lettres de prêtrise, les uns pour éviter des poursuites, les autres pour sortir de prison, d’autres enfin pour obtenir un morceau de pain. » Gazier, loc. cit., p. 3. Il est vrai que beaucoup, la tourmente passée, aspireront à reprendre leurs fonctions. Ils n’en avaient pas moins capitulé.

VI. La séparation de l’Église et de l’État (17951802). — 1° Les origines. — Ce n’était pas pour établir la liberté religieuse pas plus qu’aucune autre liberté que les thermidoriens avaient renversé Robespierre. Ils laissèrent tomber le culte de l’Être suprême, factice création du tyran ; mais ils ne redevinrent pas croyants ne l’ayant jamais été et ils n’abolirent au début aucune des lois de proscription qu’ils avaient acclamées ; ils applaudirent même aux arrêtés tyranniques que prenaient leurs représentants en mission ; leurs orateurs les plus écoutés ne cessèrent longtemps de se déchaîner contre le fanatisme ; enfin leurs dispositions étaient.