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CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

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gagner au projet les curés qui n’avaient rien à perdre à échanger leurs anciens revenus contre celui-ci ; 4° une commission de36 membres composée particulièrement d’ecclésiastiques ou une assemblée extraordinaire du clergé, sous la surveillance de la Constituante, réglerait toutes les questions soulevées : fusion descominunaulés, extinction des bénéfices sans fonctions, etc. Ce projet était compliqué. Mirabeau, plus pratique et qui voulait faire d’abord triompher le principe, proposa à l’Assemblée, le 13 octobre, de voter simplement ces deux articles : 1° « La propriété des biens du clergé appartient à la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d’après les instructions des provinces ; 2° dans les dispositions à faire… il ne pourra être assuré à la dotation d’aucun curé moins de 1200 livres par année, non compris les logements et jardins en dépendants. » Thouret et le duc de La Rochefoucauld essayèrent de faire ajouter que le clergé serait incapable « d’avoir la propriété d’aucun bien-fonds ou autres immeubles » , mais leur proposition fut écartée et toute la bataille se livra autour des deux articles du projet Mirabeau. Ce projet fut soutenu aux côtés de Mirabeau par Barnave, Garât, Pétion, Duport ; mais il fut vigoureusement combattu par les prélats naturellement, ainsi les archevêques et évêques d’Aix, de Clermont et de Nîmes ; par l’abbé de Montesquiou et Maury ; par des membres de la noblesse, le vicomte de Mirabeau, par exemple, et même par des curés patriotes comme Grégoire et Gouttes qui demandaient, à tout le moins, la dotation des curés en biens-fonds. Des plans conciliateurs furent proposés par Malouet, par l’abbé d’Eymar et par l’archevêque d’Aix. Boisgelin, dans la séance du 31 octobre, après avoir démontré que l’Église a le droit de posséder et combien son crédit était utile à l’Etat, offrit au nom de son ordre 400 millions que le clergé emprunterait en donnant hypothèque sur ses biens, dont il paierait les intérêts et qu’il rembourserait par des ventes progressives faites suivant les formes canoniques et civiles. Boisgelin ajoutait au nom de tous ses collègues que le sort des curés serait amélioré. Son discours produisit grande impression : les 400 millions qu’il offrait, c’était la somme jugée nécessaire aux besoins de l’État. Malheureusement l’Assemblée n’alla aux voix que le surlendemain 2 novembre. Cette fois encore, elle vota au milieu de l’agitation de la rue, provoquée à dessein ; puis Mirabeau substitua au terme : « les biens ecclésiastiques appartiennent, » celui-ci : « sont à la disposition de. » Ce terme effrayait moins : il paraissait respecter le droit de propriété ; la proposition Mirabeau ainsi amendée passa ; néanmoins ce fut pénible : elle ne recueillit que 368 voix contre 346 et 40 abstentions. La suite immédiate allait prouver que l’on ne se défiait pas à tort. Le 9 novembre, l’Assemblée votait sur la proposition de Treilhard, qu’il serait sursis aux nominations à tous les bénéfices, excepté toutefois aux cures et surtout, malgré de nouveaux efforts de l’épiscopat qui se souvenait de cette parole de Frédéric II citée peu après par La Fare : « Rien n’est plus capable d’alfaiblir l’empire de la religion catholique que d’enlever aux églises leur patrimoine, » elle décidait, les 19 et 21 décembre, l’aliénation de 400 millions de biens nationaux, c’est-à-dire des biens des domaines de la couronne et des apanages et de biens ecclésiastiques. Ainsi commença la grande expropriation du clergé : elle ne devait pas d’ailleurs profiter beaucoup à l’État. Voir Taine, loc. cit. En avril 1790, un grand débat se produisit de nouveau sur cette question. D’une part, du 9 au 17, l’Assemblée discuta la création des assignats, dont les biens ecclésiastiques devaient former la garantie et concurremment elle discutait le rapport que le député du Beaujolais, Chasset, lui avait présenté

au nom du comité des dîmes, touchant « l’administration des biens déclarés à la disposition de la nation, l’abolition des dîmes, la continuation de leur perception pendant l’année 1790 et la manière dont ii sera pourvu aux frais du culle et à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres et aux pensions des ecclésiastiques » . Ce rapport avait été déposé le 10 ; ses conclusions étaient que : 1° les biens ecclésiastiques devaient être administrés par les corps administratifs ; 2° les dîmes cesseraient d’être perçues à jamais à partir du premier janvier 1791 ; 3 j « à partir de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques devait être payé en argent » ; 4° « dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il devait être porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culle. à l’entretien des ministres des autels, etc. » . Ces conclusions fuient votées le 14 avril par l’Assemblée malgr ris de

Boisgelin qui réédita encore sa proposition d’emprunt. Tous ses efforts furent vains devant cet argument que firent valoir Chasset, Thouret, etc. : Le culte est une fonction publique ; tous par conséquent sont tenus contribuer ; c’est un devoir dont personne n’a le droit de se dispenser ; et d’un autre côté, il ne faut pas que ceux qui exercent les fonctions ecclésiastiques se trouvent dans une situation meilleure que celle des autres fonctionnaires et qui les rende indépendants de l’État. Les 12 et 13 avril, la discussion fut interrompue par le combat autour de la motion de dom Gerle de proclamer le catholicisme religion d’État. L’Assemblée ne vota point cette motion, mais dans la loi, là où il était parlé dus frais du culte, le député Loys fit ajouter les mots de « catholique, apostolique et romain » . Le décret du 14 avril consommait la spoliation de l’Église et faisait vraiment du clergé un corps de salariés. Cet ensemble de décrets sur les biens ecclésiastiques était gros de conséquences : les uns appelaient la suppression plus ou moins complète et rapide des ordres religieux ; les autres, celui du 14 avril en particulier, appelaient la constitution civile. « Le jour où l’Assemblée nationale décréta le salaire des cultes, a-t-on dit, par le motif que la religion est un grand service public et que ses ministres sont des officiers de morale, elle prit par là même l’engagement d’organiser ce service public comme tous les autres ; une première faute en entraînait une autre » (de Pressensé).

La suppression des ordres religieux.

Cette

suppression avait été réclamée dans plus d’un cahier du tiers, sous le prétexte que les couvenls ne répondaient plus à leur raison d’être, si jamais ils avaient été utiles. D’ailleurs, des couvents d’hommes sortaient des supplications de délivrance : témoin cette pétition « imprimée par ordre de l’Assemblée nationale » qu’adressaient à la Constituante, lui abandonnant tous les revenus de l’ordre de Clunyet lui demandant de leur rendre la liberté, de jeunes bénédictins de Saint-Martin-des-Champs. Mais la confiscation des biens ecclésiastiques rendait pressante la question des ordres religieux. Dès le 17 décembre, le jour même où était décidée la première aliénation des biens nationaux, Treilhard déposait, au nom du comité ecclésiastique, un rapport et un projet de décret concernant les ordres religieux. Quelle était alors la situation de ces ordres ? Ils avaient perdu leurs privilèges et la possession de leurs biens, mais ils avaient gardé leurs rapports séculaires avec l’État qui, sanctionnant les trois vœux, soumettait les religieux à l’incapacité de se marier, de posséder et par suite de recueillir ou de transmettre une succession et de quitter les couvents sous peine d’y être réintégrés par le bras séculier. Treilhard avait à répondre à ces questions : Seraient-ils supprimés tous ou seulement en partie ? Si quelques-uns étaient conservés, comment vivraient-ils ? Quels seraient désormais leurs rapports avec le pouvoi.’civil ? Treilhard part de cette double