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CABALE

tentés de lui réserver le rôle de restaurateur terrestre du trône et de la maison de David, I, p. 25 b, 50 b, 72 b, 117 b, 119 a ; II, p. 7 b-10 a, 32 a, et ils ont renvoyé cette restauration dynastique à la fin des temps. Et bien que, d’après le Zohar, l’homme n’ait aucun besoin de secours étranger pour retourner à l’En Soph, attendu qu’il peut se suffire à lui-même et finit par réussir, sauf à y mettre le temps voulu et à subir les épreuves successives et nécessaires, ils lui ont encore attribué le rôle de sauveur de l’humanité ; rôle, nous l’avons vu plus haut, qui est celui de tout homme juste et qui, par suite, ne saurait être la caractéristique exclusive du Messie. Autant dire que cette grande figure de la Bible n’a retenu leur attention que dans la mesure où elle faisait partie du patrimoine religieux d’Israël et où il importait de respecter la tradition populaire et de conserver les apparences de l’orthodoxie, et qu’elle n’a été, de leur part, l’objet d’aucune théorie spéciale ; tant il est vrai que leur pensée se portait ailleurs pour essayer d’introduire dans le monde juif et sous le couvert de la Bible des idées et des systèmes complètement étrangers.

V. Critique. — 1o Nature de la cabale. — Œuvre de quelques juifs, plus philosophes que théologiens, rationalistes décidés et métaphysiciens intempérants, qui ont spéculé pendant des siècles et avec la plus entière indépendance sur les données de la Bible et de la tradition juive, mais qui, sous l’influence des temps et des lieux, ont subi l’attrait des doctrines ambiantes au point de les accueillir personnellement et de travailler à les acclimater, malgré leur caractère hétérogène et hétérodoxe, telle est la cabale. Sans réussir, peut-être même sans chercher à les fondre ensemble en un tout cohérent, en un système lié, ils n’ont abouti qu’à ce syncrétisme déconcertant, dont le Zohar est le témoin et le dépositaire. Dans ce pêle-mêle, où tout a été mis à contribution, nous avons reconnu au passage les différentes sources, où la cabale a puisé tour à tour, soit dans la philosophie de Pythagore, de Platon, d’Aristote et des néoplatoniciens d’Alexandrie, soit dans le panthéisme oriental ou égyptien, soit dans le gnosticisme des premiers siècles de l’ère chrétienne. Ces nombreux emprunts, à peine transformés ou singulièrement accommodés, expliquent certains traits frappants de ressemblance, certaines analogies, comme aussi les divergences notables qu’offre la cabale avec les diverses philosophies. Mais, aux yeux des cabalistes, leur doctrine est de beaucoup supérieure. La philosophie, en effet, n’est qu’une esclave : ils la comparent dédaigneusement à la servante Agar, chassée de la tente d’Abraham ; tandis que Sara, l’épouse légitime, représente la cabale, la science par excellence, la maîtresse qui a droit de commander à l’esclave.

2o La cabale et le judaïsme. — La cabale s’est toujours réclamée de la tradition juive et de l’enseignement caché dans la Bible : nous venons de voir comment. La tradition qu’elle invoque n’est nullement la tradition officielle, orthodoxe ; c’est un ésotérisme, qui n’a pas le moindre fondement dans la réalité de l’histoire, mais qui a été imaginé de toutes pièces pour substituer à l’enseignement biblique le rationalisme pur. Si la Bible est encore conservée et respectée, du moins d’une manière nominale et quant au sens littéral, elle n’a été qu’un prétexte pour sauvegarder les apparences de l’orthodoxie et masquer les efforts de la pensée libre et indépendante. Aussi la Mischna doit-elle céder le pas à la cabale, comme une esclave devant sa souveraine. Zohar, III, p. 275 a, 279 b. De même le Talmud, source à peu près tarie, qui ne fournit plus que quelques gouttes et ne suscite que des querelles, a été traité avec dédain et regardé comme une plaie du judaïsme ; tandis que la cabale est la fontaine aux eaux fraîches, abondantes, intarissables, d’une vertu souverainement efficace. Au fond, les cabalistes ont rêvé l’émancipation complète de la raison, l’autonomie de la pensée, et n’ont été, vis-à-vis du judaïsme officiel, que des contempteurs et des révoltés. Car au Dieu de la Bible, être unique, créateur, ordonnateur, conservateur et providence du monde, ils ont substitué soit un anthropomorphisme des plus grossiers, soit l’émanation gnostique ou le panthéisme. Franck prétend que leur œuvre, en se réfugiant sous l’autorité de la Bible et de la tradition orale, a conservé toutes les apparences d’un système de théologie, et de théologie judaïque. La kabbale, p. 291. C’est beaucoup trop dire, puisque, sous ces apparences, les notions essentielles de Dieu, de sa nature, de son unité, de son action sur le monde, telles qu’elles ressortent de l’Écriture, ont subi une transformation qui les rend absolument méconnaissables.

3o La cabale et le christianisme. — S’il est vrai que, depuis le xiiie siècle, quelques cabalistes se sont convertis au christianisme, entre autres Paul Ricci, Conrad Otton, Rittangel, Jacob Franck, pour ne citer que les principaux, conversions qui ont excité parmi les rabbins rigides une hostilité déclarée contre la cabale, est-il également vrai que la cabale puisse être considérée comme le passage naturel du judaïsme au christianisme, comme un instrument de conversion pour les juifs ? Nous avons noté, en tête de l’article, l’enthousiasme de R. Lulle en faveur de la cabale et la confiance de Pic de la Mirandole, de Ricci, de Reuchlin, de Knorr de Rosenroth, en son rôle apologétique. Ce fut, en effet, la thèse de quelques juifs convertis et de quelques catholiques qu’elle était le moyen le plus efficace pour faire tomber les barrières qui séparent la Synagogue de l’Église ; car, pensaient-ils, les dogmes de la foi chrétienne s’y trouvent à l’état plus ou moins explicite. En conséquence on s’était mis à faire des recueils de tous les passages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui pouvaient offrir quelques points de ressemblance avec le Zohar. Dans un but apologétique, un supérieur général de l’ordre des augustins, Gilles de Viterbe, s’était fait traduire les passages les plus importants du De verbo mirifico de Reuchlin, et le franciscain Pierre Galatinus avait composé un De arcanis catholicæ veritatis, Ortona, 1518, contre l’obstination des juifs à ne pas vouloir se convertir. Beaucoup plus tard Schöttgen, toujours dans ce même courant d’idées, tira de la Kabbala denudata de Knorr ses Horæ hebraicæ et talmudicæ, Dresde, 1733, et sa Theologia judæorum de Messia, Dresde, 1712. Enfin, dans la première moitié du XIXe siècle, Tholuck en appelait encore à la cabale pour prouver aux juifs, qui l’admettent, la nécessité de devenir chrétiens, s’ils veulent être conséquents avec eux-mêmes. Cf. Drach, De l’harmonie entre l’Église et la Synagogue, Paris, 1844, t. I, p. 438-446. Mais nous avons indiqué en même temps les causes qui rendaient fragiles et fausses ces vues si intéressées, à savoir l’ignorance de la vraie cabale et la méprise de ceux qui ne jugeaient cette science qu’à travers les travaux des cabalistes modernes, tous influencés à des degrés divers par les idées de leur temps.

Après ce qui a été dit dans le courant de l’article, on peut juger à quoi se réduisent ces prétendus rapports de la cabale et du christianisme. La cabale ne contient rien de spécifiquement chrétien. C’est tout au plus si la place assignée par le Zohar à certains hommes après leur mort fait songer vaguement au purgatoire. La création ex nihilo ne saurait se comparer au système de l’émanation ; la trinité, dogme d’un seul Dieu en trois personnes distinctes, ne peut pas davantage être comparée aux trois triades ou à la triade supérieure des Sephiroth : création et trinité, deux vocables communs, si l’on veut, mais de signification bien différente dans la cabale et le christianisme. La chute originelle, parfois rappelée par le Zohar, i, p. 52 ab ; II, p. 51, 231 a, 262 b, ne ressemble en rien à la faute du paradis terrestre, trans