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CABALE

sous l’écorce de la lettre, a su découvrir la vérité, grâce à cette tradition secrète et infaillible qui s’appelle la cabale. Dans l’interprétation du Pentateuque et de la vision d’Ézéchiel, ces deux thèmes préférés des cabalistes, il use de l’allégorisme le plus exagéré, il met à contribution le Talmud, les Midraschim et les doctrines les plus étranges, juives ou non. Au gré du caprice ou au hasard de l’association des idées, il mêle, dans une confusion inextricable, « des jeux d’homophonie, de synonymie, de combinaisons de lettres et de nombres, des propositions dogmatiques, des paraboles, des aphorismes, des fables, tout servant d’expression à des notions de philosophie, de théosophie, de théologie, de cosmogonie, de physique, d’éthique, à des données relatives à l’astronomie, à l’astrologie, à l’alchimie, à la médecine ordinaire ou occulte, à la botanique, à des superstitions touchant les exorcismes, les amulettes, la chiromancie, la physiognomonie, à toutes les formes imaginables de thaumaturgie et de théurgie, à un mysticisme vide, à une mystique et à une pratique sans caractère définissable, à des jeux d’idées rebelles à toute analyse et qui n’ont dans nos langues modernes aucune possibilité d’expression… Là se rencontrent les produits intellectuels et aussi les élucubrations et les aberrations de tout l’Orient et de tout l’Occident. On dirait une grande foire d’idées, où les denrées les plus chères et les plus viles sont exposées avec le même soin et vendues au même prix, où même les perles les plus pures ont souvent les écrins les plus grossiers et où, malheureusement, plus souvent encore, des vases d’or ne contiennent que poussière et cendres. » Karppe, op. cit., p. 329-330.

Ce document étrange comprend : le Zohar proprement dit et ce qui n’en est qu’un délayage, le Nouveau Zohar, le Zohar du Cantique des cantiques, les Anciens et nouveaux Suppléments. Dans le Zohar proprement dit on distingue certains fragments qui ont dû appartenir à d’anciens traités : d’abord le Livre des mystères, Sifra Dezniuta, la Grande assemblée, Idra Rabba, et la Petite assemblée, Idra Zula ; c’est un groupe nettement anthropomorphique, où le terme En Soph ne paraît pas, où Dieu est décrit sous l’aspect du Grand Visage, ce qui semble une amplification du Schiur Komah ; ensuite le Mystère des mystères et les Palais qui reproduisent ce qu’on trouve dans les Hechaloth du temps des Gaonim : le Pasteur fidèle, qui interprète la partie législative du Pentateuque, imite la manière d’Esra et de Nachmanide, dégage un sens mystique de chaque précepte de la Bible et même de chaque prescription du Talmud ; puis Les mystères de la Thora, qui, avec les Matnitin et le Tosefta, s’appliquent particulièrement à la question des Sephiroth et rendent sensible la doctrine de l’émanation par des comparaisons empruntées en général au rayonnement de la lumière ; enfin le Midrasch occulte, dont l’allégorisme rappelle celui de Philon.

IV. Doctrine. — Dans l’examen de la cabale, et, en particulier du Zohar, nous laissons de côté tout ce qui touche à la physique, à la physiognomonie, à la chiromancie, à l’astrologie, à l’alchimie, à la magie, à la sorcellerie, etc., c’est-à-dire à tout ce qui a servi d’aliment aux illuminés, aux théosophes et aux théurges, pour ne nous en tenir qu’à ce qui offre un intérêt plus relevé et peut être regardé comme faisant partie d’un système religieux ou philosophique, sans toutefois nous flatter de trouver l’unité dans ce dédale d’éléments hétéroclites ou de concilier entres elles certaines idées juxtaposées mais irréductibles.

1o Dieu ; les Sephiroth. — Dieu peut être considéré en soi ou dans sa manifestation. En soi, avant toute manifestation, Dieu est un être indéfini, vague, invisible, inaccessible, sans attribution précise, semblable à une mer sans rivages, II, p. 42 a, 43 a, à un abîme sans fond, à un fluide sans consistance, incapable d’être connu à un titre quelconque, par suite d’être représenté soit par une image, soit par un nom, soit par une lettre ou même par un point, ii, p. 112 b. Pour en parler il t<iut des termes créés par notre esprit, mais qui ne correspondent à aucune réalité objective ; car Dieu, en soi, n’entre dans aucun nom. Le moins imparfait des termes qu’on puisse employer, c’est le Sans fin, l’Indéfini ou En Soph, c’est-à-dire celui qui n’a pas de limite, i, p. 21 a, ou bien encore le Non-existant, le Non-être ou Ayin, c’est-à-dire celui qui reste inconcevable, inaccessible à l’esprit, il, p. 64 b, 129 a ; Petite assemblée, p. 288. Encore ces termes sont-ils postérieurs à la manifestation de Dieu, ii, p. 42 b ; car pour exprimer Dieu avant sa manifestation on n’a pas et, en réalité, on ne peut pas avoir de terme : il est l’inexprimable, le mystère des mystères, l’inconnu des inconnus, iii, p. 288 a. Le seul terme qui lui conviendrait serait l’interrogation : Qui ? ii, p. 105.

Mais dès que Dieu se manifeste, il devient accessible, connaissable : il peut être nommé ; et le nom qu’on lui donne s’applique à chaque manifestation ou extériorisation de son être. L’En Soph, le Ayin, se manifeste, en effet, de dix manières, par ou dans les Sephiroth, iii, p. 288 a. Chacune de celles-ci, la Couronne, la Sagesse, l’Intelligence, la Grâce, la Justice, la Beauté, le Triomphe, la Gloire, le Fondement et la Boyaulé, constitue un mode spécial de révélation ou de notification de l’En Soph et permet de le nommer. Ces noms ne sont autres que ceux dont se sert la Bible pour désigner Dieu. Ainsi Ehyah, je suis, correspond à la Couronne, Ascher Ehyah à la Sagesse, le tétragramme à l’Intelligence et à la Grâce, Elohim à la Justice, Schaddai, El, etc., aux autres Sephiroth.

Comment Dieu passe-t-il du non-être à l’être, de l’indéterminé au concret, de la puissance à l’acte ? En d’autres termes, comment devient-il d’inaccessible accessible, d’inconnaissable connaissable ? Est-ce en vertu d’une loi inhérente à sa nature, d’une nécessité intrinsèque ou d’une détermination libre ? Le Zohar attribue les manifestations de Dieu à une concentration de lui-même, à une condensation de son être ; d’autre part, il enseigne aussi l’émanation, tout en ayant soin de la placer sous la dépendance de sa volonté et dans le temps. Mais que ce soit par une concentration ou par une émanation volontaire, comment Dieu, qui n’est pas, peut-il vouloir ? Et d’où vient alors à ce non-être le pouvoir de se concentrer ou de se développer ? Cette double question est sans réponse. Dieu donc se concentre. Il se concentre d’abord dans un point, i, p. 2, la Couronne ou Diadème, le plus haut degré de la concentration divine et comme le premier pas du processus divin vers sa réalisation ou manifestation extérieure. Dans ce point, l’En Soph cesse d’être l’indéterminé, le Ayin cesse d’être le non-être ; on a dés lors quelque chose de plus positif ou, mieux, de moins négatif, car la Couronne se distingue à peine de l’En Soph, il, p. 42 b ; ni, p. 258 b, et est par rapport à ce qui suit presque aussi inaccessible que l’En Soph lui-même. Le Zohar l’appelle un point initial, un point pur, la lettre iod, i, p. 16 b, l’air primordial qui s’étend en tous sens, ibid., la source première d’où sortent toutes les eaux, ii, p. 42 b, la lumière primordiale qui envoie partout des rayons, iii, p. 288 a, la couleur blanche qui renferme toutes les autres couleurs : autant d’expressions, empruntées à divers systèmes ; c’est ce que l’on pourrait désigner, semble-t-il, par le terme philosophique de substance première. Or ce point initial devient un centre ; ce foyer de lumière rayonne comme un flambeau en cercles concentriques, au nombre de neuf. Le premier cercle limite et enveloppe le point central et sert de noyau au second cercle ; celui-ci limite et enveloppe le premier en même temps qu’il sert de centre au troi