Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée
109
110
BAIUS


propre gloire, suivant la parole de Jésus-Christ à l’aveugle-né, Joa., ix, 3. » De /jratia, prolegom. vi, c. ii, n. 16. Même réfutation dans le corps de doctrine des docteurs de Louvain, c. vii, Baiaua, p. 172. Quesnel ayant renouvelé plus tard l’erreur de Baius, Clément XI la proscrivit une seconde fois. Denzinger, Enchiridion, n. 1285. Sur cette proposition 70e de Quesnel, voir Jacques de la Fontaine, Constitulio Unigenitus theologice propugnata, in-fol., Rome, 1721, t. iii, col. 333 sq.

La condamnation s’étend-elle plus loin, du moins en ce qui concerne la proposition 73e, complexe en son contenu ? Suarez ajoutait : « Ce qui est plus répréhensible encore, c’est détenir le langage en question au sujet de la bienheureuse Vierge, et surtout de le lui appliquer sous cette disjonctive : xdliones peccati actualisvel originalis, comme si l’on mettait en doute son exemption de tout péché actuel. » Cette dernière considération n’est pas décisive ; rien n’autorise à penser que Baius ait réellement hésité entre les deux membres de l’alternative, et qu’il ait douté d’un privilège formellement revendiqué pour Marie au concile de Trente, sess. VI, can. 23. Denzinger, Enchiridion, n. 715. On doit plutôt penser qu’énonçant une disjonctive où l’un des membres n’était pas applicable à Notre-Dame, il affirmait ainsi équivalemment le second membre ; en d’autres termes, il prouvait indirectement, par l’application du principe général qu’il avait posé dans la proposition 72e, ce qu’il avait avancé dans la première et seconde partie de la proposition 73e, à savoir que Marie avait été conçue avec le péché originel et que de là venaient sa mort et les afflictions qu’elle avait éprouvées ici-bas. Dès lors, on est amené à se demander si cette dernière proposition n’est pas condamnée dans ses deux premières parties, aussi bien que dans la troisième. Un certain nombre de théologiens l’ontsoulenu, comme on peut le voir dans l’ouvrage de Passaglia, De immaculato Deiparæ seniper virginis conceplu, in-fol., Rome, 1854, n. 1848 sq. La Sorbonne censura elle-même toutes les partie^ de la proposition comme hérétiques, mais en supposant que le concile de Bàle avait défini authentiquement l’immaculée conception de Marie. Les universités d’Alcala et de Salamanque n’allèrent pas si loin, et ne jugèrent pas que, de ce chef, on pût traiter l’assertion d’hérétique ou d’erronée. Suarez dit pareillement : « Cette proposition n’est point proscrite pour enseigner que la sainte Vierge a été conçue dans le péché originel. »

En présence de ce désaccord, une distinction paraît nécessaire. Prises en soi, les deux parties de la proposition 73e qui rejettent la conception immaculée, n’ont certainement pas été proscrites par saint Pie V comme hérétiques ou erronées ; la controverse était permise alors, elle est restée libre longtemps encore après cette époque. Mais il faut tenir compte aussi du ton absolu qui caractérise la négation et surtout des circonstances dont elle lut accompagnée. Elle se produisit au début de la controverse entre le parti naissant de Baius et lescordeliers de Flandre. Baius, on le voit par ses apologies, rejetait l’immaculée conception ; l’attaque, de la part de quelques-uns au moins, fut violente et sans mesure. On peut en juger par une lettre que l’ami de Baius, Jean Hessels, écrivit au P. Antoine Sablon ; il y appelle la dévotion envers Marie immaculée une superstition. Mo r Malou, L’immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi, Bruxelles, 1857, t. i, p. 71 sq. Emise dans ces circonstances et prise dans le sens agressif et injurieux de ses auteurs, la proposition 73e devenait, sur le même point de la conception de Marie, téméraire, scandaleuse et offensive des oreilles pies. Les docteurs de Louvain semblent faire allusion àce défaut quand, après avoir rappelé qu’on n’allait contre aucune définition du saint-siège en soutenant que la sainte Vierge n’a pas été exempte du péché originel, ils ajoutent : « pourvu qu’on le fasse avec modestie. »

Les propositions 72e et 73e ne sont pas sans rapport avec la doctrine générale de Baius sur le caractère naturel des dons primitifs. Comme l’exemption de la concupiscence, comme l’immortalité du corps, l’impassibilité ou l’absence de loute souffrance et de toute affliction rentrait dans la condition normale de l’homme où, d’après le docteur lovaniste, le mal ne pouvait avoir de place. Là où la souffrance et l’affliction se trouvent, il faut nécessairement affirmer le péché originel ou actuel. Cette erreur se réfute par les mêmes principes que les erreurs de Baius relatives aux autres dons préternaturels de l’état primitif. Bellarmin, Refutalio Baii, fol. 243 sq. ; Bipalda, op. cit., disp. XII ; Casinius, op. cit., a. 3, p. 76 sq. ; Linsenmann, op. cit., p. 127. Nous nous trouvons ainsi ramenés, à la fin de ce commentaire sur les propositions condamnées par saint Pie V, à l’erreur fondamentale que nous avons rencontrée au début et dont l’influence s’est fait plus ou moins sentir partout où il s’agissait, non de simples assertions sans grande importance et pour ainsi dire isolées, mais de propositions qui rentraient vraiment dans l’ensemble du système baianiste et qui seront reprises bientôt par les héritiers légitimes du chancelier de Louvain, les jansénistes. Et c’est aussi par ce côté-là que le baianisme eut un résultat considérable sous le rapport du développement théologique, celui de faire étudier plus à fond et de iaire préciser dans l’Église la notion du surnaturel.

En ne considérant dans la grâce que l’idée degratuité, naturse nostræ indebitum, et en laissant complètement de côté la nature intrinsèque des dons en question, Baius détruisait implicitement la distinction, essentielle pourtant, entre le surnaturel absolu, entilativum scu quoad essenliam, et le surnaturel relatif, quoad modum ; car cette distinction repose en dernière analyse, non sur la note de gratuité qui est commune à tout surnaturel, mais sur le fondement de cette gratuité qui, dans le surnaturel absolu, est la nature même du don, et dans le surnaturel relatif, n’est qu’une circonstance accidentelle, par exemple, tel mode de production qui dépasse les forces naturelles. Pour avancer dans cette question, il allait une étude beaucoup plus large que celle de Baius, cantonné dans un nombre très restreint de Pères et de docteurs ; à la littérature augustinienne, riche en tout ce qui touche la déchéance du genre humain et la nécessité de la grâce actuelle, il fallait joindre la littérature grecque, plus riche en ce qui concerne la grâce sanctifiante et l’habitation du Saint-Esprit dans les âmes. La controverse baianiste donna lieu à de remarquables travaux, où la notion du surnaturel fut étudiée à fond ; tel, par exemple, le traité de Ripalda qui a été si souvent cité au cours de ce commentaire, et, dans ce traité lui-même, certains passages en particulier, comme disp. V, sect. v. Les déclarations repétées du magistère ecclésiastique secondèrent le travail de la théologie, et ainsi s’est élaborée cette notion précise du surnaturel qui avait été proposée à la définition des Pères du concile du Vatican, dans la partie de la constitution dogmatique que le temps ne leur a pas permis de traiter : « Ânathème à qui oserait dire qu’il faut admettre l’ordre surnaturel seulement au sens où l’on peut appeler surnaturel ce qui n’appartient pas à la perfection essentielle de l’homme ; et refuserait de reconnaître l’existence de dons divins et d’institutions qui dépassent les forces et les exigences de la nature créée et relèvent à une perfection d’un autre ordre. » Acta ss. concilii Vaticani, op. cit., col. 566 ; cꝟ. 516, 547 sq., 555 sq.

Sententix D. Michælis Baii doctoris lovoniensis a duohus pontipeibus damnatse et a Boberto Bellarmino refutatx, manuscrit in-12 conservé à la Bibliothèque de Bruxelles, Ms. 4320, toi. 144 sq. ; c’est un extrait des commentaires inédits du cardinal sur la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin : on retrouve presque tout dans les Controversise ; Martinez de Bipalda, S. J.,