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BULGARIE

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qu’ailleurs on mentionnait Hilarion, le vrai chef du mouvement national. Lorsque Joachim II fut élevé au trône œcuménique, le 4 octobre 1860, en remplacement de Cyrille VII démissionnaire, les révoltés refusèrent de le reconnaître.

Le Phanar commença à s’émouvoir d’un conflit qui prenait des proportions inquiétantes. Il publia, vers la lin de 1860, une sorte d’encyclique qui, par son ton violent et le refus d’accepter le moindre compromis, devait froisser pour toujours les consciences bulgares. En termes des plus sévères et des plus injustes, Joachim II reprochait aux Bulgares : « la dissolution du lien qui les unissait aux autres peuples orthodoxes, leur séparation d’avec leurs frères spirituels, les églises usurpées, la haine contre la langue grecque, haine poussée jusqu’à la destruction des Livres saints, des excès commis par l’esprit de parti et de fratricide, des violences inouïes, la proclamation d’une autorité spirituelle autocéphale et indépendante, qu’ils voulaient inaugurer de leur propre volonté, illégitimement et contrairement à l’esprit des canons. » Hilarion, évêque titulaire de Macariopolis, et Auxence, évêque de Durazzo, étaient rendus responsables et regardés comme les fauteurs de tous ces désordres. A cette diatribe, provoquée par le mouvement d’union qui poussait alors les Bulgares vers l’Église catholique, les Bulgares répondirent par un manifeste fort détaillé. Après avoir blâmé le patriarche d’avoir réuni dans sa lettre « tout ce que le moyen âge avait pu produire de plus insensé, de plus injurieux et de plus indécent » , ils se vantaient d’avoir secoué le joug des prélats grecs, rompu toute communion avec eux et élu pour chef spirituel le très saint évêque Hilarion, qu’ils avaient installé dans leur église nationale de Constantinople. Depuis neuf mois, ils s’étaient séparés du trône œcuménique, du gré même de Dieu ; ils ne reprendraient ce joug que lorsque satisfaction complète aurait été accordée à leurs demandes par la constitution d’une hiérarchie nationale, à la fois indépendante du patriarche grec et du pape. L’excommunication et la dégradation prononcées contre Hilarion et Auxence, contre tous ceux qu’ils avaient ordonnés sans la permission canonique, fut la seule réponse du Phanar à ce manifeste. Cette grave décision, prise dans un synode auquel assistaient, en dehors de Joachim II, quatre anciens patriarches de Constantinople, les titulaires d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, et vingt et un métropolites ou évêques grecs, 4 février 1861, loin d’exercer une influence salutaire sur les dispositions des mécontents, ne fit au contraire que les aigrir davantage et les pousser à ne rien céder de leurs prétentions. On parut le comprendre au Phanar et l’on s’aperçut que l’on avait été un peu trop loin et surtout un peu trop vite. Déjà la nation s’ébranlait vers Rome ; la Bussie, inquiète de voir se constituer une nation slave catholique, qui tôt ou tard lui barrerait la route de Constantinople, pressait les Grecs de recourir à quelques concessions ; la Porte elle-même ne voyait pas de bon œil continuer une agitation religieuse qui pouvait un jour dégénérer en révolution. Toutes ces influences réunies décidèrent Joachim II à se relâcher quelque peu de sa raideur habituelle, pour offrir aux révoltés un arrangement en 15 articles, 9 mars 1861. Il leur proposait de régler à l’amiable les rapports de leur nation avec le patriarcat. Des membres du clergé bulgare seraient élus et ordonnés métropolites et évêques dans les métropoles et les évêchés purement bulgares ; une école de théologie serait établie pour leur nation ; dans toutes les écoles de la Bulgarie l’enseignement de la langue bulgare précéderait toutes les autres études ; deux métropolites bulgares seraient membres du saintsynode ; tous les offices seraient célébrés en slavon dans les métropoles et les évêchés purement bulgares, etc.

A ce règlement en 15 articles, qui ne les satisfaisait presque sur aucun point, les Bulgares en opposèrent un autre en 8 articles, que vingt-huit de leurs délégués, mars 1861, furent chargés de remettre au ministre turc compétent. Ils proposaient que, dans les circonscriptions exclusivement bulgares, on ne nommât que des évêques bulgares ; que, dans les circonscriptions mixtes, les prélats fussent élus par les fidèles à la majorité des suffrages ; que les rapports avec le patriarche n’eussent trait qu’aux affaires purement religieuses ; que le synode fût composé en nombre égal de Grecs et de Bulgares ; qu’un archevêque bulgare résidant à Constantinople servît d’intermédiaire permanent entre le clergé bulgare et le patriarcat ; qu’il fût créé dans la capitale un conseil bulgare, formé par moitié de prêtres et de laïques et auquel serait confiée la gestion des intérêts bulgares, sous la présidence d’un fonctionnaire ottoman ; enfin, qu’un membre laïque de ce conseil fût reconnu comme chef civil de la nation dans ses relations avec le gouvernement. Pour toute réponse, le Phanar, qui conservait encore la juridiction civile sur tous les orthodoxes, fit interner dans différentes villes d’Asie Mineure les trois principaux meneurs, à savoir : Hilarion, Auxence et Païsios de Philippopoli, Il mai 1861. La Porte, qui s’était montrée sévère à l’endroit de ces réclamations, finit elle-même par demander une entente : une commission de six Grecs et de six Bulgares fut nommée le 30 juillet 1862 pour examiner les huit articles. Elle n’aboutit à aucun résultat. Cet échec fut en grande partie attribué à l’opiniâtreté de Joachim II, qui avait dès le début poussé les choses à l’extrême ; il fut déposé le 21 juillet 1868 et remplacé, le 2 octobre suivant, par Sophrone III. Avec ce nouveau patriarche les négociations reprirent. Un congrès, composé de Grecs et d’évêques bulgares, se réunit le 5 mars 1864 pour examiner la charte présentée par les dissidents ; après quatre mois de délibérations, l’accord ne put encore s’établir. Devant le mauvais vouloir des phanariotes, les Bulgares résolurent de recourir à tous les moyens. Non contents de ne pas reconnaître les évêques et les prêtres choisis par le patriarcat grec, et de ne plus acquitter les taxes ecclésiastiques, ils se mirent à expulser les prélats phanariotes, comme à Viddin en 1864, à Bouslchouk en 1865, à Tirnovo en 1867, à Monastir en 1868 ; de là, des conllits incessants soit avec les autorités religieuses, soit avec les autorités civiles, qui prenaient trop souvent fait et cause pour les Grecs. L’installation de plusieurs milliers de Tcherkesses musulmans, transplantés par les Turcs du Caucase dans les contrées balkaniques, et les mille déprédations qui s’ensuivirent, jointes à des remaniements administratifs et territoriaux, aggravèrent encore cette situation, qui parut désormais intenable. Le mouvement séparatiste s’accentuait de jour en jour et s’étendait à presque tous les villages, les ecclésiastiques des deux partis en venaient aux mains pour, s’arracher le service des paroisses, et les Turcs, ellrayés de l’attitude provocante que prenait la Bussie en faveur de ses frères slaves, retusaient aux évêques grecs le concours de la force armée pour les remettre en possession des églises et des presbytères enlevés. 1 Pour remédier à tous ces troubles, les Grecs déposèrent le patriarche Sophrone III, le 16 décembre 1866, et le remplacèrent, le 22 février 1867, par Grégoire VI, qui montait pour la seconde fois sur le trône œcuménique. Ce patriarche soumit, au mois d’août 1867, un nouveau projet au grand-vizir. Il consentait à instituer un métropolitain portant le titre d’exarque de toute la Bulgarie. Mais, comme l’autorité de ce dignitaire devait être restreinte au vilayet du Danube, c’est-à-dire au territoire compris entre le Danube et les Balkans, d’un côté, la mer Noire et la Serbie, de l’autre côté, les Bulgares refusèrent à leur tour de souscrire à cet arrangement dans lequel ils voyaient un piège, tendu dans le but de leur faire reconnaître publiquement qu’il n’exis-