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BOURSE iJEUX DE)


son action et déploie ses ressources. D’une manière générale et en théorie, on ne peut pas aflirmer que tout marché à terme différentiel est nécessairement jeu ou pari. Lorsque la différence des cours est prévue avec certitude ou avec de grandes probabilités fondées sur le raisonnement et l’observation, l’opération n’est plus un jeu de hasard.

Sans doute, l’achat pour revendre est nul s’il implique nécessairement aux termes choisis une revente entre les mêmes personnes, l’objet du contrat ayant une valeur invariable. Ce sera un pari si cet objet est soumis à des iluctuations de valeur. Ce n’est pas le cas des marchés différentiels tels qu’ils se pratiquent ordinairement à la Bourse. On achète à une personne pour revendre à une autre, et l’objet de la convention n’est point entre les parties contractantes la hausse ou la baisse aléatoire de la marchandise ou des titres. Il peut y avoir — et il y a en réalité — des’-marchés à terme qui ne soient que des paris et des jeux, mais ceux qui se pratiquent à la Bourse dans les conditions et suivant les formes en usage, sont de véritables marchés. Le marché est réel du côté de l’acheteur puisque le droit d’escompter lui est rigoureusement réservé en toute occasion. Le contrat lui donne donc ab initio le droit d’exiger la livraison des titres. Réel du côté de l’acheteur le marché l’est aussi par conséquent du côté du vendeur. En outre le droit de livraison est maintenu en principe au vendeur comme à l’acheteur en liquidation.

Le contrat d’achat ou de vente n’exclut pas la livraison, et l’intention des parties de régler par différence ne change pas la nature du contrat.

Si maintenant nous voulons classer la spéculation non plus au point de vue de la forme mais au point de vue du fond, nous la diviserons en spéculation à la hausse et spéculation à la baisse. Le haussier achète pour revendre plus cher au jour de la liquidation, le baissier vend pour racheter à plus bas prix. A une période de hausse succède une période de baisse et réciproquement, l’art de la spéculation consiste à prévoir le moment de la transition.

On a dit avec raison : la spéculation est l’àme du commerce. La spéculation réelle, celle qui suppose la livraison effective des marchandises, offre des avantages incontestables :

1° Elle assure les approvisionnements, car il est de l’intérêt de celui qui achète des quantités considérables de marchandises — du blé par exemple — de vendre au plus haut prix possible. Pour cela il doit les mettre en vente dans les endroits où l’offre est insuffisante. Le spéculateur prévient donc la disette en portant les denrées dans les contrées où la récolte a manqué’.

2° Elle produit le nivellement des prix. En achetant de grandes provisions de blé dans les endroits où les céréales abondent, le spéculateur empêche un avilissement des prix nuisible au producteur. En portant les denrées dans les régions où la récolte a manqué, il prévient la cherté. Nous supposons, comme de raison, que les capitaux ne se coalisent pas pour l’accaparement ou le monopole. Ce sont là des manœuvres qui restent en dehors de la simple spéculation.

3° La spéculation, enfin, épargne au producteur l’embarras d’emmagasiner la marchandise en attendant la vente. Cet avantage a une importance spéciale pour les denrées usuelles, qui sont beaucoup mieux garanties contre les causes de détérioration dans les docks et les magasins réunis, où ils sont soumis à une surveillance constante.

Tout autre est le rôle de la spéculation fictive, celle qui s’exerce uniquement sur la différence des cours. Par elle-même elle ne produit pas la moindre valeur nouvelle, ne facilite en rien l’échange des marchandises et ne diminue ou n’augmente la somme des richesses. Le

spéculateur de bourse est un parasite presque toujours inutile, souvent dangereux.

La spéculation fictive, dit-on, égalise les prix du terme et du comptant en liquidation, elle donne au marché plus d’ampleur et d’élasticité. C’est vrai dans une certaine mesure, mais en même temps, la spéculation exagère très souvent et par conséquent fausse les prix dans le sens de la hausse ou de la baisse. Il importe assez peu de diminuer l’écart entre le terme et le comptant, si le comptant lui-même est trop élevé ou trop bas par rapport aux conditions normales de l’offre et de la demande. L’extension indéfinie du marché, qui résulte des opérations fictives, sert principalement l’intérêt privé des intermédiaires, beaucoup moins celui des producteurs et consommateurs, des acheteurs et vendeurs sérieux, et fort peu l’intérêt général de la société. Et puis quelle énorme disproportion entre l’effet et la cause : à la Bourse de Paris il se traite une seule opération réelle contre cinquante fictives !

Les défenseurs de la spéculation supposent toujours dans leurs plaidoiries enthousiastes que les conditions normales de la concurrence se trouvent réalisées à la bourse. Il y a loin de la théorie à la pratique et en réalité les petits et les moyens spéculateurs sont à la merci des gros financiers.

La bourse est fréquentée par trois classes de personnes : celles qui, disposant de capitaux considérables, se sont fait une profession de spéculer ; celles qui, avec des capitaux médiocres, se sont fait aussi une profession de spéculer, et celles qui, ayant une autre profession et des capitaux d’importance moyenne plus ou moins disponibles, viennent chercher dans la spéculation un moyen nouveau pour eux d’augmenter leur fortune en peu de temps. Les premiers font habituellement les cours, les seconds les prévoient, les troisièmes opèrent le plus souvent au hasard.

Il est manifeste que les spéculateurs de la première classe, qui joignent à la possession de capitaux importants l’habitude des spéculations de bourse, jouissent d’avantages tels qu’ils sont en réalité les maîtres du marché dans les temps ordinaires. Ils peuvent à volonté, par des achats et des ventes considérables, agir énergiquement dans le sens de la hausse ou de la baisse et eux seuls le peuvent. Un premier moyen à leur disposition c’est de faire hausser ou baisser le prix des reports. Ainsi une maison spéculant à la hausse offre’20 millions en espèces sur le marché des reports, dont le prix s’abaisse. Les petits spéculateurs à la hausse, c’est-à-dire acheteurs, sont dispensés de se liquider, de vendre pour le moment, de là une puissante cause de hausse. La même maison veut-elle une baisse, à la liquidation suivante elle relire les 20 millions qu’elle a placés en reports, de manière à forcer les petits spéculateurs à la hausse à vendre par suite de l’impossibilité ou de la difficulté de se faire reporter.

Les grands spéculateurs ont encore un autre moyen plus efficace et plus direct. Les cours qui règlent la liquidation des marchés à terme fermes ou à prime ne s’écartent jamais beaucoup du comptant. Or le cours du comptant s’établit, dans les temps ordinaires, sur un petit nombre de ventes effectuées par des particuliers étrangers à la spéculation, d’après leurs besoins. Le gros spéculateur peut facilement, en même temps qu’il opère à terme, dominer le marché du comptant, où les offres réelles s’élèvent au cinquantième à peine de la somme des marchés à terme et dont le cours règle tous les autres. I>ès lors, spécule-t-il à la hausse : aux environs de la liquidation il fait acheter au comptant pendant quelques jours une quantité considérable des rentes ou des valeurs sur lesquelles il opère. La hausse est inévitable sur le cours du terme. Spérule-t-il à la baisse,

à l’approche de la liquidation, il jette sur le marché au

comptant de gros paquets de rentes ou de valeurs et une.