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BOSSUET

1088 « S’il y a une faiblesse dont il soit injuste d’accuser cet homme « si véritablement grand » , c’est la vanité littéraire. Dans la longue liste de ses ouvrages, en trouverait-on un seul qu’il ait composé, un seul qu’il ait publié pour faire acte d’auteur ? Je ne le crois pas. L’intérêt manifeste de la foi, on l’a souvent et justement remarqué, tut toujours son unique règle : disons plus, l’intérêt contemporain de l’Église. Ceux même de ses travaux qui, en leur temps, avaient pu être utiles, mais qui, selon lui, ne l’étaient plus, ne méritaient pas, à ses yeux, de durer. Il laisse s’accumuler et se disperser les manuscrits de ses sermons, et c’est par surprise qu’on lui arrache la publication des Oraisons funèbres. Ce désintéressement avait frappé, de son temps déjà, ses adversaires eux-mêmes. Voilà un prélat, disait Bayle, « qui n’est pas du nombre de ceux qui écrivent pour « écrire. » A. Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, 1. I, c. i.

Cet homme qui a pu se déclarer « le plus simple de tous les hommes…, le plus incapable de toute dissimulation et de toute finesse » , Relation sur le quiétisnic, sect. vi, est aussi un homme bon. Il aime sa famille. Voir sa lettre à l’évêque de Mirepoix sur la mort de son frère Antoine, 24 février 1699. Il garde jusqu’à la lin tousses amis, excepté, hélas ! Fénelon, dont la nomination comme précepteur du duc de Bourgogne lui avait inspiré une lettre du plus joyeux et aussi du plus pathétique accent. Il use de son influence pour faire le bien (témoin tous ces protestants condamnés à diverses peines dont il obtint la grâce). Voir 11. Druon, Bossuet à Meaux.

Sans doute, des défauts se mêlent à ces vertus. Bossuet est faible pour les siens. Il abandonne à un neveu et à une nièce le gouvernement de son domestique ; pour un autre neveu, pour celui qui, si la chose eût été possible, l’aurait compromis à Rome et devant l’histoire, il sollicite une coadjutorerie que Louis XIV refuse. Largement pourvu de bénéfices, il donne et dépense, peu soucieux de ses affaires. Il est sincère dans sa passion pour la royauté, dans l’enthousiaste admiration qu’il ressent pour Louis XIV, et qu’il ne s’est jamais lassé d’exprimer ; mais cette passion pour l’institution et pour l’homme va trop loin. Il exagère les droits du pouvoir : il porte, si je l’ose dire, la superstition du sang royal, jusqu’à l’honorer dans ceux qui ne l’avaient reçu qu’au mépris de la loi morale, et qui, au point de vue de la tradition monarchique, n’étaient rien. Voir la dédicace de sa Mineure ordinaire à l’indigne évêque commendataire de Metz, fils de Henri IV et de la marquise de Verneuil : 1 nés t plane nescio quid excelsum sanguini regio, etc. Mais il n’était pas le seul à tenir un tel langage. Mascaron, quoique assez discrètement, rappelle, dans l’oraison funèbre du duc de Beaufort, que ce prince était du « sang du grand Henri » .

Par cette superstition monarchique s’explique la faiblesse de Bossuet dans l’affaire de la régale. C’est son gallicanisme surtout qui explique la part prise par lui à la Déclaration de 1682 ; gallicanisme qu’attestent et cette longue et laborieuse Defensio dont on voudrait pouvoir contester l’authenticité, et le mémoire contre Roeaberti (1696).

Enfin, cet homme si bon a eu dans la polémique, non seulement des rudesses, mais des duretés. Sa vieillesse chagrine soupçonnait et accusait trop aisément.

Tout ceci prouve que Bossuet n’égale pas les saints que l’Église a élevés sur ses autels ; mais, nonobstant ces erreurs, ces faiblesses, et les fautes qu’elles ont entraînées, Bossuet, du commencement à la fin de sa carrière, fut un homme de foi et de religion profondes. Sa vie en a fourni des preuves irrécusables. Quelques traits encore achèveront de le peindre. Interrogé par un incrédule mourant qui lui disait : « Que pensez-vous de la religion ? » il répond avec l’inimitable accent de la conviction : « Qu’elle est divine, et que je n’en ai jamais

douté. » Toujours sincère avec lui-même, comme s’il eût redouté sa faiblesse, à une supérieure de communauté qui un jour lui avait demandé : « Quelle grâce implorerai-je pour vous ? » il disait : « Que je n’aie point de complaisance pour le monde. » Enlin, Bossuet mourant s’indigne qu’on ose prononcer à son chevet le mot de gloire.

Le théologien.

Nous avons saisi, au cours de cette

étude, le caractère et admiré la haute valeur de la théologie de Bossuet. L’évêque de Meaux est l’homme de la tradition ; il eût pu adopter la lière devise : Je maintiendrai. Nous l’avons vu étudier de bonne heure la tradition dans les Pères, dans saint Augustin surtout. Aussi, épris de cette théologie positive à laquelle le XVIIe siècle français a élevé d’indestructibles monuments, suivait-il d’un œil attentif, accueillait-il avec joie toutes les trouvailles qui, de son temps, enrichissaient le trésor de la patrologie. Et sa critique, aidée par les lumières croissantes de l’érudition, s’attachait à discerner les œuvres authentiques de celles qu’une longue erreur avait prêtées aux Pères. C’est ainsi que, dans sa Défense de la tradition sur la communion sous une espèce, part. II, c. xxxi, il déclare supposés les ouvrages qui avaient été attribués à saint Denis l’Aréopagite. Voir aussi Tradiliondes nouveaux mystiques, c. xvi, sect. VI.

Nous l’avons remarqué aussi, défenseur de l’immutabilité du dogme catholique, Bossuet n’a pas eu suffisamment — et ses contemporains l’avaient peu — la notion de ce développement doctrinal que Franzelin et surtout Newman nous ont rendue familière.

L’apologiste.

Nous savons la place immense

que l’apologétique tient dans l’œuvre de Bossuet. Nous l’avons rencontrée dans les sermons, dans l’oraison funèbre d’Anne de Gonzague ; elle domine, elle triomphe dans le Discours sur l’histoire universelle. Prétendra-t-on que cette apologétique est mal informée ; qu’elle ignore les dangers du présent, qu’elle ne prévoit pas ceux de l’avenir ? Le catalogue et l’inventaire de la bibliothèque de Bossuet fourniraient contre cette assertion un préjugé solide. « Une bibliothèque est révélatrice d’une nature d’esprit et d’une méthode de travail. Celle de Bossuet nous le montre attentif à tout ce qui pouvait intéresser l’apologétique et la critique, l’exégèse et la controverse. » F. Brunetière, Le testament de Bossuet et V inventaire de sa bibliothèque, dans la Bévue Bossuet, juillet 1901. Bossuet connaît ses contemporains, il se sert d’eux, il les juge. Il connaît Bacon, puisqu’il cite du philosophe anglais une pensée qui a été bien souvent redite. Défense de la tradition et des SS. Pères, part. II, 1. VI, c. xv. Il prend à partie le scepticisme railleur de Montaigne qui se survivait au XVIIe siècle. De la connaissance de Dieu et de soi-même, c. V, n. 1. Il fait réfuter par Fénelon le Traité de la nature et de la grâce, et il écrit cette lettre fameuse où Malebranche est si sévèrement jugé. A un disciple du P. Malebranche, 21 mai 1687. Il admire Descartes, et cependant il n’hésite pas à écrire dans cette même lettre : « Je vois… un grand combat se préparer contre l’Église sous le nom de la philosophie cartésienne. Je vois naître de son sein « t de ses principes, à mon sens mal entendus, plus d’une hérésie… » Et les grands adversaires, les grands négateurs du christianisme, Bossuet ne les a pas ignorés. C’est Socin, nous l’avons vii, qu’il poursuit dans le Sixième avertissement ; c’est Spinoza, le Spinoza contempteur de la révélation mosaïque et chrétienne, que, sans le nommer, il réfute dans le Discours sur l’histoire universelle. Presque à la fin de sa longue carrière, il signalait à l’évêque de Fréjus, Fleury, « l’esprit d’incrédulité qui gagnait tous les jours. » Lettre du Il décembre 1702. Cet esprit, Bossuet n’a jamais cessé de le combattre par les armes les plus opportunes et les plus sûres.

En terminant, nous avons donc le droit de nous approprier ce jugement qui résume une conférence de