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obscurément le 9 juin 1717, longtemps après la conclusion du mémorable débat dont elle avait été l’occasion. Mais ni son souvenir, ni ses doctrines, ni son nom ne seront absents de l’éclatante controverse qui va mettre aux prises Bossuet et Fénelon.

Tous deux avaient souscrit les articles dTssy, mais les deux ouvrages qui parurent presque en même temps, l’Instruction pastorale sur les états d’oraison, et les Maximes îles saints sur la vie intérieure, prouvent assez que Bossuet et Fénelon n’entendaient pas de ia même manière l’adhésion qu’ils avaient donnée.

De l’Instruction sur les e’tats d’oraison, Bossuet ne publia que le premier traité, où sont combattues les erreurs des nouveaux mystiques. Le second traité, retrouvé et imprimé pour la première fois en 1897, par les soins d’un sulpicien, M. Levesque, « l’homme de France, a-t-on dit, qui connaît le mieux Bossuet, » donne les principes solides’de l’oraison chrétienne. Bossuet se proposait d’expliquer, dans les trois derniers traités, , les principes des oraisons extraordinaires dont Dieu favorise quelques-uns de ses serviteurs ; il se proposait enfin d’expliquer les sentiments et les locutions des saints docteurs dont les faux mystiques ont abusé, Préface de l’Instruction sur les états d’oraison, IX ; mais ces traités n’ont jamais été écrits.

Le traité publié en mars 1697 contient dix livres et se divise en deux parties. On y retrouve Bossuet tout entier, avec sa plénitude de doctrine et son éloquence. Ici comme ailleurs, il excelle à exposer la tradition ; il dispose en maître les textes, jugeant d’un mot souvent définitif les auteurs auxquels il les emprunte, et il n’est jamais gêné par ses richesses. Sans doute, il ne discerne pas d’un clair regard le motif spécifique de la charité : la perlection souveraine, aimée d’un amour qui n’exclut pas l’espérance, mais qui en fait abstraction ; et c’est sur ce point que Fénelon aura raison. « Pour lui, a dit M. Levesque parlant du second traité (et cette remarque s’applique aussi au premier traité), l’amour de charité ne va pas sans l’amour de la béatitude dont le motif est essentiel à tous nos actes. » Instruction sur les étals d’oraison, second traité, Introduction, iv. Les suppositions impossibles par lesquelles certains saints, dans un excès d’amour, renonçaient au salut, l’attirent peu, et l’on est sûr qu’il ne les fera jamais ; toutefois, la connaissance et l’estime qu’il a de la tradition le gardent de tout jugement qui serait aisément irrévérencieux et injuste. « Sans chercher des raisons pour autoriser ces actes, écrit Bossuet, on voit assez qu’on ne les peut regarder comme produits par la dévotion des derniers siècles, ni les accuser de faiblesse, puisqu’on en voit la pratique et la théorie dès les premiers jours de l’Église, et que les Pères les plus célèbres de ce temps-là les ont admirés comme pratiqués par saint Paul. » Instruction, etc., premier traité, 1. IX, c. m.

Bossuet avait communiqué son manuscrit à l’archevêque de Cambrai ; il attendait de l’ami naguère sacré par lui (10 juin 1695) une approbation qui eût mis en évidence l’accord des conférenciers dTssy. L’approbation fut refusée : Fénelon reconnaissait dans le quiétisme visé par Bossuet les idées de M » " Guyon qui lui demeuraient chères ; et dans l’Instruction sur les états d’oraison, il ne reconnaissait pas sa propre doctrine.

Cette doctrine, il l’exposa dans l’Explication des Maximes des saints sur la vie intérieure. Par suite de l’indiscrète précipitation du duc de Chevreuse, le livre parut dès février 1697, quarante jours avant celui de Bossuet. L’ouvrage, au dire de Fénelon, avait été revu et approuvé par Noailles, Tronson, Pirot. Sur l’approbation donnée par ce dernier docteur, voir Ch. Urbain, Revue d’histoire littéraire de la France, 15 avril, 15 juillet 1896. Nous savons ce que Fénelon pensait de l’archevêque de Paris, « esprit court et confus » qui ne savait « ni creuser, ni suivre, ni embrasser une difficulté » .

Quant à Tronson, sa lettre à Fénelon, sous les formes du plus prolond comme du plus sincère respect, montre assez que le sage sulpicien, s’il n’osait blâmer, se gardait bien d’approuver. « Je les ai lus seul (les papiers que vous m’avez confiés) ; mais j’aurais souhaité de les pouvoir lire avec quelque personne plus éclairée et plus expérimentée que moi dans ces sortes de matières ; car j’ai trouvé des endroits qui me passent et qui sont au-dessus de ma portée. Comme vous m’avez témoigné que Mor l’archevêque de Paris les avait vus, et qu’il n’y trouvait rien à redire, je crois que cela vous doit suffire, et que mon sentiment vous serait assez inutile. »

De fait, l’archevêque de Cambrai entrait seul dans le champ de bataille ; de l’aveu d’un de ses amis, M. de Brisacier, supérieur du séminaire des Missions étrangères, les Maximes avaient été mal reçues par le public. L’opinion, qui plus tard devait se retourner en faveur de Fénelon, ne vit d’abord dans son livre que des subtilités dangereuses, exposées dans un style sec et étriqué. Bossuet se tut pendant quinze jours, donnés tout entiers à l’examen des Maximes. « Le cri public, a-t-il écrit, fit venir aux oreilles sacrées du roi ce que nous avions si soigneusement ménagé… Nous parlâmes les derniers ; chacun sait les reproches que nous essuyâmes de la bouche d’un si bon maître, pour ne lui avoir pas découvert ce que nous savions… » Relation sur le quiétisme, sect. vi, § 5. Là est toute la vérité. Laissons les caricatures qu’on a tracées de cet entretien de Bossuet avec Louis XIV. Si l’évêque de Meaux, à propos de son collègue, prononça le mot de fanatisme — on peut le croire, puisque Fénelon qui le rappelle dans sa Réponse à la Relation sur le quiétisme n’a pas été contredit

— regrettons-le, mais sans oublier que ce mot dans la langue du xvii c siècle, dans la langue même des admirables lettres de Fénelon sur la religion, n’avait pas le sens que nous lui donnons de nos jours, et signifiait une croyance aveugle et enthousiaste, dépourvue de bases solides.

Dans l’ouvrage, dans la doctrine de Fénelon, tout devait déplaire à son redoutable antagoniste. Bossuet s’étonnait, il s’indignait d’apprendre que dans l’Église, à côté de cette tradition publique, permanente, universelle, dont nul n’a plus fortement ni plus magnifiquement parlé que lui, on prétendait en introduire une autre, tradition occulte, j’allais dire aristocratique, à l’usage des seuls spirituels et des parfaits. Faut-il rappeler les pages où, fort des témoignages de l’antiquité, il ruine une si étrange prétention ? Tradition des nouveaux mystiques, c. vi. Presque à la fin de la controverse, il s’écriera : « Nous n’enseignons pas des mystères pour de prétendus parfaits, que le commun des fidèles doive ignorer : nous parlons au peuple, pour ce peuple d’acquisition dont il est écrit : Vous n’étiez pas le peuple, et vous êtes maintenant le peuple d’acquisition. .. Où il s’agit d’inslruclion…, toutes les âmes rachetées sont de même prix en Jésus-Christ, et la mesure de leur valeur est dans la commune rançon de son sang. » Dernier éclaircissement à M. de Cambrau, a. 2.

Bossuet a résumé les points qui, dans l’ouvrage de Fénelon, lui paraissaient appeler la censure. « Pour ne nous pas tenir aux discours vagues, dira-t-il, je réduis toute la matière du livre des Maximes des saints à quatre principales questions : la première, s’il est permis de se livrer au désespoir et de sacrifier absolument son salut éternel ; la seconde, s’il est permis en général, et s’il est possible, non seulement d’avoir un amour d’où l’on détache le motif du salut et le désir de la béatitude, mais encore de regarder cet amour comme le seul parfait et pur ; le troisième, s’il est permis d’établir un certain état où l’on soit presque toujours guidé par instinct, et en éloignant tous les actes qu’on appelle de pure industrie et de propre effort ; la quatrième, s’il laut admettre un état de contemplation d’où les