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BAIUS


fendu cette proposition, en ce sens que sans le secours de Jésus-Christ il ne peut y avoir bon usage du libre arbitre. Baiana, p. 23. Il la défendit également dans l’apologie adressée à Pie V, en faisant appel à cette affirmation du pape saint Célestiu, dans sa lettre aux évêques gaulois, c. vu : Ncmo nisi per Christum, libero bene ulitur arbitrio. Denzinger, Enchiridion, n. 91.

Personne ne conteste que ces propositions n’aient été justement condamnées comme téméraires et scandaleuses, pour les qualifications dures et odieuses qu’elles attachent à des opinions reçues et autorisées parmi les théologiens orthodoxes. Elles sont donc fausses sous le rapport de la censure, et par suite on n’a pas le droit de traduire comme pélagiennes les opinions dont il s’agit. Suarez, De gratia, 1. I, c. xxiii, n. 15. La phrase de saint Célestin est de filiation augustinienne et s’explique facilement d’après les principes signalés plus haut ; on n’use pas bien du libre arbitre, à parler rigoureusement, quand on ne l’utilise pas pour atteindre sa lin dernière ou même dans l’ordre naturel, quand on s’en sert pour faire le bien dans quelques cas seulement, et non pas d’une manière habituelle et constante. Est-il permis d’allerplus loin, et de voir dans la condamnation des propositions 29e, 30e, 37e et 65e, la sanction des opinions que Bains y rejetait, opinions soutenant que, sans un secours de la grâce proprement dite, l’homme peut non pas seulement en principe, mais en pratique, accomplir des actions naturelles moralement bonnes, surmonter de vraies tentations et faire quelque bon usage de son libre arbitre ? La réponse négative paraît s’imposer, si l’on s’en tient uniquement à ce qui ressort du fait même de la condamnation contenue dans la bulle Ex omnibus af/liclionibus. Toutes ces questions sont restées, depuis lors, objet de libre controverse en théologie. Les meilleurs défenseurs des actes pontificaux contre le baianisme en conviennent ; tel, le cardinal Bellarmin qui, dans ces questions, ne fait jamais appel à la bulle de Pie V et soutient même qu’on ne peut par les seules forces de la nature surmonter une vraie tentation. De gratia et libero arbitrio, 1. V, ’* ;. vil sq. Tel encore Ripalda, quoiqu’il tienne, et à juste titre, pour lausses les propositions 29e, 30e, 37e et 65e, entendues avec saint Pie V in rigore et proprio verborum sensu ab assertoribus intento ; car Baius déniait au libre arbitre laissé à lui-même la puissance antécédente et physique de faire quoi que ce soit de bon dans l’ordre moral. Il en va tout autrement dans les diverses opinions des théologiens catholiques sur ces points délicats et complexes.

Est-ce à dire qu’on ne peut en aucune façon se servir des bulles contre le baianisme et le jansénisme pour étayer ou confirmer les sentiments plus favorables au pouvoir naturel du libre arbitre ? Non pas, mais la preuve doit alors reposer moins sur le seul fait de la proscription des propositions 29e et semblables, que sur l’ensemble des principes clairement établis par les documents pontificaux. Les docteurs de Louvain ont donné l’exemple ; dans leur corps de doctrine, c. v, ils ne se contentent pas de revendiquer pour l’homme déchu la possibilité d’éviter quelques péchés : « Il reste, disent-ils, dans la nature tombée un jugement sain sur plusieurs devoirs de la vie, et un amour naturel du bien honnête dont la source se trouve dans les forces de cette nature qui n’est pas totalement dépravée. Aussi reconnaître quelque bien naturel, c’est-à-dire un bien qui ait pour principe les seules forces de la nature, sans le secours de la grâce spéciale de Jésus-Christ, ce n’est nullement penser comme Pelage ou donner dans son hérésie, c’est au contraire acquiescer à une vérité manifeste. » Baiana, p. 168. Voir Ripalda, op. cit., disp. XIII, sect. iv ; Vasquez, op. cit., disp. CXC, c. xviii, utile à lire, mais justement redressé sur plusieurs points par Ripalda.

IV. PROPOSITIONS RELATIVES A LA CHARITÉ ET A L’ACCOMPLISSEMENT DE LA LOI DIVINE.

38. Omnis amor creaturae ra tionalis aut viliosa est cupiditas, qua mundus diligitur, quoe

a Joanne prohibetur, aut lau dabilis illa chantas, qua per

Spiritum Sanctum in corde dif fusa Deus amatur. De chari tate, c. vi ; Baiana, p. 100.

34. Distinctio illa duplicis

amoris, naturalis videlicet, quo Deus amatur ut auctor naturæ,

et gratuit !, quo Deus amatur

ut beatificator, varia est et

commentitia et ad illudendum

sacris Litteris et plurimis ve terum testimoniis excogitata.

De charitate, c. iv.

36. Amor naturalis, qui ex

viribus naturae exoritur, ex

sola philosophia per elationem

præsumptionis humanaa cum

injuria crucis Christi defenditur a nonnuilis doctoribus. De cha ritate, c. v ; Baiana, p. 100.

Tout amour de fa créature »

raisonnable est, eu cette cupi dité vicieuse par faqueile on

aime le monde, et que saint

Jean défend, ou cette louable

charité par laquelle on aime

Dieu et que le Saint-Esprit ré pand dan » nos cœurs.

La distinction de deux

amours, savoir, le naturel par

lequel on aime Dieu comme

auteur de la nature, et le gra tuit par lequel on l’aime comme

auteur de la béatitude, est

vaine, chimérique et inventée

pour se jouer des saintes Let tres et de nombreux témoigna ges des anciens.

C’est en s’appuyant sur la

seule philosophie et en s’aban donnant orgueilleusement à

une présomption humaine, que

certains docteurs soutiennent,

au mépris de la croix du

Christ, qu’il y a un amour na turel, né des forces de la na ture.

La proposition 38e nous est déjà suffisamment connue par l’analyse du traité De charitate : quelle importance elle a dans la doctrine de Baius, on a pu s’en rendre compte par ce qui a été dit jusqu’ici. Le sens du docteur lovaniste, dénaturé souvent, n’est pourtant pas douteux pour quiconque a lu son opuscule. Il parle, non pas de la charité habituelle, dont il laisse même l’existence en question, mais de la charité actuelle, « mouvement du cœur par lequel nous aimons Dieu et le prochain. » C. il. Et comme il l’unit toujours à la loi, c’est évidemment la charité théologale qu’il faut entendre. Du reste, Baius ne connaît qu’un amour de Dieu, celui qui est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit ; d’où le rejet, dans la proposition 38e, d’un amour qui aurait pour objet Dieu comme auteur de la nature, et qui serait un amour naturel en son principe, c’est-à-dire produit par le libre arbitre laissé à ses seules forces. Baiana, p. 99. D’où encore, et pour le même motif, la proposition 36e qui, dans le texte de l’auteur, s’applique non à tout amour, mais à l’amour de Dieu. Toutefois la charité n’est pas parfaite en nous dès le début ; elle a des degrés, dont le premier s’identifie avec cette bonne volonté de nous tourner vers Dieu, qui correspond au commencement de la foi. C. vin. Par conséquent, dans la proposition 38e, Baius nie tout moyen terme, dans l’ordre de la moralité, entre la cupidité vicieuse et la charité théologale prise dans son acception totale de charité parfaite et imparfaite. Il invoque des témoignages patristiques assez connus, par exemple ce texte de saint Augustin : Begnat camalis cupiditas ubi non est charitas, Enchiridion, c. cxvii, P. L., t. xl, col. 287 ; où cet autre de saint Léon : Duo namque amores sunt, ex quibus omnes prodeunt voluntates, etc. Serm., xc, c. iii, P. L., t. liv, col. 448.

Cette doctrine de Baius est certainement liée dans sa pensée à la conception fondamentale qui lui faisait considérer Dieu tel qu’il est en lui-même comme la fin naturelle de toute créature raisonnable. Seule la charité, guidée par la foi, peut nous unir à Dieu tel qu’il est en lui-même ; tout autre principe de moralité est impropre à nous faire atteindre notre fin dernière. Cependant, quand il s’agit d’établir la nécessité de cette union à Dieu dans tous nos actes, Baius fait intervenir, on l’a vu déjà, un second principe, celui de l’obligation stricte où nous sommes de tendre à notre fin dernière par tous nos actes et par conséquent, dans son hypothèse, de les