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BONNE FOI


et aux inconvénients qui pourraient résulter d’une conduite différente, ces mêmes théologiens admettent que les pénitents peuvent être prudemment laissés dans leur bonne foi. Lehmkuhl, Theologia moralis, 9e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1898, t. i, n. 948. Dans cette même opinion on devra conclure que le vrai propriétaire simplement privé par la loi de tout droit à une revendication juridique, reste autorisé, par le droit naturel, à se compenser secrètement, dans les limites strictement permises. Lehmkuhl, loc. cit.

III. Bonne foi tiiéologique.

I. analyse de ses Éléments tbéOLOGIQUES. — 1° Indication de ces éléments. — Deux éléments la constituent :  !, une inadvertance entièrement inconsciente et involontaire à l’ignorance ou à l’oubli pratique d’une obligation morale. Sans doute, cette inadvertance n’existe réellement que dans la mesure où il y a absence réelle d’attention, tant virtuelle qu’actuelle, au caractère moral de l’acte présentement accompli ou efficacement voulu in causa. Mais il est également certain que l’advertanec virtuelle in causa peut, dans sa forme la plus rudimentaire, n’être que l’attention à un doute sérieux et persévérant ou à l’obligation de s’instruire ou de consulter avant de poser telle cause déterminée. Voir Attention, t. i, col. 2216 sq.

2. Le délaut de consentement, direct ou même indirect, provenant d’une entière inadvertance morale et par conséquent exempt de toute culpabilité. Ce deuxième élément, dans le sens où nous l’indiquons ici, dépend absolument, du premier, S. Thomas, Quæstiones disputâtes, De malo, q. iii, a. 8 ; il doit conséquemment se mesurer d’après lui.

Jugement concret sur les cas particuliers.

Pour

porter un jugement équitable sur l’existence concrète des éléments théologiques de la bonne foi, on doit : 1. tenir compte des causes internes ou externes qui peuvent troubler et même fausser les jugements pratiques de la conscience sur les obligations morales naturelles ou surnaturelles. S. Thomas, Quæstiones disputatæ, De veritate, q. xvii, a. 2. Parmi ces causes, il faut surtout mentionner les dispositions personnelles du sujet, la tournure de son esprit, peut-être exclusivement porté vers telle étude spéciale ou tel genre particulier de preuves, des inclinations naturelles ou acquises et surtout les préjugés de toute nature. Nationaux ou locaux, universels ou restreints à une classe particulière, ces préjugés occasionnés par l’éducation familiale ou collégiale ou par l’influence du milieu social, sont presque toujours enracinés dans l’intelligence et dans la volonté par de fortes habitudes devenues comme une seconde nature. On ne se contentera pas d’une connaissance théorique de ces diverses causes. On s’efforcera de préciser le rôle exact de la libre détermination individuelle vis-à-vis de ces influences quelquefois si puissantes et si persistantes. Puisque le problème de la responsabilité morale est nécessairement une question individuelle, on devra non point appliquer une sorte de mesure universelle mécaniquement identique, mais essayer de porter un jugement individuel sur chaque cas particulier, d’après les données que l’on possède. Enquête très ardue, parce qu’elle suppose une exacte analyse du travail intime de l’intelligence et de la volonté, et que les bases d’une sérieuse induction nous font fréquemment défaut.

2. On doit encore tenir compte de l’état habituel de la conscience. Si elle est habituellement et coupablement négligente dans l’accomplissement du devoir de s’instruire ou si elle fait habituellement peu de cas des fautes graves, la présomption est en faveur de la culpabilité- de l’ignorance, ou de l’absence de bonne foi dans tel cas particulier. Cependant ce n’est qu’une présomption que l’on doit abandonner en présence de preuves contraires. En réalité si l’acte particulier avait été accompli avec précipitation, l’advertance morale nécessairement requise

pour une faute grave pourrait n’avoir point exUlé, surtout en face d’efforts certains pour corriger les défauts déjà remarqués dans la conscience. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 66. Ainsi il pourrait y avoir bonne foi suffisante pour excuser de toute faute grave. Mais s’il s’agit d’une conscience habituellement timorée ou même particulièrement délicate, il y a en faveur de la bonne foi une forte présomption qu’une évidence contraire peut seule déposséder. Cette règle pratique, communément admise en théologie morale, est également vraie de l’adhésion à la foi catholique. Que des âmes très timorées mettent parfois beaucoup de temps à voir pleinement la vérité catholique et à la suivre irrévocablement, c’est un fait historiquement constaté. La vie intime du cardinal Newman avant sa conversion définitive nous en offre un très remarquable exemple. Thureau-Dangin, La renaissance catholique en Angleterre du xixe siècle, I re partie, Paris, 1899, passim ; H. Brémond, L’inquiétude religieuse, Paris, 1901, passim.

3. On considérera aussi la gravité de l’obligation non seulement en elle-même, mais encore dans l’appréciation subjective de l’individu et dans celle de son milieu social. Plus cette obligation revêt un caractère particulièrement impérieux, soit en elle-même, soit dans la conscience des sujets intéressés, plus l’erreur ou l’ignorance de bonne foi est difficilement admissible.

4. On ne négligera point les facilités ou difficultés personnelles que chacun peut rencontrer dans l’acquisition de la science qu’il est tenu de posséder. Les facilités communes offertes à tous ne suffisent point pour établir un critère uniformément applicable à chaque individu. Ainsi on se gardera d’établir en principe que dans les pays où la vérité catholique est publiquement et fréquemment prêchée, là surtout où elle règne presque exclusivement et sans conteste, il est impossible que des hérétiques ou des infidèles soient de bonne foi. Même au plus beau siècle de la prédominance de la foi catholique en Espagne, Suarez et les théologiens de Salamanque enseignaient que, dans un milieu principalement chrétien, des hérétiques ou des infidèles peuvent, de fait, rester en dehors de toute influence chrétienne et n’éprouver aucun doute sur la vérité’de leur communion religieuse. Suarez, De fide, disp. XVII, sect. ii, n. 6, 9, 10, 13 ; Salmanticenses, Cursus théologiens dogmaticus, tr. XVII, disp. IX, n. 9. D’ailleurs toute généralisation universellement appliquée à tel pays, à telle région ou à telle catégorie de personnes a été formellement réprouvée par Pie IX dans son allocution consistoriale du 9 décembre 1854 : Nunc vero quis tantum sihi arrogel ut hujusmodi ignorantise designare limites queat juxla populorum, regionum, ingeniorum aliarumque rerum tam multarum rationem et varietatem " ? Denzinger, Enchiridion, n. 1504.

II. OBJET DE LA BONNE FOI TBÉOLOGIQUE.

1° Vérités de la religion naturelle. — Ces vérités, considérées dans leur ensemble, ne peuvent être entièrement ignorées en toute bonne foi et d une manière persistante par aucun adulte. — 1. Nous ne parlons que d’adultes jouissant du plein développement de leur raison, quel’que soit le moment précis auquel ce développement ait lieu, suivant les capacités naturelles de chacun et surtout suivant les secours ou les obstacles provenant du milieu familial ou social. D’ailleurs, chez les peuples vivant normalement de la vie chrétienne, cette variation dans le développement moral et religieux est généralement assez restreinte. Ce développement accompagne ou suit habituellement de très près l’âge de raison. En est-il de même chez les peuples qui n’ont jamais possédé la vérité chrétienne ? Peut-il se faire que chez ces peuples, généralement ou du moins assez fréquemment, le développement moral et religieux n’aille point de pair avec le développement de la raison dans les connaissances profanes ? En conséquence, peut-il se