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BONIFACE VIII


ne put suppléer les lacunes de son esprit politique, mais elle donna aux derniers jours de son pontificat, durant les scènes tragiques d’Anagni, un caractère de’grandeur que n’avaient pas eu les débuts du destructeur de Palestrine.

Le pouvoir pontifical, suivant la conception du moyen âge, ne disparut pas tout d’un coup de la scène politique. Au xiv siècle, il soutint encore une lutte prolongée contre Louis de Bavière, mais avec l’appui de la France. 11 était pourtant trappe dans son principe ; c’est ce que proclament les absolutions trop facilement données par les successeurs de Boniface, Benoit XI et Clément V, aux auteurs de l’attentat, à la seule exception de Nog’aret, choisi comme bouc émissaire. La défaite de Boniface eut son contrecoup aux xiv « et xve siècles jusque sur le pouvoir spirituel lui-même dans les controverses du gallicanisme.

III. La bulle Unamsanctam.— EHe n’estpoint donnée dans YEnchiridion de Denzinger. Comme ce morceau capital a été passionnément discuté et souvent invoquédans les controverses sur le pouvoir des papes, notamment dans les phases aiguës du gallicanisme et du culturkampf, vers 1682 et après 1870, il ne sera pas inutile d en rappeler ici le texte. La traduction française que nous en donnons précise un peu certaines expressions vagues et abstraites du texte latin, et contient ainsi par endroits un élément de commentaire. La bulle débute par un développement enrichi de comparaisons bibliques pour affirmer l’unité de l’Église qui n’a qu’un chef en la personne de Jésus-Christ, à qui Pierre et les papes ont succédé comme chefs visibles. La métaphore des deux glaives amène ensuite le passage important

In hac ejusque potestate duos esse gladios, spiritualem videlicet et temporalem, evangelicis dictis instruimur. Nam dicentibus apostolis : Ecce gladii duo hic, in Ecclesia scilicet, cum apostoli loquerentur, non respondit Dominus, nimis esse, sed satis. Certe qui in potestate Pétri temporalem gladium esse negat, maie verbum attendit Domini proferentis : Couverte gladium tuum in vaginam. Uterque ergo (est) in potestate Ecclesiæ, spiritualis scilicetgladius et materialis, sed is quidem pro Ecclesia, ille vero ab Ecclesia exercendus, ille sacerdotis, is manu regum et militum, sed ad nutum et patientiam sacerdotis. Oportet autem gladium esse sub gladio et temporalem auctoritatem spirituali subjici potestati. Nam cum dicat apostolus : Non est potestas nisi a Deo, quse autan sunt, a Deo ordinata sunt ; non ordinata essent, nisi gladius esset sub gladio et tanquam iriferior reduceretui’per alium in suprema. Nam-secundum beatum Dionysium lex divinitatis est, inflma per média insuprema reduci. Non ergo secundum « rdinem universi omnia aeque ac immédiate, sed intima per média, inferiora per superiora ad ordinem reducuntur. Spiritualem autem et dignitate et nobilitate terrenam quamlibet præcellere potestatem oportet tanto clarius nos fateri, quanto spiritualia temporalia antecellunt. Quod etiam ex decimarum datione et benedictione et sanctificatione ex ipsius potestatis

L’Evangile nous apprend qu’il y a dans l’Église et dans la puissance de l’Église deux glaives, le spirituel et le temporel. Quand les apôtres ont dit : Il y a deux glaives ici,

— ici, c’est-à-dire dans l’Église,

— le Seigneur n’a pas répondu : C’est trop, mais : Ces assez. Certes celui qui nie que le glaive temporel soit en la puissance de Pierre, méconnaît la parole du Seigneur disant : Remets ton épêe au fourreau. Donc l’un et l’autre glaives sont dans la puissance de l’Église, le spirituel et le temporel ; mais celui-ci doit être tiré pour l’Église, celui-là par l’Église, l’un par la main du prêtre, l’autre par la main des rois et des soldats, mais du consentement et au gré du prêtre. Cependant il faut que le glaive soit subordonné au glaive, l’autorité temporelle à la puissance spirituelle, car l’Apôtre dit : / ; n’y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu, mais ce qui est, est ordonné par Dieu ; or, cet ordre n’existerait pas, si l’un des deux glaives n’était subordonné

à l’autre, et en tant que son inférieur rattaché par lui à la catégorie suprême, car selon saint Denys : La loi de la divinité est que les choses inférieures soient rattachées aux supérieures par les intermédiaires. Il n’est donc pas conforme à l’harmonie de l’univers que toutes choses soient ramenées à l’ordre de façon parallèle et immédiate, mais seulement les plus intimes par des

acceptione, ex ipsarum rcrum gubernatione claris oculis intuemur. Nam veritate testante spiritualis potestas terrenam potestatem instituere habet et judicare, si bona non fuerit. Sic de Ecclesia et ecclesiastica potestate verificatur vaticinium Jeremiae prophetas : Ecce constitui te hodic super génies et régna, etc., quæ sequuntur.

termes moyens, les inférieures par des termes supérieurs. Que la puissance spirituelle l’emporte en dignité et en noblesse sur toute puissance temporelle, nous devons le reconnaître d’autant plus évidemment que les choses spirituelles l’emportent davantage sur les choses temporelles. Le paiement, la bénédiction et la sanctification des dirnes, la collation du pouvoir et la pratique même du gouvernement le font voir clairement à nos yeux. Car au témoignage de la vérité, il appartient à la puissance spirituelle d’instituer la temporelle et de la juger si elle n’est pas bonne. Ainsi se vérifie, touchant l’Eglise et la puissance ecclésiastique, l’oracle de.Térémie : Je vous ai établi aujourd’hui sur les nations et sur les royaumes, etc.

Si donc la puissance temporelle s’égare, elle sera jugée par la puissance spirituelle ; si la puissance spirituelle s’égare, l’inférieure sera jugée par la supérieure, et si c’est la puissance suprême, par Dieu seul. Elle ne pourra pas être jugée par l’homme, ainsi que l’atteste l’Apôtre : L’homme spirituel juge de tout et il n’est lui-même jugé par personne. Or, cette autorité, bien que donnée’à un homme et exercée par un homme, n’est pas une autorité humaine, mais plutôt un pouvoir divin, conféré à Pierre de la bouche même de Dieu, la pierre affermie pour lui et pour ses successeurs dans le Christ qu’il avait confessé, lorsque le Seigneur dit à Pierre lui-même : Tout ce que tu lieras, ete ! Ainsi, quiconque résiste à la puissance ordonnée de la sorte par Dieu, résiste à l’ordre de Dieu, à moins qu’il ne pense, à l’exemple de Manès, qu’il y a deux principes, ce que nous jugeons faux et hérétique. Car au témoignage de Moïse, ce n’est pas dans les principes, mais dans le principe, que Dieu a créé le ciel et la terre. En conséquence nous disons, déclarons et définissons que d’être soumis au pontife romain est pour toute créature humaine de nécessité de salut.

La bulle existe dans le Régeste de Boniface : l’existence n en doit pas être mise en doute. L’on ne saurait concevoir pourquoi cette bulle causerait aux théologiens plus d embarras que tant d’autres documents pontificaux ou des papes ont affirmé nettement leur souverain pouvoir en matière temporelle. Sans remonter à Grégoire VII ou à Innocent III, on citerait des textes analogues de papes comme Grégoire IX et Innocent IV Boniface était donc dans la vraie tradition des papes du XIII » siècle, qui eussent été surpris s’ils avaient pu prévoir que des apologistes modernes plaideraient en leur laveur les circonstances atténuantes au non, « du droit public » existant au moyen âge, alors qu’ils justifiaient leur action publique par des considérations sur l’essence même de leur pouvoir. Us eussent mieux compris les distinctions entre le pouvoir direct, le pouvoir indirect

Ergo si deviat f errena potestas, judicabitur a potestate spirituali ; sed si deviat spiritualis minor, a suo superiori ; si vero suprema, a solo Deo, non ab homine poterit judicari ; testante apostolo : Spiritualis homo judicat omnia, ipse autem a nemine judicatur. Est autem hæc auctoritas, etsi data sit homini, et exerceatur per hominem, non humana, sed potius divina potestas, ore divino Petro data, sibique suisque successoribus in ipso Christo, quem confessus fuit, petra firmata, dicente Domino ipsi Petro : Quodcumque ligaveris, etc. Quicumque igitur huic potestati a Deo sic ordinatae résistif, Dei ordinatione resistit, nisi duo, sicut Manichaïus, fingat esse principia, quod falsum et hæreticum esse judicamus. Quia testante Moyse, non in principiis, sed in principio cxlum Deus creavit et terram. Porro subesse romano pontifici omni humanæ creaturse declaramus, diciiiius et definimus, omnino esse de necessitate salutis.