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BONIFACE VIII


cessours rendues depuis l’année 1234 et elles forment le Liber sextus Decretalium publié le 3 mars 1299 et inséré dans le Corpus du droit canonique.

Dans l’intervalle de ses deux différends avec Philippe le Bel il canonisa le roi de France saint Louis, le Il août 1297. En 1300, il institua le jubilé.

Le pape Boniface prit une série de mesures pour mettre la paix entre les séculiers et les réguliers ; mais ses dispositions (cf. bulle Super cathedrar » ) furent supprimées par Benoit XI, pour être ensuite remaniées par Clétnent V au concile de Vienne. Les réguliers reçurent licence de prêcher dans leurs églises et dans les rues, mais non aux heures des prédications paroissiales. Ils ne devaient prêcher dans les paroisses que de l’aveu des curés et confesser dans les diocèses du consentement de l’évêque ; le pape cependant prévient l’abus du pouvoir épiscopal qui consisterait à refuser en bloc les pouvoirs de coniesser à tous les religieux d’un ordre indistinctement.

lioniface VIII annula l’union prononcée par son prédécesseur entre les spirituels et les ermites célestins, condamna les fraticelles, remplaça les chanoines réguliers de Latran par des chanoines séculiers plus faciles à recruter, dit le pape, dans les conditions convenables de capacité.

IL Jugement. — La physionomie de Boniface VIII est extrêmement complexe. Les accusations dirigées contre lui par Nogaret : hérésie, simonie, inceste, manquent de tout fondement. Les accusations portées par les Colonna ont davantage une apparence de vérité : il est vrai que Benoit Gaëtani a vraisembablement conseillé l’abdication à Célestin V qui ne joignait à ses intentions très saintes ni l’expérience des allaires ni la capacité de gouverner. Après l’abdication de Célestin, il dut s’assurer de la personne du pauvre religieux et lui faire agréer sa réclusion, pour l’empêcher de devenir aux mains des fanatiques et des intrigants une cause de troubles et peut-être de schisme. Il assuma ainsi aux yeux des contemporains le rôle compromettant d’un geôlier ; mais le jugement de la postérité doit le lui compter comme un acte de sagesse et de prudence. Benoit Gaètani a probablement prévu qu’il recueillerait la succession de Célestin ; le conseil qu’il lui a donné d’abdiquer n’en était pas moins excellent, motivé par les actes du pontile, impérieusement commandé peut-être par la conscience du bon canoniste qui le donnait. Eût-il eu l’ambition du pontilicat, on ne serait en droit de la lui reprocher comme un crime que si elle lui avait fait commettre des actes indignes dont il laudrait apporter des preuves plus solides que les poésies enflammées d’un Jacopone, ou les éloquentes invectives d’un Dante. Ce ne fut pas l’ingratitude mais la nécessité du gouvernement qui lit prononcer à lîoniface l’annulation des grâces et faveurs octroyées sans discernement par son prédécesseur. En votant pour lîoniface dans le conclave, les cardinaux Colonna ont d’avance mis à néant les griefs que leur maison devait alléguer un jour contre lui.

L’on ne peut nier que Boniface VIII n’ait disposé très librement des sommes levées en vue de certains emplois, enfin qu’il n’ait travaillé à enrichir la famille des Gaëtani ; mais ce dernier grief ne doit pas être jugé trop sévèrement à une époque où l’État pontifical, échappant a [’étreinte de l’Empire, devenait aisément la proie des familles romaines trop puissantes. Le népotisme offrait aux papes (’lus l’équivalent de la sécurité dynastique dans un État héréditaire ; mais on conçoit qu’eu pareille matière l’excès est bien pies de l’usage.

Enfin dans ses luttes politiques les intentions du pape Boniface étaient nobles el élevées : il n’avait point contre la France l’hostilité de parti pris que dépeignent certains historiens ; avant son élévation au trône les cardinaux lavaient surnommé le Français — Gallicus — à cause de -> prédilection pour le pays qu’il avait habité dans ta jeunesse ; il eut une grande confiance en Charles de

Valois, le propre frère du roi, qui, en Italie, fut jusqu’au bout son allié et presque son instrument ; il s’efforça sincèrement de pacifier l’Europe que la politique des rois de Erance et d’Angleterre tenait en haleine, tant pour l’amour de la paix, que par désir de tourner les armes des chrétiens contre les infidèles. D’ailleurs, pour un pape du moyen âge, le mauvais gouvernement de Philippe le Bel offrait toutes les raisons possibles d’intervention : non seulement il réclamait l’impôt des clercs, mais il les pressurait aussi bien que tous ses sujets : il étendit indûment le droit de régale sous le nom de « sauvegarde royale » à toutes les prélatures vacantes et profitait des vacances pour amoindrir les biens d’Église et les mettre au pillage ; il abusait de l’induit pontifical qui lui accordait à l’occasion des vacances une année des revenus des doyennés, archidiaconés et autres prébendes ; enfin le refuge accordé aux Colonna était une injure directe à la personne du pape.

Ce que l’on peut reprocher à la mémoire de Boniface, c’est une humeur un peu altière, un sans-gêne dans l’intervention, une vivacité de premier mouvement qui le forçait ensuite à des retours en arrière, à des atténuations et à des explications qu’il eût mieux valu donner du premier coup ou même rendre tout à fait inutiles ; c’est ainsi qu’en septembre 1293 il créa l’évêché de Pamiers aux dépens de celui de Toulouse sans consulter le roi et y nomma Bernard Saisset, dont la personne déplaisait particulièrement au roi ; c’est ainsi qu’après les bulles Clcricis laicos et Ausculta fili, le pape dut apporter bien des tempéraments aux affirmations trop générales de ses bulles. Ce n’est qu’après l’éclat de la bulle Ausculta fili, qu’il déclara ne revendiquer une certaine suprématie temporelle qu’en raison du péché, ratione peccati, non rationc dominii.

Ce que l’on peut surtout discuter dans la politique de Boniface VIII, ce ne sont pas les qualités morales du pape, mais le principe général qui l’inspire aussi bien que ses prédécesseurs. Il était utile aux peuples de voir un pouvoir spirituel, une grande force morale intervenir pour défendre des sujets opprimés ou des Églises asservies ; mais c’est une voie où il est difficile de s’arrêter ; les efforts des papes vont, sinon à les placer expressément au sommet de la hiérarchie féodale, tout au moins à les iaire juges de la plupart des conllits naissant entre les princes et les nations de la chrétienté ; mais une suzeraineté que ne soutenait point une force territoriale suffisante était trop souvent illusoire comme l’avait montré la décadence des Carolingiens en Erance ; l’intervention par voie d’autorité dans les allaires des princes risquait de déchaîner les guerres aussi bien que de les prévenir ; le conflit que Boniface chercha à susciter entre Albert d’Autriche et Philippe le Bel en est une preuve ; l’emploi des armes spirituelles dans des luttes armées où le souverain pontife pouvait être suspecté de défendre des intérêts temporels, discréditait les excommunications, les interdits qui s’étaient multipliés outre mesure ; leurs guerres avaient contraint les papes de lever des subsides avec une rigueur et une fréquence qui ajoutaient à la misère des Eglises et des peuples. A la fin du XIIIe siècle surtout, deux grands laits tendent à stériliser les interventions pontificales : c’est d’abord le prestige grandissant des rois qui prédominent sur la féodalité ci tendent au pouvoir absolu ; c’est ensuite la constitution des nationalités à l’abri du pouvoir royal. Si les papes ont pu vaincre en Allemagne les Eiohenstaufen, c’est que depuis près d’un siècle ils avaient l’appui de la France et de son roi. La faute politique de lioniface VIII fui d’entrer en lutte avec la France, où la formation de la nationalité’était le plus avancée, avec le roi qui disposait de la puissance continentale la plus réelle, sans avoir aucune alliance en Europe capable de lui offrir un soutien, au moment OÙ les armes spirituelles avaient de moins en moins de crédit. La force de caractère du pape