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BONAVENTURE (SAINT)


science scolastique peut devenir plus aimante, plus complète et plus profonde grâce au souille mystique qui sort de l'âme. Et, de fait, l’histoire constate cette heureuse union dans quelques âmes d'élite ; elle nous ollre, comme le prouve A. de Margerie, Essai sur la pliilosop/iie de saint Bonaventure, un des plus beaux exemples de cette union dans le docteur séraphique, qui, employant les deux procédés, n’a, à proprement parler, qu’un seul système (une seule philosophie), dont son surnom indique admirablement le caractère.

Le mysticisme de saint Bonaventure n’a rien d’un visionnaire. Emprunté aux Pères, au pseudo-Denys et à saint Bernard, il est surtout le développement de la doctrine des Victorins ; il n’est donc qu’une expression vivante de la science des Pères et de l’ancienne tradition de l'Église sur la vie contemplative r et il a pour parant toute l’antiquité. <i Son mysticisme est l’incarnalion la plus parfaite du mysticisme au xiiie siècle. » De Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, p. 291.

/II. PLACE QU’OCCUPE SAINT BONAVENTUHE DANS LA

SCOLASTIQUE. — Le nom de Bonaventure, collègue et ami de Thomas d’Aquin à l’université de Paris, est très souvent joint au nom du patron des écoles catholiques. Sixte-Quint, qui les appelle « les deux oliviers et les deux brillants chandeliers de la maison de Dieu » , nous explique la raison de cette constante union des deux docteurs. « Il existe entre eux, dit-il, une union parfaite, une merveilleuse similitude de vertu, de sainteté et de mérites. » Cum multa inter cos, virtutis, sanctitalis, doctrinse, nierilorum conjunclio et similitudo intercédât. Bulle Triumphanlis Hierusalem, n. 13. Aussi ne pouvons-nous mieux indiquer la place qu’occupe Bonaventure dans la scolastique qu’en comparant sa doctrine avec celle de saint Thomas, car « la théologie scolastique a été illustrée principalement par ces deux glorieux docteurs » . Theologia sc/iolaslica, quam duopotissimum gloriosi doctores, angelicus S. Thomas et seraphicus S. Bonaventura… exccllenti ingenio, assiduo studio, tnagnis laboribus et vigiliis excoluerunt. Loc. cit., n. 10. Ces paroles, citées par Léon XIII dans l’encyclique JEtemx Patris, nous autorisent à affirmer que ces deux illustres génies sont les princes de la théologie scolastique. Cependant ils ne le sont pas au même titre ; ils ne se sont pas distingués de la même façon dans toutes les parties de la scolastique, ni à tous les points de vue. Aussi, quoiqu’ils soient d’accord dans leurs principes et la plupart de leurs conclusions, quoiqu’ils dirigent leurs études vers le bien suprême, comme leur but unique, ils ont cependant leur caractère propre, signalé par Dante :

L’un fu tutto serafico in ardore

L’altro per sapienza in terra lue

Di cherubica luce un splendore. Parad., cant. 11.

De là, résultent plusieurs divergences.

Ainsi, par exemple, la doctrine spéculative de saint Bonaventure, quoique extrêmement étendue, n’est pas aussi développée, en quelques-unes de ses parties du moins, ni aussi complètement organisée que celle de saint Thomas. C’est surtout en philosophie que s ; iint Thomas est plus abondant. Il traite les questions philosophiques ex professo, tandis que le docteur séraphique les aborde incidemment et seulement au degré nécessaire pour résoudre clairement et sagement les problèmes théologiques. De plus, saint Thomas, ayant consacré toute sa vie aux études, a pu organiser complètement son système, ce que lionaventure, appelé au gouvernement de son ordre, n’a pu faire. Nous pouvons donc, d’une façon générale, reconnaître la supériorité, sous le rapport spéculatif, des œuvres de saint Thomas, quoique néanmoins l’autorité de saint Bonaventure soit plus grande en plusieurs questions particulières. En outre, saint Bonaventure est plutôt platonicien et saint

Thomas plutôt aristotélicien. Saint Thomas excelle dans l’analyse, saint Bonaventure dans la synthèse. Les écrits de saint Thomas sont rédigés suivant la méthode et la forme scolastiques ; dans sa manière de dire, saint Bonaventure imite plutôt le genre de saint Augustin. Bref, on peut dire que le docteur séraphique surpasse le docteur angélique pour la synthèse théologique et les vues d’ensemble et aussi par ses écrits mystiques.

On comprend ainsi quelle doit être l’utilité de joindre l'étude de saint Thomas, qui illumine surtout l’intelligence, à celle de saint Bonaventure, quienllamme surtout le cœur. En étudiant ces deux docteurs, on connaît tout ce que le moyen âge nous a laissé de beau et de sublime. Il n’y a donc pas lieu de s'étonner que Léon XIII ait écrit dans sa lettre du 13 décembre 1885 au ministre général des frères mineurs : Nullo modo dubitandum est quin cat/tolici prsesertim juvenes in spem Ecclesiæ succrescenles qui ad philosophica ac theologica sludia, secundum Aquinatis doctrinam seclanda se conferunt, perlegendis sancti Bonaventuræ operibus plurimam ulililatem sint hausuri atque ex eorum scriptis quasi ex præcipuis armentariis gladios ac tela sumant quibus in teterrimo bello adversus Ecclesiam ipsamque humanam societaletn commolo hostes superare strenue queant. Cf. S. Bonaventuræ Opéra omnia, t. iii, p. 2.

iv. influence. — La doctrine de saint Bonaventure a été souvent invoquée par les conciles œcuméniques. Nous avons dit plus haut l’inlluence personnelle que le saint a exercée au concile de Lyon (1274). Dans les conciles suivants de Vienne (1311), de Constance (1414-1417), de Bàle (1431), de Florence (1438), de Lalran (1512), et même dans celui de Trente, qui a tant honoré saint Thomas, la doctrine de saint Bonaventure a servi à résoudre les questions difficiles, à confondre l’erreur et à faire triompher la vérité. Cf. Bonelli, Prodromus, p. 929b. Le concile du Vatican, dans ses constitutions dogmatiques, n’a rien promulgué qui ne soit contenu dans les écrits de noire saint ou qui n’en découle nécessairement. Cf. Louis de Castroplanio, Serapliicus doctor S. Bonaventura in œcumenicis calholicæ Ecclesiæ couciliis cum Patribus dogmala dejiniens, Rome, 1874, p. 49-368.

La doctrine de Bonaventure a eu l’honneur d'être enseignée dans les universités les plus célèbres du moyen âge. Dans plusieurs, on l’enseignait avec celle des autres maîtres, saint Thomas, Albert le Grand, Alexandre de Halès ; dans d’autres, il était considéré comme le docteur principal, et un cours spécial était consacré à l’explication de ses écrits. Au nombre de ces dernières, Bonelli énumère les universités d’Ingolstadt, de Sakbourg, de Valence et d’Ossuma. Cf. Bonelli, Prodrom us, p. 110.

Dans l'école franciscaine, il faut l’avouer, la doctrine de saint Bonaventure, comblée d'éloges de la part des théologiens étrangers à l’ordre, a été presque négligée jusqu'à la tin du xvie siècle. Aussi, les écrits de ses disciples immédiats, de Jean Peckham, archevêque de Cantorbéry, de Matthieu d’Aquasparta, élu général de l’ordre en 1287 et créé cardinal de l’Eglise en 1288, de Guillaume de Ealgar, évêque de Viviers (Albæ Belvetiorum), d’Alexandre d’Alexandrie, ministre général, quoiqu’ils ne manquent pas d’importance, restèrent inédits. L'école du docteur séraphique fut supplantée par celle de Scot, le docteur subtil. Cependant elle ne disparut pas complètement dans l’ordre. Mlle eut toujours des disciples. Cf. Bonelli, Prodromus, p. 109 ; Evangélistede Saint-Béat, S. Bonaventura scholm franciscanæ magister præcellens, p. 39-50.

A la fin du xvr siècle, un mouvement de retour à la doctrine du docteur séraphique se produit dans l’ordri des mineurs grâce à Sixte-Quint, qui plaça Bonaventure aux rangs des premiers et principaux docteurs de l'Église, ordonna l’impression de ses œuvres et fonda