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BONALD


Sa vie indique déjà quelles furent ses idées. Jamais, en effet, homme n’eut une vie plus une et plus conforme à ses principes.

II. Méthode et idées.

Bonnld est un publiciste plutôt qu’un philosophe, bien qu’il s’efforce de ramener tout à des principes métaphysiques et psychologiques. Il ne se place guère, en fait, qu’au point de vue social. C’est même une mission sociale qu’il remplit en écrivant ; car, si & la littérature est l’expression de la société » , elle est aussi « le fabricateur de la société de demain » et « depuis l'Évangile jusqu’au Contrat social, ce sont les livres qui ont fait les révolutions » .

Tous ses écrits n’ont qu’un but : détruire l'œuvre du xviiie siècle et restaurer la croyance en la monarchie de droit divinet l’obéissance sociale au catholicisme.

Il est, en effet, l’adversaire infatigable de Condillac, de Condorcet, de Saint-Lambert, de J.-J. Rousseau et même de Montesquieu. Il a ainsi sa place marquée à coté de Chateaubriand et de J. de Maistre. Il n’est pas leur égal cependant par le génie et il diffère d’eux par la méthode. Sa méthode propre est l’argumentation. « Il est, a-t-on dit, le dernier des scolastiques. » Il ne s’inquiète ni d'émouvoir, ni de persuader ; « les grandes et légitimes affections viennent de la raison ; » il déduit et raisonne. Aucun trait brillant : il veut convaincre avec probité. Avoir une seule idée dont on soit bien sûr et tirer tout d’elle : système politique, système religieux, système domestique, etc., tel est son idéal. Son système constitue ainsi un tout dont on ne saurait détacher une partie et qui se fixe en formules longuement méditées. Cette dialectique continue fatigue évidemment ; mais Ronald la tait paraître plus intempérante encore en ramenant tout aux trois termes : cause, moyen, effet, qu’il manie algébriquement et d’où il tire des espèces de proportions et d'équations.

La doctrine fondamentale de Bonald est celle-ci : « Il existe une et une seule constitution de société politique, une et une seule constitution religieuse ; la réunion de ces deux constitutions et de ces deux sociétés constitue la société civile ; l’une et l’autre constitution résultant de la nature des êtres qui composent chacune de ces deux sociétés aussi nécessairement que la pesanteur résulte de la nature des corps. » Théorie du pouvoir, Préface. Or, cette unique constitution de société politique est la société royale pure ; cette unique constitution de société religieuse est la religion catholique.

Voilà la thèse ; voici la démonstration. Elle repose sur une théorie propre à Bonald relative à l’origine du langage. L’homme n’a pu inventer sa parole : Dieu lui a révélé le langage et avec lui, par lui, toutes les vérités de l’ordre religieux, moral et social. En effet, « l’homme, dit Bonald traduisant librement une pensée de Proclus, est une intelligence servie par des organes. » Législation primitive, 1. I, c. il, a. 3. Or, c’est un fait de l’ordre psychologique : cette intelligence ne peut concevoir une idée — morale, sociale ou générale — sans le mot qui l’exprime, et « l’homme pense sa parole avant de parler sa pensée » . Ainsi, d’après un mot de Rousseau, « la parole était nécessaire à l’homme pour inventer la parole » et même pour exercer sa faculté de penser. Recherches philosophiques, c. il. L’homme n’a donc pu inventer le langage.

La société n’a pu davantage l’inventer. Quoi qu’en ait dit Rousseau, la société, œuvre de Dieu, est un fait primitif nécessaire et qui suppose l’existence du langage. « La société humaine, n’a pu exister sans le langage, pas plus que l’homme hors de la société. » Ibid.

De ces deux affirmations, Bonald conclut que le langage est un fait naturel, nécessaire et qui, « s’il n’a pu être inventé par l’homme, ni par les hommes, a donc été primitivement donné au genre humain, dans la personne d’un premier homme, transmis par lui à ses premiers descendants, et par eux, à tous les autres et au genre

humain. » Ibid. Le premier homme a donc reçu lo langage par un don spécial, par une révélation orale, « d’un être supérieur à l’homme et antérieur au genre humain, » de Dieu, « partout nommé, partout connu et par conséquent existant. » Recherches pltilosophiques, c. x ; Législation primitive, 1. I, c. iii, îv. Evidemment, cette révélation orale contemporaine du premier homme a eu pour objet les vérités générales de l’ordre religieux, moral et social — existence d’un Dieu créateur, législateur, rémunérateur et vengeur ; distinction du juste et de l’injuste, etc. — indispensables à l’homme et qu’il ne pouvait acquérir de lui-même, étant donnée son impuissance à créer la parole. C’est donc par voie d’autorité et non par voie de raisonnement que ces vérités sont venues au premier homme, à la première famille.

C’est aussi par voie d’autorité etd’enseignement qu’elles arrivent à chaque génération, avec le langage. Par le langage, ces vérités sont devenues le bien de la société considérée dans sa généralité la plus absolue et leur connaissance forme la raison universelle. La société « en donne communication à tous ses enfants à mesure qu’ils entrent dans la grande famille. Elle leur en dévoile le secret par la langue qu’elle leur enseigne » , car « si l’homme physique vit de pain, l’homme moral vit de la parole qui lui révèle la vérité » . L’homme est ainsi enchaîné dans ses pensées, dans ses croyances par la tradition, par la société humaine, par le langage. Et quelle impertinente présomption ce serait de sa part de dire : « Je doute, » et non : « Je crois, » à propos de « ces vérités générales qui sont reconnues sous une expression ou sous une autre dans la société humaine » . Il contesterait le plus haut motif de crédibilité ; il opposerait sa raison particulière à la raison universelle. Or, « quelle autorité plus importante que la raison universelle, la raison de tous les peuples et de toutes les sociétés, la raison de tous les temps et de tous les lieux ? » Sans elle, « il n’y a plus de base à la science, plus de principe aux connaissances humaines, plus de point fixe auquel on puisse attacher le premier anneau de la chaîne des vérités, plus de signe auquel on puisse distinguer la vérité de l’erreur, plus de raison en un mot au raisonnement. » Recherches philosophiques, c. i.

En fait, dans les sociétés particulières — encore que l’on n’en trouve aucune sans avoir « avec une langue articulée une connaissance plus ou moins distincte de divinité, d’esprits, d’un état futur » , Législation primitive, Discours préliminaire — les termes se sont détournés de leur sens et la tradition orale s’est altérée. Mais Dieu y a pourvu. Il a donné à la révélation orale le complément d’une révélation écrite qui la fixe — et cela par la même nécessité qui lui a fait révéler à l’homme le langage : « La nécessité de l'écriture qui fixe et étend la parole est évidente, puisque nulles autres sociétés au monde n’ont retenu toute la loi orale que celles qui ont connu la loi écrite. » Législation primitive, 1. II, c. ii, a. 5. A de nombreux signes nous reconnaissons dans la société judaïque etaujourd’hui dans la société chrétienne, « cette révélation écrite, l'écriture de la loi générale dont tous les autres peuples nous offrent dans leurs lois locales une connaissance imparfaite. » Op. cit., 1. II, c. i, a. 8.

La source de toute vérité découverte, Bonald passe aux applications pratiques. Il ne considère pas l’homme en dehors de la société : comme tel, il n’existe pas. Il a été créé pour la société. Or la société est un être vivant qui se développe suivant des lois posées par la providence. A la lumière de la raison universelle, manifestée dans le langage, il recherche quelles sont ces lois, autrement dit, quels sont « les rapports vrais ou naturels entre les personnes de la société » . Op. cit., 1. II, c. i, a. 1. L’homme a des rapports avec Dieu et avec ses semblables ; il appartient à trois sociétés : la société religieuse, la société politique et la société domestique