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BOHÈMES (LES FRÈRES)


en brèche toutes les institutions, sociales, politiques, religieuses, el est appelé à un étonnant succès.

A ceux qui formèrent, les premiers, 1 Unitédes frères, il aurait fallu un credo uniforme, sous peine de retomber dans le mal endémique de la Bohême, la discussion religieuse ; la difficulté était de le composer. On fit rejeter sans doute, au synode de Kunwald, les doctrines picarde et taborite sur l’eucharistie ; et le moyen était habile pour rompre toute solidarité compromettante avec ceux qui avaient révolté l’opinion par leurs excès et avaient encouru la condamnation des diètes ; mais on laissa indécise et flottante la formule dogmatique — et ceci laisse la porte ouverte aux variations futures — pour mettre au premier plan la question disciplinaire. Il s’agissait avant tout d’organiser la secte : ce fut le rôle de Grégoire, neveu de Rokytsana, complètement imbu des doctrines de Cheltchitsky et décidé à fonder une Église nouvelle. Certaines circonstances s’y opposèrent d’abord. Les frères n’avaient pas rompu ouvertement avec les utraquistes ; mais la singularité de leurs rites et de leurs opinions ne tarda pas à éveiller les soupçons. Ils lurent dénoncés comme de vrais hussites, des fauteurs de désordre, des ennemis de la société. Podiébrad, couronné enfin roi de Bohême en 1459, crut devoir protéger l’utraquisme officiel ; il expulsa donc les frères, en 1461, de la Bohême et de la Moravie. Cette persécution n’arrêta pas la propagande de l’Unité. Ses groupes, momentanément dispersés, se cachent dans les lorèts et les montagnes, célèbrent leur culte dans des cavernes, ce qui leur valut de la part du peuple le surnom de jamnici ; ils se multiplièrent et songèrent à se donner une organisation, basée sur la pauvreté volontaire.

En 1467, soixante-dix des principaux frères se réunissent à Lotka, en Bohème, pour se donner un clergé. Ils tirent au sort leurs candidats. Mathiasde Kunwald, Thomas Prelautsch et Élie Krenov sont élus : la présidence est dévolue à Mathias. Restait à les taire sacrer. Des vaudois émigrés prétendaient posséder des évêques légitimes, descendant directement des apôtres par une tradition ininterrompue. Ceci n'était point pour déplaire aux bohèmes, car ils entendaient n’avoir rien de commun avec Rome et tenaient à se rattacher aux origines apostoliques. Aussi présentèrent-ils leurs élus à l'évêque vaudois Etienne, qui leur conféra la consécration épiscopale. Dès lors, l’Unité est constituée ; elle a son autonomie. Elle n’accepte un membre nouveau qu’après l’avoir rebaptisé, Camerarius, loc. cit., p. 102, erreur déjà condamnée par l'Église et dont les frères, en 1558, avouaient n'être revenus que depuis peu. L’Unité est gouvernée par un évêque, président à vie, chargé de d’Ii li 'rer avec ses collègues sur les allaires importantes. Chaque évêque gouverne un diocèse et administre l’ordre ; il est assisté de coadjuteurs. Des prêtres ou pasteurs, aidés d’acolytes et de diacres, remplissent les fonctions ecclésiastiques et sont astreints au célibat. Les frères laïques sont partagés en trois catégories : celle des commençants ou aspirants, celle des avancés ou élus et celle des parlai Is ; c’est parmi ces derniers qu’on choisissait les anciens ou juges des mœurs, les ministres et les édiles. Un conseil suprême d’anciens veille scrupuleusement à la bonne conduite des frères et à la pratique de la pénitence. Tout délinquant, quel qu’il soit, jeune ou vieux, laïque ou ecclésiastique, prêtre ou évêque, est soumis d’abord à une admonestation privée, puis à une réprimande publique, enfin à l’excommunication ou exclusion de l’Unité. Les femmes, en particulier, sont l’objet de règlements très sévères.

Ainsi constituée, l’Unité ne peut plus être confondue avec l’utraquisme officiel, Aussi Rokytsana lance-t-il un mandement contre elle, accusant ces picards d’anarchie, puisque de simples laïques se sont arrogé le droit de ai poser du sacerdoce. Il pousse Podiébrad à sévir i jgourftusement. Les frères doivent se cacher de nou veau. Mais Grégoire parvenait quanù même à composer des traités et à faire parvenir des réponses à Rokytsana, des suppliques au roi, des appels à l’opinion. Il repousse le surnom de picards, qu’il déclare une appellation calomnieuse ; il soutient que les bohèmes restent d’accord avec les utraquistes, puisqu’ils communient sous les deux espèces ; et quant au reste, s’ils sont en désaccord avec l’utraquisme, c’est qu’ils sont passés avec raison à l’Evangile pur. En attendant, grâce à l’anarchie qui sévit en Bohème et à la faiblesse de la répression royale, ils échappent au péril de disparaître, et, en 1471, à la mort de Podiébrad et de Rokytsana, ils respirent en toute liberté,

II. Progrès, 1471-15-26. — Le nouveau roi de Bohême, Ladislas II (1471-1516), est jeune et sans expérience ; l’utraquisme ofticiel est en partie réduit par la prédication de saint Jean de Capistran. Or ce changement de règne et cette déchéance de l’utraquisme profitent à l’Unité, qui pénètre dans la noblesse et envahit tout le pays. Mais, selon la remarque de Denis, loc. ci !., on ne se doutait guère, à la mort de Grégoire en 1473, que, vingt ans après, ses successeurs abandonneraient ses doctrines, condamneraient ses écrits et engageraient l’Unité dans une voie nouvelle. Le succès fut, en effet, pkis redoutable que la persécution. Le nombre des adhérents s’accrut ; leur qualité baissa. Les nouveaux venus se dégagent du passé héroïque ; une génération différente apparaît avec Lukach de Prague, Tcherny et Laurent Krasonitsky ; elle profite des loisirs de la paix pour se livrer à son goût d’examen et de discussion. L’activité littéraire est intense. La question dogmatique est vivement débattue et roule sur l’intervention de la grâce et de la liberté dans le salut de l’homme. Quelques frères continuaient à soutenir avec Cheltchitsky que l’homme est sauvé par la grâce ; mais, contrairement à Cheltchisky, ils se mettent à prôner la résignation, l’indifférence, l’inertie morale. Un tel ascétisme n'était pas sans danger ; il devait condamner la secte à la stérilité et à l’isolement. Procope, un tenant du passé, entrevit ces conséquences ; reprenant les vues de Cheltchitsky, il plaide la cause de la volonté et la nécessité de son concours dans l'œuvre du salut et fait sanctionner cet enseignement par le synode de Brandys en 1490. Son succès fut éphémère ; car, quatre ans plus tard, au synode de Rychnov, les frères novateurs triomphent et font condamner les écrits des deux premiers chefs de l’Unité, Cheltchitsky et Grégoire. C'était rompre avec la tradition du parti et engager l’Unité dans une voie nouvelle. L’esprit de tolérance, qui souffle désormais, ouvre une porte plus large et favorise en particulier tous ceux qui exaltent la foi au détriment des œuvres ; c’est un pas en avant vers le protestantisme. Quelques vieux frères, fidèles malgré tout à la doctrine des premiers jours, protestèrent, mais en vain. Amos et Kubik furent excommuniés et chassés ; leurs partisans se dispersèrent et moins de cinquante ans après ils avaient disparu. L’Unité première avait vécu.

L’Unité nouvelle poursuit son développement organique et progresse jusqu'à l’apparition de la Réforme luthérienne. A la mort de Mathias de Kunwald, en 1500, elle nomme des seniores et quatre évêques, au nombre desquels Lukach. Celui-ci, pour empêcher la secte de se confondre et de se perdre dans quelque Église étrangère à la Bohême, ne se contente pas de ramener dans le culte certaines cérémonies proscrites ; il donne à l’Unité une organisation plus étroite et un symbole, lui conserve quelques-uns des traits de son originalité et l’empêche ainsi de se laisser absorber plus tard par le luthéranisme. L’autorité législative passe au synode ; le pouvoir exécutif au conseil étroit, dont le président porte le nom de juge ; l’ordination des prêtres est réglementée. Le pasteur, assisté^ d’un diacre, est entouré' d’un conseil d’anciens ; il confère les sacrements, reçoil la confession