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BOHÈMES (LES FRÈRES)


I. Origine et débuts, 1434-1471. — En présence des abus et des désordres qui peu à peu et sous des influences diverses s'étaient glissés dans le christianisme, la nécessité d’une réforme se faisait impérieusement sentir. C'était le droit et le devoir de l'Église, par l’intermédiaire du pape et des évêques, d’y travailler avec autorité, et l’Eglise était loin de s’y refuser. Mais, au lieu de laisser à qui de droit le soin de remplir ce devoir et de l’amener à bonne tin par l'étude attentive du mal, la recherche des moyens les plus convenables et l’application progressive et ferme des remèdes les mieux appropriés, des esprits inquiets, impatients et téméraires, sans mandat comme sans autorité, entreprirent, dès le début du xve siècle, de réformer l'Église, en la ramenant, prétendaient-ils, à ses origines et en restaurant le pur Évangile devenu, selon eux, méconnaissable. L’intention était bonne ; mais le procédé, contraire à l’ordre et à la hiérarchie, était révolutionnaire. Jean Huss et Jérôme de Prague n’hésitèrent pas à s’en servir. Jugés, condamnés et exécutés, ils eurent des vengeurs parmi les Tchèques de Bohême qui, confondant étroitement la cause nationale et la cause religieuse, combattirent pour la réforme de l'Église en même temps que pour « la gloire de la langue slave » . Ce fut le début des guerres hussites et aussi la source de malheurs et de ruines sans nombre pour la Bohème. En effet, des dissenssions intestines, suite inévitable de tout mouvement anarchique, ne tardèrent pas à éclater parmi les partisans de Huss. Les quatre articles de Prague résumaient d’abord leurs revendications, savoir : la communion sous les deux espèces ; le retour de l'Église à la pureté de l'Évangile par la suppression des biens du clergé ; la répression des péchés et le droit pour chacun de prêcher librement la parole de Dieu. Mais ces quatre points ne suffisaient plus au parti avancé. Celuici, intransigeant et sectaire, pousse aux extrêmes la rigueur de ses principes et touche déjà au protestantisme ; il rejette les traditions et les cérémonies de l'Église romaine, transforme la messe, la célèbre en langue tchèque, etc. Les modérés se contentent de l’emploi du calice ou de la communion sous les deux espèces, d’où leur surnom de calixtins ou d’utraquis tes ; ils sont traités de déserteurs par le parti qui fait bientôt passer la question religieuse au second plan et accentue les revendications sociales. L’entente est impossible ; les divergences s’accentuent et la guerre éclate. Taboriles, orphaniens et autres radicaux hussites sont écrasés à la bataille de Lipan, en 1431. Deux ans après, les modérés obtiennent du concile de Baie le droit de communier sous les deux espèces, et les compactata sont proclamés lois de l'État. Les chefs des modérés, Rokytsana et Georges de Podiébrad, exilés pendant onze ans à la suite des désordres politiques qui suivirent la mort du roi Sigismond, finissent par se déclarer pour l’utraquisme officiel et légal. Hussites de cœur, ils cherchent, sous le couvert de l’orthodoxie, à obtenir, l’un l’agrément du pape pour l’archevêché de Prague, l’autre la couronne de Bohême. Mais, à peine de retour, ils se laissent vainement solliciter par leurs partisans, les irritent et, sans s’en douter, lancent le Bohême dans les pires aventures : un schisme va éclater.

Dès 1418, un curé de Prague s'était mis à prêcher ave-c ardeur l’amélioration des mœurs et la pratique d’une vie profondément religieuse. En 1453 et 1454, Grégoire avait londé une réunion d’amis qui réclamaient de bons prêtres pour assurer l’efficacité du service divin.

Quelques modérés, et avec eux certains exaltés, plus imprégnés de l’esprit hussite et toujours hostiles à Rome, s’en prennent à la messe, attaquent la prière pour les morts et l’intercession des saints, se plaignent que les calixtins romanisent en tout et partout, et se mettent sous la conduite du cordonnier Pierre Cheltchitsky, homme de peu de science, mais de convictions énergiques et d’une haute valeur morale. En 1457, ils ob tiennent de Podiébrad une terre où ils pourront se réunir en toute liberté et prennent dès lors le nom de VUnité des frères bohèmes. On les traita de picards ; mais ils repoussèrent ce titre comme une injure, car ils avaient des mœurs beaucoup plus pures. Ils se défendirent de même de descendre des vaudois, ainsi que le remarquent Camerarius, Hislorica narratio…, Heidelberg, 1(505, p. 105, et Rudiger, De ecclesia fralrum…, Heidelberg, 1605, p. 147. Ils désavouèrent enfin toute origine taborite ; car loin d'être les continuateurs des taborites, ils s’en séparèrent dans la spéculation et la pratique. Denis, Annales de la Faculté de Bordeaux, 1885, p. 168. Rudiger, l’un des frères, bien qu’il eût soutenu cette origine taborite, n’a pu s’empêcher de blâmer énergiquement le taborite Ziska. En réalité c'étaient des calixtins, mais des calixtins dissidents, comme ils eurent soin de le faire remarquer dans leurs professions de foi de 1532, 1558 et 1572, ne voulant pas de l’utraquisme officiel parce qu’ils tenaient à n’avoir rien de commun avec une Église qu’ils accusaient de s'être éloignée de Jésus. Pour se mettre à l’abri de la violence et du mal, ils fondèrent une confrérie, où ils accueillirent les désabusés, les mécontents, les mystiques et des exaltés ; secte à part, « l’une des plus hardies et des plus étrangères à toute superstition du passé qui soient jamais sorties du christianisme. » Denis, loc. cit., p. 176.

Cheltchitsky fut le théoricien de l’Unité. Séparé des modérés, qui conservaient encore un reste de respect pour l'Église catholique, et des taborites dont il repoussait l’explication de l’eucharistie et dont il blâmait le fanatisme, protestant en outre contre les compactata, Cheltchitsky s’impose par son dédain des choses de la terre et de l’opinion, par sa foi inébranlable. Son peu de culture intellectuelle ne l’avait pas empêché d'écrire ses Postilla, qu’il développa plus tard dans son Filet de la vraie foi. Quelques autres de ses œuvres, écrites en tchèque, le Discours sur la passion de Jésus d’après l’apôtre Jean ; La bête de l’Apocalypse ; Les bandes bohèmes, etc., aident à faire connaître sa doctrine. Sa prétention était de faire revivre l'Église de l'âge apostolique avant qu’elle eût été empoisonnée par le système politico-religieux inauguré par Constantin.

Au point de vue religieux, c’est, d’après Cheltchitsky, la grâce souveraine de Dieu qui sauve, mais, dans le salut, une part revient à la bonne volonté et aux bonnes œuvres. L’abandon moral, la résignation fataliste sont condamnés. Et puisque Jésus-Christ est notre médiateur, l'Église a eu tort de lui substituer la sainte Vierge et les saints ; imputation fausse, car l'Église ne reconnaît à la sainte Vierge et aux saints qu’une puissance d’intercession auprès de Dieu en faveur des chrétiens. L'Évangile contient toute la doctrine du salut ; or il est muet sur le purgatoire et la messe pour les morts ; faire ainsi de l'Écriture sainte l’unique source de l’enseignement révélé, à l’exclusion de la tradition, est déjà l’erreur protestante. Renouvelant enfin l’erreur donatiste, Cheltchitsky fait dépendre l’efficacité des sacrements de la dignité morale de celui qui les administre. A proprement parler, il n’admet que le baptême et l’eucharistie. Sans nier la présence réelle, puisqu’il reproche aux taborites de ne pas y croire, il ne croit pas lui-même à la transsubstantiation.

Au point de vue social, il déclare qu’il y a une opposition radicale, absolue et irréductible entre le monde et Jésus, qu’il faut fuir les villes et ne se livrer à d’autre occupation qu'à celle de l’agriculture, seule favorable à l’humilité et à la méditation. Il blâme la propriété et penche vers le communisme. Il blâme l'État, parce qu’il est basé sur la force et la violence. Il blâme l'Église, parce qu’elle est la négation de l’idée de vertu, parce que ses ministres mettent leur volonté à la place de celle de Jésus et sont pleins de scandales et de hontes. Bref, c’est un révolutionnaire d’idées. Son système bat