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BIGAMIE


III. Bigamie successive ou secondes noces.

Le terme de bigamie, au sens strict de la théologie (cf. S. Thomas, Sum. theol., III* suppl., q. lxvi) et du droit canonique (cf. c. i sq., tit. xxi, De bigamis non ordinandis) s’applique à la bigamie successive ou aux secondes noces ; c’est à ce point de vue que nous allons désormais l’envisager. Nous étudierons : 1° la légitimité ; 2° la législation pratique des secondes noces.

Légitimité des secondes noces.

A la fin du

IIe siècle de l’ère chrétienne, les montanistes condamnèrent les secondes noces comme illicites et même nulles de droit divin. Tertullien, après sa défection vers l’an 202, se fit l’apôtre de leur lausse doctrine, dans son traité De monogamia, P. L., t. il, col. 931 sq. Au 111° siècle, les novatiens renouvelèrent cette erreur.

Cependant les secondes noces, et même les noces ultérieures, ne sont défendues par aucune loi divine ni ecclésiastique.

Saint Paul, Rom., vii, 2, 3 ; I Cor., vii, 39, bien qu’il conseille la viduité, affirme qu’une lemme est déliée de la loi de son premier mari après la mort de celui-ci, et qu’elle peut alors épouser un autre homme ; I Tim., v, 14, l’apôtre engage les jeunes veuves à se remarier.

Les saints Pères ont, à leur tour, proclamé la licéité des secondes noces. Parmi les Pères latins, Tertullien, Ad uxorem, 1. II, c. i, P. L., t. i, col. 1289, encore catholique, réfute l’erreur de Montan qu’il devait professer plus tard ; il a recours aux paroles de saint Paul qui, dit-il, « conseille » simplement aux veuves et aux vierges de rester ainsi en dehors du mariage ; il ajoute : De nubendo vero in Domino, cum dicit tantum in Domino, jam non suadet sed exserte jubet. Saint Ambroise, De viditis, c. xi, P. L., t. xvi, col. 254, tout en s’exprimant avec réserve, enseigne la légitimité des secondes noces : Non proliibemus secundas nuptias, sed non probannis sxpe repelitas. Saint Jérôme, Epist., xlviii, ad Pammachium, n. 18, P. L., t. xxii, col. 508, qui, entre tous les Pères de l’Église latine, se montre sévère pour les noces successives, proleste que celles-ci sont licites en elles-mêmes ; mais il évite pourtant de les recommander : Libéra voce proclamo non damnari in Ecclesia digamiam, nec trigemiuxiii, et ita licere quinto et sexto et ultra quomodo et secundo marito nnbere ; sed quomodo non damnantur islse miptiee ita nec prsedicantur. Solatia miseriez snnt, non laudes continenliae. Saint Augustin, De bono viduitalis, c. xii, P. L., t. XL, col. 439, sur la question « des troisièmes et des quatrièmes noces et des mariages ultérieurs » , nous laisse cette réponse : JJnde et breviter respondeam, nec ullas nuptias audeo damnare.

Parmi les Pères grecs, Clément d’Alexandrie, Strom., 1. III, c. XII, P. G., t. viii, col. 1184, certifie qu’un époux « ne pèche pas contre le Testament » , oj/ àixaptscvôi fj.’sv xatà Staf^y-v, en prolitantde la permission des secondes noces accordée à sa faiblesse par l’apôtre saint Paul ; « car il n’en est pas empêché par la loi, o-j yàp y.Ey.uO.vjrai irpôçToû vojjio’j ; cependant il n’accomplit pas la suprême perfection de l’Évangile. » Saint Basile, Epist., cxcix, ad Amphiloch., c. xli, P. G., t. xxxii, col. 739, cite les paroles de saint Paul, I Cor., vii, 39, et enseigne qu’une veuve, ayant la libre disposition d’elle-même, « peut v s’unir à un mari, sans être répréhensible pour cela, » àvôpî <rvvotKEîv àv£i-x)r, Tfj ;. Saint Grégoire de Nazianze, Orat., xxxix, in sancta lumina, n. 18, P. G., t. xxxvi, col. 358, s’adressant à Novatien, lui enjoint de reconnaître que saint Paul n’a pas hésité à accorder aux jeunes veuves la liberté de se remarier, même après le baptême, pour remédier aux entraînements de leur âge : OûSk Ta ; vÉaç ya[u’^=’; /r.pa ;, oeà t’o tï, ; f É Xixta ; EviâXcoTov ; IlaO.o ; îl to-j-o iz6’/.i.-r, r ; i<I. Saint Épiphane, Adv. hser., har. LlX, n.4, P. G., t. xli, col. 1025, pense que si un époux a contracté un nouveau mariage après la mort de son premier conjoint, « l’autorité des saintes Lettres ne le

condamne pas, oôx amîTac 6 8s"oç >.(5yoç, ni ne le rejette de l’Église et de la vie éternelle, mais le laisse en paix, à cause de sa faiblesse. » Saint JeanChrysostome, Hom. de libella repudii, n. 4, P. G., t. li, col. 223, exhorte les époux à se contenter d’un premier mariage ; mais s’ils désirent convolera des secondes noces, ils peuvent le faire librement ; car saint Paul, I Cor., vii, 39, leur en donne la permission, -/.où aSîtav StSoù ;, leur en confirme la permission, xa tei-^wv rr, v à’Sscav, leur en concède le pouvoir, xai è£ov<j’cav 71apÉ/(ov, tout en imposant de toutes parts des limites et des lois à ce pouvoir.

Cette doctrine des Pères a été confirmée solennellement dans plusieurs conciles, tels que le I er concile de Nicée (325), can. 8, Hardouin, Acta concil., t. i, col. 326, et le concile de Florence (1441), Decrelum pro Jacobitis, ibid., t. ix, col. 1028, où le pape Eugène IV porte le décret suivant : Declaramus non solum secundas sed terlias et quartas algue idteriores, si aliquod impedimentum non obstat, licite contrahi posse. Commendaliores tanien dicimus, si ullcrius a conjugiis abstinentes, in castitate permanserint : quia sicut viduitali virginilatem, ita nupliis castam viduitatem laude ac mérita prseferendam esse censemus.

Rnfin la légitimité des secondes noces ressort expressément de tout le titre xxi De secundis nuptiis du 1. IV des Décrétales de Grégoire IX.

Tel est l’enseignement de l’Église touchant la légitimité des secondes noces.

Mais que penser du témoignage de certains Pères qui regardent les noces successives comme des « tornications » , S. Irénée, Cont. hser., 1. III, c. xvii, n. 2, P. G., t. vii, col. 930 ; Clément d’Alexandrie, Strom., 1. III, c. xii, P. G., t. viii, col. 1189 ; des « péchés » , S. Justin, Apol., I, n. 15, P. G., t. vi, col. 349 ; des « souillures de l’Église » , S. Basile, Epist., cxcix, ad Amphilochium, can. 50, P. G., t. xxxii, col. 752, et qui se détendent de les approuver et de les recommander ? S. Ambroise, loc. cit. ; S. Jérôme, loc. cit. Que conclure de la pénitence publique autrefois décrétée par l’Église contre le bigame, comme on le voit dans les conciles de Néocésarée (314), can. 307, Hardouin, t. i, col. 283, et d’Ancyre (283), can. 18, ibid., col. 278 ?

On ne saurait opposer ces arguments à la thèse de la légitimité des secondes noces : car, parmi les textes invoqués, quelques-uns ont plutôt trait à la polygamie simultanée et se réfèrent à la pratique de certains fidèles qui, après avoir obtenu le divorce civil selon les lois romaines, pensaient pouvoir licitement contracter un nouveau mariage ; les autres prouvent seulement que l’Église a toujours tenu les secondes noces pour moins honorables qu’une chaste viduité. On peut indiquer un double motif de cette attitude de l’Église à l’égard des secondes noces : celles-ci en effet, quoique n’ayant rien de répréhensible en elles-mêmes, sont trop souvent, en raison des dispositions de ceux qui s’y engagent, un signe de faiblesse et d’intempérance ; ensuite, comme nous le dirons bientôt (voir Bigamie, Irrégularité), les secondes noces ne signifient pas avec une perfection pleine et entière le divin mystère qui se cache sous la figure du mariage chrétien, à savoir l’union du Christ, époux unique, avec l’Église, son épouse unique et vierge. S. Thomas, Sum. theol., III* suppl., q. lxiii, a. 2, ad 2um.

Enfin, il faut remarquer que si particulièrement les Pères de l’Église grecque ont parlé en termes sévères des noces successives, surtout des troisièmes et des quatrièmes, cela tenait à une discipline spéciale qui peut-être, déjà de leur temps, tendait à s’imposer dans l’Église d’Orient, et qui reçut sa formule définitive au Xe siècle. L’occasion qui permit à cette discipline de se fixer fut la fameuse controverse de la tétragamie qui s’éleva à propos des quatrièmes noces de l’empereur de Constantinople Léon VI, dit le Philosophe. Après