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BIENS ECCLÉSIASTIQUES


des biens d’Église sous les Carolingiens, il a sa valeur pour nous indiquer un sens spécial du mot emunilas dans la langue parlée au milieu du IXe siècle.

La première immunité, au sens propre d’exemption d’impôt, qui revêtit un caractère un peu général, et pour ainsi dire de principe, date du règne de Louis le Débonnaire. Le canon Secundum (21, C. XXIII, q. vin), attribué par Gratien à un concile de Paris, mais qui est en réalité du concile de Meaux (815), y fait allusion. Van Espen reprochait à ce texte de ne reproduire qu’imparfaitement le texte du capitulaire auquel il renvoie. Le savant canoniste n’avait pas vu que les Pères avaient au contraire réussi à donner un résumé parlait de tous les capitulaires antérieurs à 845 qui traitent la même question. Ce sont des capitulaires de Louis le Débonnaire, dans Boretius, 138, c. x, de l’année 818 ou 819, 1. 1, p. 277 ; 167, c. iv, t. I, p. 333 ; 150, c. v, de 823 ou 825, t. i, p. 304 ; 191, c. iv, de 829, t. ii, p. 12, et de Lothaire, 201, c. i, de 832, t. ii, p. 60. Le capitulaire 138 exempte de l’impôt : les dîmes et oblations, les maisons, places et jardins situés près de l’église et le præscriptus mansus. Le capitulaire 167 renouvelle ces dispositions, et le capitulaire 150 interdit aux évêques de lever aucun impôt ecclésiastique sur ces propriétés exemptes de l’impôt laïque. Le capitulaire de Lothaire dit que par ordre de Louis le Débonnaire, le mansus præscriptus exempt est de douze bunnuaria. Voir Du Cange sur la contenance de cette mesure de surface. Ce mansus est comme la dot de l’église qui, avec le cimetière, la place qui entoure l’église et la maison du prêtre, constitue le minimum nécessaire au fonctionnement d’un service religieux régulier. Tout ce qui dépasse ce minimum est trappe de l’impôt. Cf. Reginon, Inquisitio, n. 13, P. L., t. cxxxii, col. 187 ; De ecclesiaslica disciplina, append. ii, c. XL, col. 393. Charles le Chauve intervient encore en 865. Boretius, 274, c. xi, t. il, p. 329. Il renouvelle les immunités acquises, et défend de faire peser sur les biens exempts l’impôt détourné du droit de pâture.

Il est à remarquer que les empereurs accordent nommément ces exemptions aux églises des campagnes qui payaientl’impôtaux seigneurs locaux, et que nous n’avons, au contraire, aucun texte qui parle expressément des villes. Mais parmi les capitulaires dont nous avons donné les références, la plupart s’expriment en termes généraux, et en tous cas les églises de la ville ne sont nulle part exclues.

Période féodale.

D’ailleurs, la différence de traitement

entre les églises de ville et les églises de campagne, à supposer qu’elle ait existé, allait bientôt disparaître. L’avènement de la féodalité allait supprimer à peu près complètement le régime de l’impôt organisé par les Romains et adopté dans les grandes lignes par les barbares.

La féodalité suppose, en effet, profondément altérée la notion de l’État. Elle se constitua précisément pour suppléer à l’impuissance du pouvoir central, auprès duquel les faibles ne trouvaient plus ni aide, ni protection. Le suzerain prit en main la puissance publique, à l’égard de ceux qui, par l’hommage, étaient devenus ses hommes, ses sujets. Or le contrat qui liait le vassal au suzerain ne faisait mention de contributions pécuniaires qu’à titre tout à fait exceptionnel. La promesse de l’homme avait normalement pour objet la fidélité générale, et des services personnels déterminés, qui ne pouvaient s’évaluer à prix d’argent. Les cultivateurs, les vilains, les serfs qui jouent un rôle secondaire et subordonné, dans le nouveau système, sont les seuls qui aient à effectuer des prestations en argent ou en nature.

Dans des cas assez rares, au commencement, l’Église était entrée dans la féodalité. Elle avait recouru à l’hommage pour assurer à ses terres la protection nécessaire. Parfois aussi, elle avait reçu des propriétés nouvelles à titre de fief. Dans l’un et l’autre cas, elle ne payait,

comme vassale, aucune redevance annuelle. Là où l’Église n’avait pas fait rentrer ses biens dans le système des liefs, et c’était le cas de beaucoup le plus fréquent au début, ses terres étaient sous le régime du franc alleù, ne payant plus d’impôts à un pouvoir central qui n’existait plus, ni à un suzerain qui n’existait pas encore. Nous disons qui n’existait pas encore, car le franc alleu, véritable anomalie dans la société féodale, devait fatalement disparaître, et la maxime des pays de coutume : « Nulle terre sans seigneur, » en s’imposant partout, devait atteindre la propriété ecclésiastique, et la laire rentrer indirectement avec les fiefs dans la catégorie des biens frappés de l’impôt.

En effet, en même temps que le franc alleu ecclésiastique disparaissait, le fief devenait héréditaire, et par suite soumis à certaines redevances, car en souvenir de son ancien caractère précaire, il s’était vu frapper de droits de mutation (relief), dus au suzerain, en cas de transmission patrimoniale ou d’aliénation entre vits. Les terres féodales redevenaient ainsi indirectement matière imposable, et avec elles les terres d’Eglise, frappées qu’elles furent, les premières du droit de relief, les secondes du droit de mainmorte.

La mainmorte ou amortissement (amortizalio des canonistes ) n’était pas un impôt annuel comme celui qui porte le même nom à l’heure actuelle. Il n’avait pas comme nut, à l’origine, d’empêcher la propriété ecclésiastique de se développer, mais seulement de fournir une compensation pécuniaire au suzerain en échange des services féodaux que les biens et gens d’Église ne pouvaient rendre.

La difficulté était double : 1° La personne morale ne peut lournir le service militaire personnel, le service de cour ; elle ne peut siéger comme juge au tribunal du suzerain. 2° La personne morale ne mourant pas, la concession de fief qui lui est faite, fait sortir définitivement des mains du suzerain un droit qui, en principe, n’en sort que pour un temps limité à la vie du vassal. Il est vrai que, de bonne heure, le fief devint héréditaire, mais encore y avait-il à chaque décès une nouvelle prestation d’hommage, accompagnée du paiement d’un droit de relief.

Pour sauvegarder le droit de propriété des établissements ecclésiastiques, tout en observant autant que faire se pouvait les usages féodaux, il fallut recourir à un procédé détourné, et veiller à ce que le fief d’Église ne sortit pas du système général des fiefs, ne devint pas, comme on disait à l’époque, abrégé, c’est-à-dire n’échappât point, à tout jamais, sans compensation aucune, à l’autorité des seigneurs.

Le premier procédé consista à exiger que le fief acquis par l’Église ne restât pas entre ses mains, mais qu’elle en fit cession, dans l’an et jour (et d’ailleurs sans payer aucun droit pour cette mutation forcée) à un individu capable de remplir les devoirs féodaux. Le moyen était radical, mais en opposition avec le droit de l’Église à posséder des immeubles et avec les intentions manilestes des donateurs. On abandonna vite ce pis aller et on recourut à la fiction de l’homme « vivant, mourant et confisquant » . Ce particulier desservait le fief personnellement en tout ce qui était incompatible avec la nature même d’un corps moral, et quand il venait à mourir, on payait les droits de mutation comme si l’église même, ou l’abbaye était morte.

On finit par laisser de côté toute fiction, et par exiger une fois pour toutes de l’abbaye ou autre communauté qui acquérait un fief, un droit représentant les droits de relief éventuels auxquels le seigneur aurait eu droit. C’est ce qu’on appela le droit d’amortissement. Il s’élevait généralement au revenu de deux années. La quotité en varia d’ailleurs suivant les provinces et les temps.

Mais le suzerain immédiat n’était pas, d’après les principes du droit féodal, le maître absolu du fief ; et l’amo>'~