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Peut-on toujours, à l’aide de ces principes, arriver à une interprétation certaine ? Oui, s’il s’agit d’assigner une raison qui légitime la censure, et par suite un sens où la proposition est proscrite. Mais, si l’on veut fixer nettement la portée adéquate de la censure, la difficulté est, en plus d’un cas, sérieuse, car des questions délicates et complexes interviennent. Ainsi, certaines propositions contiennent plusieurs parties, telle la 25e : Omnia opéra in/idelium sunt peccata, etphilosophorum virtutes suntvitia. Sont-elles condamnées dans chacune de leurs parties prise à part, ou seulement dans l’une d’elles ? Le doute, dans certains cas, est possible. Ripalda, Adversus Baium, disp. I, sect. iii, n. 19. En outre, toutes les propositions ne sont pas absolues, c’est-à-dire énonçant une doctrine ou la rejetant sans lui donner de qualification odieuse ; il y a des propositions modales, qui attachent une note infamante à la doctrine rejetée ; telle la proposition 28e : Pelagianus est error dicere, quod Ubennn arbitrium valet ad ullumpeccalum vitandum. De là un problème délicat : pourquoi ces propositions ont-elles été condamnées ? pour la qualification odieuse qu’elles contiennent, ou pour la doctrine qu’elles soutiennent elles-mêmes, ou pour les deux choses à la fois ? Les suppose-t-on condamnées sous le rapport de la doctrine ? la contradictoire est vraie, comme dans les propositions absolues ; les suppose-t-on condamnées sous le seul rapport de la censure qu’elles infligent à la partie adverse ? ces propositions sont téméraires ou scandaleuses, fausses même en ce qui concerne la note théologique qu’elles indigent ; mais rien n’est dit, au moins directement, sur la vérité ou la fausseté de la doctrine.

Sur ce point il n’y a d’accord parmi les théologiens ni en principe ni dans l’application. Pas d’accord sur la question générale de savoir si toute censure doctrinale implique l’idée de fausseté dans la proposition censurée. Pas d’accord non plus dans l’application au cas présent. Suivant les uns, plusieurs des articles de Baius n’ont été proscrits qu'à cause des qualifications odieuses infligées aux adversaires, proptvr acerbitatem censurée ; opinion soutenue non seulement par des théologiens trop favorables au baianisme, comme Henri de Saint-Ignace, dans son Elltica amoris, prolegom. VI, c. il, § 5, ou par des théologiens se rattachant au groupe dit augustinien, comme le cardinal Noris, dans ses Vindictes augustinianæ, c. iii, §2, P. L., t. xlvii, col. 612, mais encore par des théologiens fort éloignés d’ailleurs de ces idées, comme Suarez, Tractatus de gratia, prolegom. VI, c. ii, n. 14, et Vasquez, Comment, in / am II", disp. CXL, c. xviii ; ce dernier invoque l’autorité du cardinal Tolet, qu’il dit avoir consulté à Rome. Voir, sur cette opinion, de la Chambre, Traité hislor. et dogm. sur ladoctrinc de Baius, c. ni, a. 2, t. I, p. 141 sq. Suivant les autres, toutes les proposilions sont fausses sous le rapport de la doctrine, non moins que sous celui de la censure ; opinion développée surtout et fortement soutenue par Ripalda, op. cit., disp. 1, sect. iv, nettement affirmée aussi par les docteurs de Louvain, dans leur Declaratio plenior de 1701, et par ceux de Douai, dans l'écrit Veritas et mquitas censurée ponti/iciae. En pratique, cette controverse n’a pas l’importance qu’elle semblerait avoir à première vue. En effet, la doctrine contenue dans les propositions modales dont il s’agit, se retrouve presque toujours ailleurs sous une forme absolue, ou bien elle a un rapport intime avec d’autres propositions énoncées d’une façon absolue. Aussi, les partisans de la première opinion reconnaissent-ils que leur manière devoir n’est pas applicable à toutes les propositions accompagnées d’une note infamante ; il en est, disent-ils, dont la condamnation a pour objet le fond même de la doctrine. Mais alors, comment faire le triage ? Voici la règle que pose l’un d’entre eux à l'égard de ces sortes

DICT. DE THÉOL. CA.THOL.

de propositions : « Il faut faire attention à la force des termes qui les composent, et examiner avec soin s’ils expriment dans leur signification naturelle une doctrine conforme aux vérités qui se trouvent dans l’analogie de la foi et à des sentiments qui ont été soutenus avec liberté dans les écoles catholiques, même après le jugement du pape reçu par les pasteurs. Si les propositions qu’on examine présentent un sens mauvais et étranger à la prédication, soit de l'Église, soit des théologiens approuvés, c’est une marque certaine qu’elles ont été proscrites pour le fond même de la doctrine qu’elles renferment. Si, au contraire, elles n’offrent à l’esprit que des sentiments véritables, communs, ou reçus dans les universités, il faut reconnaître qu’elles n’ont pas été censurées à cause du dogme qu’elles contiennent, mais simplement à cause de l’aigreur et de la dureté des termes injurieux qui y sont employés pour rejeter les opinions contraires. » De la Chambre, op. cit., p. 147. La règle est bonne et utile en toute hypothèse ; reste à savoir si, parmi les propositions condamnées par la bulle Ex omnibus af/Uctionibus, il s’en trouve réellement qui, prises dans le sens de leurs auteurs, ne pèchent que par l'âpreté de la censure.

A ces principes généraux d’interprétation joignons quelques remarques de détail. A l’exemple du concile de Constance et du pape Léon X, saint Pie V applique aux propositions prises in globo une série de qualifications avec la clause respective, en sorte que chacune mérite une ou plusieurs de ces qualifications. Des théologiens ont lait le travail d’application en assignant à chaque article sa note respective ; voir, par exemple, le IVe éclaircissement du P. Duchesne, et le Traclatus contra en-ores M. Baii du P. Louis Torrès, c. XII. Leur détermination n’a rien d’absolu ; elle est même contestable en plus d’un point, surtout celle du second auteur. Mais la constitution Auctorem fidei de Pie VI nous fournira sur quelques articles des qualifications authentiques et précises.

La bulle de Pie V ne fixait pas le nombre des propositions ; pour les citer et les réfuter plus commodément, on les divisa ensuite, mais avec quelques différences, les uns en comptant soixante-seize, les autres soixantedix-neuf ou quatre-vingts. Cette variété ne change rien au fond des choses ; il faut seulement en tenir compte, pour identifier les propositions qui ne sont pas citées par tous les auteurs sous le même chiffre.

La constitution Ex omnibus af (ticlionibus rapporte les propositions suivant l’ordre des livres examinés et des autres documents d’où elles ont été tirées. Par là s’expliquent les répétitions qui s’y rencontrent. Toutes, on l’a vii, n'étaient point attribuées à Baius ; il en est qui. venaient de son collègue Jean Hessels et de leurs disciples communs. Toutes n’avaient pas été tirées des livres imprimés par les deux amis ; quelques-unes avaient été trouvées dans les cahiers dictés à leurs élèves ou avancées de vive voix dans les disputes. Il ne faudrait cependant pas abuser de cette circonstance, pour enlever à Baius la paternité de n’importe quelle proposition ou du plus grand nombre d’entre elles. Qu’il ait lui-même usé de ce procédé pour se disculper, qu’il ait désavoué telle ou telle proposition parce qu’on avait plutôt pris le sens que les termes de sa doctrine ou qu’on avait changé un mot dans son texte, qu’il se soit même contredit sur ce point dans ses diverses apologies, reconnaissant comme siennes tantôt plus, tantôt moins de propositions, rien d'étonnant ; il plaidait sa propre cause. Le pape, gardien et juge de la foi, devait nécessairement se placer à un autre point de vue ; ce qu’il visait, ce n'était pas l’homme, mais l’erreur. Il suffisait qu’elle se trouvât réellement dans les ouvrages incriminés ; si parfois telle doctrine, énoncée par Baius d’une façon diffuse ou voilée, apparaît dans la bulle condensée et mise en relief, l’intention du souverain pontife est

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