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BIEN (LE)


p. 508, 1. 1-22 ; t. il, p. 121. Transposons ces idées dans l’ordre de l’intelligence et des intelligibles. Quand l’âme se tourne vers ce qui est éclairé par la vérité et l’être, elle pense (âvÔY]<re), elle connaît ces objets, et apparaît ayant l’intelligence : quand elle se tourne au contraire vers ce qui est mélangé de ténèbres, elle n’a plus que des opinions et apparaît manquant d’intelligence. « Ce qui donne ainsi la vérité aux intelligibles et la faculté de connaître à l’intelligence, appelle-le l’idée du bien, estime-le comme la cause de la science et de la vérité connues par l’intelligence. Belles sont ces deux choses, la science et la vérité, mais plus belle est l’idée du bien qui en est distincte. Et comme dans le monde visible on a raison de penser que la lumière et la vue ont de l’analogie avec le soleil, alors qu’il serait faux de dire qu’elles sont le soleil ; ainsi dans le monde intelligible, on peut regarder la science et la vérité comme des images du bien… Et de même que le soleil ne rend pas seulement visibles les choses visibles, mais leur donne la naissance, l’accroissement et la nourriture, lui-même demeurant inengendré, de même tu peux dire que les êtres intelligibles ne tiennent pas seulement du bien leur intelligibilité, mais encore leur être et leur essence (t’o eïvai te xoù tyJv o’Wav), quoique le bien lui-même ne soit pas essence, mais quelque chose bien au-dessus de l’essence en dignité et en puissance. » Civitas, VI, p. 508, 1. 35, 509^ ; t. il, p. 121, 122. C’est de cette page que procède tout le système alexandrin de Plotin et du pseudo-Denys l’Aréopagite ; saint Augustin et son école s’en sont inspirés. Il a donc fallu la rapporter presque textuellement. Nous ferons remarquer que si l’être et l’essence sont considérés par Platon comme des générations du bien, l’essence seule, et non l’être, est refusée formellement au bien ; que, de ce fait, la subsistance des idées, y compris de l’idée du bien, a droit à être interprétée comme l’ont fait Aristote, loc. cit., et les alexandrins, voir plus loin, dans le sens d’une subsistance ontologique et non simplement idéale. — Il semble du reste que Platon lui-même considère ainsi l’idée du bien lorsqu’il l’identifie avec Dieu. C’est à un Dieu personnel que conviennent les paroles du 1. II de la République : « Dieu est essentiellement bon, et on n’en doit jamais parler d’autre sorte… Il est cause de tout ce qui se l’ait de bien. » « On doit n’attribuer les biens qu’à lui : quant aux maux, il en faut chercher une autre cause. » Civitas, II, p. 379, 1. 25-45 ; t. il, p. 37. Mêmes idées dans le célèbre passage du Timce : « Disons donc pour quelle cause il a établi ce monde et tout ce qu’il renferme : il était bon ! àya6ô ; r, v. L’envie n’atteint pas ce qui est bon. Il a donc fait ce monde semblable à lui. Auteur de tout bien, ne voulant rien de mal dans la mesure du possible, il a ordonné tout ce qui était sans mesure et sans ordre. Il n’était et il n’est permis au Très Bon de faire autre chose que le Très Beau. » Tim., p. 29 ; t. ii, p. 205. A noter, dans ces deux passages, que le mal échappe au pouvoir organisateur du bien dans une certaine mesure, comme la matière informe, qui en est la racine et qui n’est pas bonne, n’étant pas l’œuvre du bien premier. Tir » ., p. 52 1° ; t. ii, p. 219. Le dualisme semble être le fond de la théorie platonicienne, ce qui aura, pour la théologie et les hérésies qui s’inspireront d’elle, les plus notables conséquences.

Aristote.

Il prend à son compte la définition

platonicienne : le bien est ce que tout désire. Ethic. Nicom., 1. I, c. I, n. 1, édit. Didot, t. il, p. 1. Mais il se refuse à considérer le bien comme une idée séparée, subsistante, génératrice de l’essence et de la connaissance des choses. Le bien est au contraire immanent à l’être dont il partage la divisibilité prédicamentale, ici substance, là qualité, ailleurs relation. Ethic. Nicom., 1. I, c. vi, n. 2, t. ii, p. 4. Car, s’il était une idée commune (un genre), il serait confiné dans l’une des catégories (genres suprêmes). Ibid., n. 3, 11. Il n’est pas

davantage une idée équivoque, dont l’attribution aux êtres serait due au hasard (œquivocum a casu des scolastiques ) — ceci vise la participation platonicienne du bien. Ibid., n. 12. C’est plutôt une notion analogique qui se rencontre dans plusieurs êtres proportionnellement, selon leur nature, comme la vue est dite être dans l’àme par l’intelligence, dans le corps par le sens, ce qui suppose dans ces natures une relation à une raison commune. Ibid. Cette raison est pour le bien la raison de finalité. La raison de cause finale est constitutive du bien. Natur. auscult., 1. II, c. il, n. 5, édit. Didot, t. ii, p. 261-265 ; Metaph., 1. IV, c. il, n. 7, t. il, p. 515 ; cꝟ. 1. I, c. ii, p. 470. — Puisque le bien convient à l’être comme tel, il doit être attribué à Dieu qui est une substance. Ethic. Nie, 1. II, c. VI, n. 3, t. ii, p. 4. Premier moteur immobile par mode de cause finale, Dieu est le désirable premier et le bien en soi, Metaph., 1. XI, c. vii, n. 2-4, t. ii, p. 605, possédant l’être, la vie et l’intelligence. Ibid., c. ix, n. 5, 8. — Le bien n’est donc pas une réalité unique et séparée comme le veut Platon, mais comme dans une armée, où le chef suprême dans sa raison détient le bien de tous, où tous s’ordonnent en vue du chef, ainsi, Dieu possède par lui-même le bien total et parfait, auquel, en s’ordonnant à lui, participent formellement, selon la dignité de leur nature, tous les êtres de l’univers. Metaph., 1. XI, c. x, t. ii, p. 669. Cf. commentaire de S. Thomas, In Metaph., 1. XII, lect. xii.

Conclusion. — Au fond, ces deux grands systèmes, comme du reste tous les systèmes spiritualistes conscients d’eux-mêmes, constituent une réponse au système moniste de l’unité absolue de l’être posé par le génie des éléates au seuil de l’histoire de la pensée philosophique. Cf. Phileb., 5, 6, p. 14<-’-17s p. 400-401 ; Metaph., 1. I, c. iii, t. ii, p. 473. Mais, tandis que Platon abandonne le monde de l’essence et de l’intelligence (l’être prédicamental) à la multiplicité, et se réfugie, pour sauvegarder l’unité foncière nécessaire, dans un monde idéal et supérieur à l’essence et à l’intelligence, jusque dans l’idée première du bien, Aristote, réfractaire à la pensée d’une réalité qui ne serait pas une essence, ni donc un objet d’intellection proprement dite, entreprend de résoudre sur place, sur le terrain de l’être, le problème de l’unité. Pour cela, il substitue à l’idée éléatique de l’un absolument indivisible, la notion de l’un indivisible dans sa raison commune, divisible et proportionnellement attribuable dans les êtres qui réalisent cette raison. Dans ce système l’unité absolue de l’être par soi n’est pas opposée à la multiplicité de l’être prédicamental, car-elle est d’un autre ordre. Bien plus, la multiplicité de l’être prédicamental est relative à l’unité absolue de l’être par soi. La relation est possible grâce à la communauté analogique de tout ce qui a l’être. Elle doit exister, car il est dans la nature des choses que l’être par soi soit désirable par l’être participé. Ainsi le bien, comme du reste le vrai, suit l’être à tous ses degrés et fonde l’unité du monde, devenue unité d’ordre et de finalité, d’unité entitative immanente qu’elle est chez Parménide, transcendante et séparée, sans rela tion justifiable avec l’être des choses, qu’elle est chez Platon.

II. DOCTRINES NÉOPLATONICIENNES.

1° Philon le

Juif. — Procède de la Bible, d’Aristote, des doctrines orientales, surtout de Platon, témoin le dicton : « Ou Philon platonise ou Platon philonise. » Brucker, Hist. crit. philos., Leipzig, 1742, t. ii, p. 798. Ses doctrines sur Dieu sont inspirées exclusivement par les idées judaïques touchant l’ineffabilité du nom divin, dont, selon lui, l’existence seule peut être connue, non l’essence. De là ses contradictions lorsqu’il parle du bien en Dieu. Bitter, Hist. de la philos, anc, Ladrange, 1836, t. iv, p. 358-360. Lorsqu’il veut sauvegarder l’in1 communicabilité divine, il dit que Dieu n’est pas le bien,