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BIEL


Ce qui caractérise surtout Biel, c’est la préoccupation de l’orthodoxie doctrinale. Sans doute, le CoUectorium contient dos thèses qui sont ou en opposition ou difficilement conciliables avec les affirmations des conciles de Trente et du Vatican. Mais, jamais le savant allemand n’a mis en doute ou nié une seule vérité tenue par ses contemporains pour définie par l’Église ou par le pape. Biel d’ailleurs était fait pour être catholique. Son robuste bon sens ne lui permet pas d’accepter les conclusions hasardées et singulières auxquelles ont abouti plusieurs occamistes :  ; iinsi, il n’osera pas dire que Dieu aurait pu s’incarner dans un démon, prendre la nature d’une pierre ou d’un âne. Collect., 1. III, dist. I, q. il. Son humilité et sa modestie presque excessives le prédisposaient à la soumission. Il écrit, à maintes reprises : « Je n’ose pas décider si cette conclusion est certaine, je me contente de l’exposer sans vouloir la défendre, ceci soit dit sous réserve du sentiment des anciens docteurs ou de maîtres plus compétents, avec une humble déférence, etc. » Jamais théologien ne fut plus disposé à douter de lui. S’il tient en haute estime l’avis des docteurs privés, à plus forte raison, fera-t-il grand cas des décisions de l’Église ou du pape. Elles exigent une adhésion entière et sans réserve. Biel soumet son enseignement au jugement de l’Église romaine et de tout chrétien pieux et bien pensant. Collect., prolugi proheni. ; 1. II, prokeni. Le nominalisme, au reste, commande cette attitude ; d’après ce système, il faut d’autant plus s’appuyer sur la révélation dûment interprétée, qu’on peut moins compter sur la raison. Ce qui achève de maintenir Biel dans l’orthodoxie, c’est la distinction à laquelle il recourt sans cesse entre ce que Dieu a décidé en fait (potentia ordinata) et ce qu’il aurait pu décréter (potentia absuluta). Pour savoir ce qui est, ce que le créateur a voulu, Biel ne recourt guère qu’à la révélation. Pour déterminer ce que Dieu aurait pu faire, il s’abandonne à la spéculation. Le catholique croit ce qui est, le nominaliste recherche ce qui pourrait être. Foi et raison ont leur domaine propre et ne se heurtent pas. Biel ne pouvait qu’être orthodoxe.

Et c’est là ce qui fait l’importance de son œuvre. Le théologien de Tubingue est le meilleur représentant du nominalisme. Chez les autres partisans principaux du système, la théorie est ou affadie par des thèses mystiques, ou unie à des conceptions augustiniennes, ou encore compromise par des attaques contre l’autorité du pape, par des paradoxes ou des erreurs : déterminisme, scepticisme, panthéisme. Biel est un des derniers tenants du nominalisme. Il connaît les recherches de ses devanciers, évite leurs faux pas et les excès de leur critique, recueille chez chacun d’eux les propositions qui lui paraissent bonnes et présente le tout dans un exposé orthodoxe. Si le nominalisme avait pu être un système catholique, c’est grâce à Biel qu’il le serait

devenu.

Le théologien de Tubingue est aussi un des derniers représentants illustres de la science religieuse du moyen âge, et comme il pratique un sage éclectisme, comme il expose bien les idées d’autrui, on peut dire qu’en lui on entend presque toute l’école. Son œuvre a un dernier mérite. Elle est un document historique de haute valeur. Biel est le meilleur théologien allemand de l’époque et il professe vingl ans seulement avanl Luther. Les écrits du théologien de Tubingue nous permettent donc de savoir si l’enseignement catholique du temps méritait les attaques dont il fut l’objet et dans quelle mesure il les préparait.

Principaux points.

La doctrine de Biel étant

celle de l’Kglise au XV siècle, son système celui des Dominalistes, il suffit de donner une idée générale de son enseignement, de signaler ses principales idées personnelles et de faire connaître sa pensée sur les problèmes agités au sv « et au svie siècle.

1. Sources de la connaissance religieuse : raison et révélation. L’autorité enseignante, le pape. — Il est des vérités théologiques dont l’homme prend connaissance et fait la preuve par sa seule raison. Collect., pvo., q. I, I. III, dist. XXIV. Le nombre en est fort restreint. Quand la raison est impuissante, il faut accepter l’autorité, recourir à la révélation, seconde source de connaissance. La parole de Dieu donne entière certitude, aussi ne peut-elle jamais être mise en doute ni rejetée. Une fois mise en présence du mystère, l’intelligence n’a qu’à se soumettre ; toutefois, s’il est impossible au théologien de parler dignement de la vérité divine, il ne lui est pas interdit de se rendre raison de sa foi ; au contraire, il se met par là en état de mieux la saisir, la dépendre et l’expliquer. Op. cit., 1. I, dist. I, q. v ; dist. XIII, q. i ; 1. III, dist. XXIV.

La révélation est contenue d’abord et surtout dans l’Écriture : inspirés et dictés par l’Ksprit-Saint, tous les livres canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament contiennent, sans aucun mélange d’erreur, la parole de Dieu. On la trouve encore dans les traditions orales ou écrites venues des apôtres, on peut l’obtenir par des révélations privées. Enfin, est aussi parole de Dieu, la conclusion qu’on dégage de l’Ecriture à l’aide d’un moyen terme fourni par la raison. Op. cit., 1. III, dist. XXV ; dist. XXXVIII ; 1. IV, dist. XIII, q. n.

Nous savons avec certitude qu’une proposition est révélée quand l’Église ou le pape le déclarent. Aussi, on n’a pas connu, dès l’origine, on ne connaît pas encore aujourd’hui toutes les vérités contenues dans la Bible ou la tradition. Il y a donc, en un certain sens, accroissement des vérités à croire : sans doute, l’Église ou le pape, en définissant, ne révèlent rien, mais ils nous font connaître que telle vérité est révélée. Avant cette décision, il était permis d’en douter ou de l’ignorer, on ne le peut plus ensuite, sous peine d’hérésie, l’Église étant, après l’Écriture, l’autorité la plus haute. Op. cit., 1. I, dist. XI, q. i ; 1. III, dist. XXV ; 1. IV, dist. XIII, q. n.

Les organes du magistère sont les conciles, op. cit., 1. I, dist. XI, q. i, et le pape. Très souvent, Biel emploie cette formule determinatio Ecch’six aut pa/ix, qui semble reconnaître même pouvoir au souverain pontife et à l’Église. Op. cil., 1. IV, disl. XIII, q. il. Au reste, les protestants eux-mêmes conviennent aujourd’hui que Biel n’a jamais été antipapiste. Tschackert, loc. cit. Vicaire du Christ et successeur de Pierre, l’évêque de Borne a sur l’Eglise une primauté absolue et universelle, c’est à lui que les questions de foi doivent être soumises et tous les fidèles sont tenus d’accepter ses jugements. Il est aussi le chef suprême et c’est de son pouvoir que dérive médiatement ou immédiatement toute juridiction spirituelle, c’est par lui que sont dispensés tous les biens ecclésiastiques. Propre prêtre de chaque fidèle, supérieur au droit positif humain, il peut dispenser un chrétien d’une loi portée par un concile. Defensorium, n. (> ; Sacr. can. mis., lect. xxiii, fol. 32, : 13 ; Collect., 1. I, dist. I, q. v ; dist. XI, q. i ; 1. III, dist. III, q. i ; 1. IV, disl. XV, q. vin ; dist. XVII, q.i, II. Aussi Biel prouve plusieurs Dièses uniquement par une décision pontificale, il modifie son enseignement sur les indulgences pour le mettre d’accord avec une déclaration de Sixte IV, Sacr. can. » iis., lect. i.vii. fol. lli ; il écrit : s’il est des personnes qui ne croient pas à la valeur des affirmations du concile de Bftle sur l’Immaculée Conception, du moins qu’elles acceptent l’enseignement du pape. Collect., 1. IV, dist. 111, q. I.

Néanmoins, le pouvoir du souverain pontife n’est pas illimité comme celui du Christ. Contre l’Écriture, le droit naturel ou divin, le pape ne peut rien. Il ne doit user de son autorité que pour le bien île l’Eglise ou le

salut des lideles. S’il accorde des dispenses injustifiées, son acte, valable devant l’Église militante, est nul au re-