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BERNARD (SAINT)

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En 1710, Ttené Mnssuet et François Le Texier en donnèrent une nouvelle édition, légèrement augmentée (Janauschek, D. I’ijS), mais typographiquement tort défectueuse. Cinq ans plus tard (1724), Edmond Marlène et Ursin Durand la rééditèrent avec un supplément de lettres de saint Bernard (Janauschek, n. 1489). Cette édition a été plusieurs fois réimprimée depuis. Elle a servi de base aux éditions de l’abbé Migne, Paris, 1854, 1859, 1879. Nous citerons l’édition de 1859, dont le t. IV, paru en 1860, renferme de nombreux documents nouveaux. P. L., t. clxxxijCLXXXV.

III. Lutte contre Abélard. —

Elle a déjà été exposée à l’article Abélard, t. i, col. 43-48. Nous nous bornerons à faire ici quelques légères additions ou rectifications.

L’enseignement d’Abélard, déjà une première fois condamné en 1121, recommença à soulever des protestations en 1138-1139 : témoin la lettre que lui adressa Gautier, évêque de Laon, d’Achery, Spicilegium, t. ii, p. 473-479, et la lettre de Guillaume de Saint-Thierry à saint Bernard et à Geoffroy évêque de Chartres. P. L., t. clxxxii, col. 512. Bernard eut une entrevue avec Abélard et obtint de lui une promesse de rétractation ou du moins de prudence dans son langage. Mais le novateur, encouragé par ses disciples, prit bientôt l’offensive et provoqua l’abbé de Clairvaux à un débat public au concile de Sens. Ce concile eut lieu non pas en 1141, comme ledit le P. Portalié, t. i, col. 37, après M. Deutsch, Die Synode zu Sens HU1 und die Verurtheilung Abàlards, in-8°, Berlin, 1880, mais en 1140, comme on l’a cru jusqu’ici. Cf. Vacandard, Revue des cjuest. Iiist., juillet 1891, p. 235-245 ; Wilhelm Meyer, Die Anklagesàtze des heil. Bernhard gegen Abtslard, dans Nachrichten der K. Gesellsc/iaft der Wissenschaften zu Gôttingen, philologiscli-ltislorisc/ie Klasse, 1898, fasc. 4, p. 420. Bernard fit quelque difficulté d’engager la lutte contre Abélard. Finalement il se rendit à Sens et devint le rapporteur du concile. Il « produisit devant l’assemblée la théologie de maître Pierre, et après en avoir extrait une série de propositions qu’il avait notées comme absurdes ou hérétiques, il adjura maître Pierre ou de les renier, ou de les justifier, ou de les corriger » . On sait comment Abélard répondit à cette invitation. Au lieu d’entreprendre sa justification, il en appela à Borne et sortit. Le concile n’en continua pas moins son œuvre. Il discuta les propositions suspectes que lui soumettait l’abbé de Clairvaux, et faisant un recueil de celles qu’il jugea à propos de condamner, il l’envoya au pape Innocent II, pour qu’il les condamnât lui-même. Voir, t. i, col. 38, la suite de cette aflaire.

Les propositions condamnées portent ordinairement le titre de Capitula, ou chefs d’accusation, Capitula hseresum Pétri Abœlardi. M. Wilhelm Meyer, op. cit., en a donné le texte le plus authentique, d’après les manuscrits 15139 (fol. 301) de la Bibliothèque nationale de Paris ; 40 (fol. 112 » ), de Valenciennes ; 22299 (fol. 1), de Munich ; 22271 (fol. 97), de Munich ; 998 (fol. 173), de "Vienne. Il faut réduire, ce semble, la liste des Capitula à 18. Le Capitulum 3 de la liste, publiée t. i, col. 44 : Quod Spiritus Sanclus sit anima mundi, estune interpolation. Abélard, en effet, l’ignore dans la réfutation qu’il entreprit des Capitula. Ct. Confessio fidei, P. L., t. CLXXVllt, col. 106. Et elle est trop grave pour qu’il l’eût passée sous silence, s’il l’eût rencontrée dansletexle qu’il avait sous les yeux.

Au sujet de ces Capitula, on peut se demander quel en est l’auteur, quelles en sont les sources et la légitimité, et d’où vient le Capitulum, interpolé, sur le Saint-Esprit, âme du monde.

L’auteur principal des Capitula est l’abbé de Clairvaux ; c’est lui qui avait dressé pour le concile les propositions à examiner. Il se peut que la discussion des textes ait amené quelques légères modifications de détail. Vraisemblablement certaines propositions incriminées ont été écartées, comme étant susceptibles d’une bonne interprétation. Maïs Bernard est, en somme, responsable des dix-huit chets d’accusation qui sont restés à la charge d’Abélard.

D’où les avait-il tirés ? Si l’on en croyait le texte lu par Abélard, Confessio fidei, loc. cit., et certains manuscrits (Paris 15139, Valenciennes 40, Munich 22299), les Capitula auraient été extraits, partie de la Theologia, partie du Livre des Sentences de maître Pierre, partie du livre qui a pour titre : Scito teipsum. Cette allégation est contestable. Guillaume de Saint-Thierry dit qu’il a puisé les propositions à condamner dans la Theologia ; et les Excerpta, qui comprennent quatorze Capitula, avouent la même origine. Besterit les n os 10, 14, 16, 17. Faut-il croire que ceux-ci proviennent du Liber Sententiarum et du Scito teipsum- ? M. Wilhelm Meyer n’a pas trouvé de formules qui leur correspondent dans les ouvrages édités par Bheinwald, parGietl et par le P. Denille. Epitome theologise christianæ, in-8°, Berlin, 1835 ; Die Sentenzen Rolands, 1891 ; Abielards Sentenzen und die Bearbeitungen seiner Theologie, d&nsvrchiv fur Literatur und Kirchengeschichte des Miltelalters, 1885, t. i. Le Scito teipsum ne les contient pas davantage. 11 semble donc qu’il faille s’en tenir au témoignage de l’évêque de Sens qui, dans sa lettre à Innocent II, P. L., t. CLXXXII, col. 542, déclare expressément que l’abbé de Clairvaux a extrait les Capitula de la Theologia de maître Pierre : Cum dominas abbas librum Theologias magistri Pétri proferret in médium et… Capitula de libro eodem proponeret. Mais si tous les Capitula sont tirés de la Theologia, pourquoi Bernard aflirme-t-il qu’ils se trouvent en partie dans le Liber Sententiarum et dans le Scito teipsum ? Il est vraisemblable qu’à ses yeux ces ouvrages n’étaient pas exempts d’erreurs. C’est ce qu’il écrit aux cardinaux, Epist., clxxxviii, P. L., t. clxxxii, col. 353 : « Lisez le livre de ses Sentences et celui qui a pour titre Scito teipsum ; vous verrez quelle moisson d’erreurs et de sacrilèges y fleurit ; vous verrez ce qu’il pense de la Trinité, du Christ, de la grâce, du péché, etc. » Il dénonce donc tous ces ouvrages en bloc, afin d’obtenir leur condamnation.

Les dix-huit chefs d’accusation sont-ils, au moins, exacts ? M. Meyer, qui les a contrôlés de près, déclare que la plupart des Capitula sont des extraits tout à fait fidèles ; quelques-uns seulement ne sont pas les formules mêmes employées par Abélard. Cependant il ne faudrait pas s’en rapporter à celui-ci, lorsqu’il crie à la calomnie dans sa Confessio. Il est visible que la Confessio fidei répondait à la pensée présente d’Abélard, et non à son enseignement passé. Cet ouvrage n’offre donc aucune garantie pour juger de l’exactitude des Capitula.

D’où provient l’interpolation : Quod Spiritus Sauclus sil anima mundi, entre le 2e et le 4e Capitulum : ’Vraisemblablement de l’épître exc de saint Bernard, P. L., t. clxxxii, col. 1002. La phrase s’y trouve, en effet, sous forme de prétention : Omitto… dicit Spiritum Sanctum esse animant mundi. Dans le manuscrit de Valenciennes 40, le texte des Capitula suit l’épître exc Et ce manuscrit insère la formule : Quod Spiritus Sanctus, etc., après le 2e Capitulum. M. Meyer pense que l’interpolation aura passé de là dans les manuscrits de Munich, où l’aura rencontrée Othon de Freisingen, qui la signale dans Gesta Friderici, i, 19.

L’abbé de Clairvaux ne se contenta pas d’envoyer à Borne ces chels d’accusation. Il dressa contre la doctrine d’Abélard un véritable réquisitoire, notamment dans son épître exc, adressée à Innocent II. Cette composition a été justement placée parmi les meilleures de son auteur. On lui a cependant reproché de n’embrasser pas dans leur ensemble les doctrines d’Abélard. On ne saurait au moins méconnaître qu’elle ait frappé juste. Ce que Bernard dénonce, c’est l’abus de la méthode spéculative qui forme le caractère et le péril de la théologie d’Abélard. Aussi insiste-t-il particulièrement sur