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BAIUS


serait repréhensible ? Toujours cst-il qu’il déploya beaucoup d’activité dans cette afîaire, et qu’il siégea parmi les juges de Lessius. »

La part que prit Baius à l’affaire de la censure de Louvain, en 1587, et de celle de Douai l’année suivante, fut le dernier acte important de sa vie. Il mourut dans la paix de l'Église le 16 septembre 1589, âgé de soixante-dix-sept ans, dont il avait passé quarante dans l’enseignement. Jacques Baius fit l'éloge funèbre de son oncle Michel ; et celui-ci, a-t-on raconté depuis, l’aurait favorisé d’une apparition, afin de l’assurer qu’il n'était point puni dans l’autre monde pour ses doctrines. Mais un auteur remarque que la crédulité dont le neveu fait preuve dans l’oraison funèbre de son oncle, permet au lecteur de faire des réserves. P. L. Danes, Generalis temporum nolio, édit. Paquot, in-8°, Louvain, 1773, p. 490. Baius fut assurément respectable par les beaux côtés de son caractère, la dignité de sa vie, sa piété, sa charité, son ardeur au travail ; il fut remarquable par les dons de l’esprit ; mais il se lança dès le début dans une voie périlleuse et, dans cette voie, il eut trop d’attachement à ses propres idées. De là, chez cet homme sincèrement attaché à la foi C : >tbolique et au saint-siège, ces alternatives continuelles de soumission et de demi-révolte, qui mettaient ses adversaires en état de lui attribuer un caractère d’artifice, de déguisement et de mauvaise foi, et qui déconcerteraient, s’il n'était pas facile de comprendre avec quelle force un esprit tenace se trouve ramené, par ses études et les habitudes contractées, à son point de départ et à ses idées dominantes. On peut s’en tenir à ce jugement porté sur Baius : « Il n'était ni un hérésiarque ni un sectaire, mais il y avait en lui de l'étoffe pour ces deux rôles, si, dans son cœur, la foi ne l’eût emporté sur l’orgueil. » Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique et littéraire de la Compagnie de Jésus, Paris, 1846, t. il, p. 183.

VI. Le baianisme après Baius.

Les erreurs du docteur lovaniste ne finirent pas avec lui. Son disciple préféré, Jacques Janson, devint le chef du parti ; sous son influence et celle de Jacques Baius, peu à peu, diverses atteintes furent portées aux actes pontificaux qui prohibaient la doctrine censurée, et bientôt on les éluda en rattachant les mots in rigore et proprio verborum sensu ab assertoribus intento à ces autres sustineri possent ; ce qui permettait de soutenir dans le sens même de Baius toutes les propositions qu’on voulait. Dans une réunion publique, tenue en 1618, quatre ans après son élévation à la dignité de chancelier, Janson lança même l’accusation de (aux contre ceux qui plaçaient une virgule après les mots sustineri possent, en s’appuyant sur ce fait qu’il n’y en avait point dans l’exemplaire de la bulle envoyé à Louvain par le pape Grégoire XIII. Jansénius se trouvait présent à cette réunion, et il sut en tirer parti, plus tard, dans son Augustinus. De statu naturse lapsse, 1. IV, c. xxvii, in-fol., Louvain, 1640, t. ii, col. 672 sq.

Mais l'œuvre par excellence de Jacques Janson consiste dans la formation tbéologique de ce même Jansénius, l’homme qui devait relever de ses cendres la doctrine foudroyée et mettre la dernière main au système que le précurseur n’avait fait qu'ébaucher. Ce fut en 1621 que le disciple de Jacques Janson et de Jacques Baius mit sur le métier son Augastinus. « Il avait entrepris, dit Dupin, de composer un ouvrage pour expliquer la doctrine de ce saint Père (saint Augustin), afin de l’opposer aux sentiments que les jésuites avaient soutenus dans la congrégation De auxiliis, et défendre la doctrine des Censures des facultés de théologie de Louvain et de Douai contre les écrits des professeurs jésuites. » Histoire ecclésiastique du xviie siècle, Paris, 1727, t. ii, p. 6-7. La pensée intime de Jansénius allait plus loin ; dans un manuscrit qui fut cité au procès de Quesnel, il avait lui-même indiqué que le but de son livre était de faire

l’apologie des propositions de Baius : ad ercusandas apophases magistri nostri Muitælis. Voir V Histoire du, baianisme, par le P. Jean-Baptiste Duchesne, p. 300 sq. ; Pluquet, Dictionnaire des hérésies, édit. Migne, Paris, 1847, t. I, col. 838 sq. Au reste, rien de plus évident que la concordance de doctrine entre les deuxdocteurs de Louvain. Le traité' De statu naturse innocentis et les trois livres De statu naturse purie de Jansénius ne sont qu’un fidèle commentaire des opuscules de Baius De prima hominis justifia et De meritis operum. Les quatre livres De statu naturse lapsse reprennent et développent la doctrine que nous avons rencontrée dans les traités De peccato originis, De libero hominis arbitrio et Devirtutibus impiorum. Enfin, les dixlivres De gratia Christi salvatoris présentent les vues de Jansénius sur la grâce et la prédestination ; c’est là qu’il complète son précurseur et qu’il se pose tout particulièrement en défenseur des censures de Louvain et de Douai.

Aussi, quand le 6 mars 1641 (au civil 1642), le pape Urbain VIII proscrivit par la bulle In eminenti Y Augastinus de l'évêque d’Ypres, il donna comme considérant que ce livre contenait plusieurs des propositions déjà condamnées, et conclut ainsi : « Nous confirmons et approuvons en tout et pour toujours par la présente constitution qui aura force de loi à perpétuité, la teneur desdites constitutions des papes Pie, Grégoire et Paul, nos prédécesseurs, en général et en particulier, comme si elles étaient ici exprimées et insérées tout entières… Et de la même autorité nous défendons absolument par les présentes, et voulons qu’on tienne pour défendu le livre intitulé Augustinus contenant et renouvelant, comme nous l’avons reconnu, les articles, les opinions et sentiments réprouvés et condamnés par les susdites constitutions. »

Ce n’est pas le lieu de raconter les difficultés de toute sorte que les partisans de Baius et de Jansénius élevèrent contre la bulle d’Urbain VIII. Il en est cependant une qui se rapporte plus spécialement au baianisme, et qui provoqua de la part du saint-siège un éclaircissement juridique sur lefameux comma pianum. Le nonce apostolique Eabio Chigi avait fait imprimer la bulle à Cologne ; la constitution de Pie V Ex omnibus af/Iictionibus s’y trouvait reproduite avec ponctuation, et dans la clause finale, la virgule venait immédiatement après les mots sustineri possent. Aussitôt les adversaires de crier à l’interpolation et d’invoquer l’exemplaire envoyé à Louvain par Grégoire XIII. Deux docteurs de l’université, zélés partisans de Jansénius, Jean Sinnich et Corneille de Pæpe, furent députés à Borne, en septembre 1643, avec des lettres de créance et de recommandation du conseil de Brabant. Urbain VIII profita de la circonstance pour faire procéder à une enquête rigoureuse. Sur son ordre, on rechercha dans les archives du Saint-Office les originaux mêmes des constitutions Ex omnibus af/ ! ictionibus, Provisionis nostrsc et In eminenti ; une copie enfut tirée, collationnée et imprimée, puis remise entre les mains des députés lovanistes par les cardinaux Spada, Pamphili et Falconieri. Voir dans l’appendice au traité de Bipalda Advcrsus Baium, le décret du Saint-Office et l’attestation du notaire Thomasius, 16 juin et 31 juillet 1644. Or, dans l’exemplaire remis à Sinnich, la virgule se trouvait après les mots sustineri possent. Le 2 octobre suivant, le cardinal de Lugo rendit le même témoignage, en attestant qu’il avait vu lui-même la bulle originale et la minute du cardinal qui, par ordre de Pie V, l’avait rédigée. Doctrina theologicaper Belgium manans ex academia lovaniensi ab anno 1644 usque ad annum 1611, part. II, c. i, § 4, Mayence, 1681, p. 96 sq.

Par là s’explique que les copies des bulles contre Baius soient les unes ponctuées, et les autres non ponctuées. On gardait à Rome deux exemplaires de eba-