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BERNARD (SAINT)

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naquit en 1000, à Fontaines-lès-Dijon (Côte-d’Or). Son père, Tescelin, était un officier de la cour du duc de Bourgogne ; sa mère, Aletli (Alette, Aalays), était fille du seigneur de Montbard. Dès sa plus tendre enfance, il lit preuve d’une piété extraordinaire. Vers l’automne de 1111, il prit le parti de renoncer au monde, et dans son ardeur de prosélytisme il entraîna à sa suite trente compagnons parmi lesquels figurent ses frères et son oncle Gaudry. On les voit à Chàtillon-sur-Seine faire pendant six mois l’apprentissage de la vie monastique et entrer à (Eiteaux au printemps de l’année 1112.

Trois ans plus tard l’abbé Etienne Harding l’envoyait fonder l’abbaye de Clairvaux quin 1115), qui devait à son tour devenir la mère de tant d’autres abbayes. Bernard en compta jusqu’à soixante-huit avant de mourir. Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. il, p. 551.

Bientôt le zèle du fondateur de Clairvaux se fit sentir non seulement dans son ordre, mais encore dans toute l’Église de France et jusque dans la Ville Éternelle. Tous les ordres religieux, notamment l’abbaye de Cluny, cf. Apolugia ad Guillelmum, P. L., t. clxxxii, col. 895-918, subissent son influence. La cour de Louis le Gros n’y échappe pas davantage. Eclate le schisme d’AnacletlI ; Bernard, après avoir examine’au concile d’Étampes (1130) les titres d’Innocent et d’Anaclet à la tiare, estime qu’aucune des deux élections qui divisent Borne n’est exempte d’irrégularité, mais, pour éviter un plus grand mal, il passe par-dessus ces vices de forme et se prononce en faveur d’Innocent, dont les qualités morales lui paraissent offrir une garantie pour la dignité de l’Église et sa prospérité. Louis le Gros accepte sa décision, et bientôt après Henri I er d’Angleterre et le roi Lothaire s’y rallient également. Mais les partisans d’Anaclet, nombreux à Borne, à Milan et dans le sud de l’Italie, ne sont pas disposés à céder. Trois fois Bernard entreprend un voyage au delà des Alpes (1133, 1135, 1137) et finit par faire triompher la cause d’Innocent. 11 séjourne à Rome de décembre 1137 à juin 1138. Vers ce temps Anaclet meurt ; on lui donne pour successeur l’antipape Victor IV. Mais l’abbé de Clairvaux détache peu à peu du nouvel antipape tous les Domains. Victor sentie ridicule de sa situation et vient se jeter aux pieds d’Innocent IL C’était la fin du schisme.

De retour en France, Bernard eut bientôt à s’occuper de questions dogmatiques que soulevait le célèbre professeur de Sainte-Geneviève, Pierre Abélard. On sait comment il fut, en quelque sorte, contraint de paraître au concile de Sens (1140), comment il instruisit le procès d’Abélard, et comment, après le refus de celui-ci de s’expliquer, il fit condamner sa doctrine. Abélard, qui en avait appelé à Borne, fut condamné par Innocent IL Voir Abélard, t. i, col. 43, et plus loin.

Un disciple d’Abélard, Arnauld de Brescia, agita aussi quelque temps les esprits en France. L’abbé de Clairvaux l’en fit expulser, le poursuivit dans sa retraite à Zurich et en Allemagne, et le dénonça au pape comme un perturbateur de l’ordre public. Après une réconciliation plus apparente que réelle avec la papauté, Arnauld souleva contre elle, à plusieurs reprises, le peuple romain. Il finit par tomber entre les mains des défenseurs du pape et fut condamné à mort. Voir Arnauld deBrescia, t. I, col. 1972. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, 1895, t. il, p. 235 sq.

D’autres périls menaçaient l’Église de France. Au nord l’hérésie manichéenne, qui avait pris racine au château de Montwimer ouMontaimé, dans le diocèse de Chàlons (Marne), s’étendit de là jusqu’à la mer et jusqu’au Bhin. Cologne surtout en lut infecté. L’abbé de Clairvaux la poursuivit de ses dénonciations et de ses invectives dans ses serinons lxv et lxvi, in Cantica. Au sud, spécialement dans le Languedoc, Pierre de Bruys et un de ses amis, non moins redoutable, du nom de Henri, semaient à pleines mains l’hérésie, ameutaient le peuple contre le clergé, abolissaient le culte et détruisaient les églises. Bernard entreprit de remédier à ces maux, en évangélisant la région qui était le théâtre de ces désordres. Sa présence à Bordeaux, à Bergerac, à Périgueux, à Sarlat, à Cahors, à Toulouse, à Albi, en 1145, arrêta pour quelque temps les progrès de l’hérésie henricienne. Mais il ne parvint pas à l’éteindre complètement, et l’on sait comment, un peu plus tard, de ses cendres sortit l’hérésie des Albigeois, qui éclata comme un immense incendie. Voir Henri et les II en-Riciens, et Pierre de Bruys. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, t. ii, p. 217 sq.

Cependant les malheurs de l’Eglise d’Orient sollicitaient l’attention de Bernard. Louis VII et le pape Eugène III exhortent les chevaliers français à entreprendre une seconde croisade. L’abbé de Clairvaux se fait à Vézelay leur interprète (31 mars 1140). Sa prédication enflamme tous les cœurs. Il la continue par des lettres qu’il envoie de tous côtés. Non content d’écrire, il visite les villes des bords du Bhin et les pousse également à s’enrôler pour la croisade. Le roi Conrad III hésite à s’y associer. Bernard, qui le rencontre à Spire (décembre 1146-janvier 1147), finit par l’y déterminer. Mais comme l’entreprise échoua, faute d’une sérieuse et forte organisation militaire, Bernard eut à se défendre de l’avoir conseillée. Les attaques dont il l’ut alors l’objet lui causèrent un vif chagrin. Cela ne l’empêcha pas de former avec Suger un projet de nouvelle croisade, projet qui d’ailleurs avorta tristement. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, c. xxvil, xxxi, t. ii, p. 259, 115.

Cependant l’évêque de Poitiers, Gilbert de la Porrée, était dénoncé, au concile de Beims (1148), comme auteur d’une théorie philosophique qui portait atteinte au dogme de la Trinité. On lui reprochait d’enseigner que la divinité était une réalité distincte de Dieu. L’abbé de Clairvaux attaqua vivement cette erreur et fit signer à Gilbert une profession de foi orthodoxe. Voir Gilbert de la Porrée. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, t. ii, c. xxviii, p. 327 sq. ; de Bégnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, 2e série, étude VIIIe, c. iii, a. 4, Paris, 1892, p. 87 sq.

Nous ne nous al larderons pas à raconter les conflitsentre l’Église et l’État auxquels l’abbé de Clairvaux fut mêlé. Nous ne dirons donc rien de ses démêlés avec Louis le Jeune. Cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, c. xxiv, t. ii, p. 177 sq. De ses rapports avec la papauté, nous ne ferons qu’indiquer la leçon qu’il lui adressa dans le traité De consideratione, destiné à procurer la reforme de la cour de Borne. L’ouvrage est dédié à Eugène III, qui avait été moine à Clairvaux. Dans un langage parfois un peu vif, Bernard dénonce tous les abus que la faiblesse des papes tolère au sein de l’Église et surtout de la curie. Le Ve livre a plutôt un caractère philosophique et dogmatique. L’auteur y vise encore manifestement la doctrine de Gilbert de la Porrée.

Lorsqu’il écrivait ces lignes (au plus tôt 1152), Bernard touchait au terme de sa carrière. Ses dernières années furent attristées par des chagrins de toutes sortes, notamment par la trahison de son secrétaire Nicolas. Mais rien n’était capable d’abattre son courage. Quelques mois avant de mourir, malgré l’épuisement de ses l’orv ces, il se rendit encore à Metz pour rétablir la paix entre les Messins et le duc de Lorraine. Au mois de juillet 1153, il apprit la mort de son cher disciple, le pape Eugène III. Le 20 août suivant, il rendait lui-même son àme à Dieu ; il était âgé de 63 ans. Vingt ans plus tard, par une bulle en date du 18 janvier 1174, Alexandre III l’inscrivait au nombre des saints. Le pape Pie VIII lui conféra en 1830 le titre de docteur ; il est connu communément sous le titre de Doetor melliflUus.

Pour plus de détails sur la vie de saint Bernard, voir Vacandard, ouv. cit., 2 in-8° Paris, 1895 ; 2 in-12, Paris, 18 !)7. Les principales sources pour la biographie de l’abbé de Clairvaux sont : l’une