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BERENGER DE TOURS


France était pleine de sa doctrine, seatebal omnis (iallia ejus doctrina..Mais Eusèbe Brunon, dont le témoignage est plus autorisé, dit, P. L., t. cxlvii, col. 1201, que cette affaire avait agité la plus grande partie du inonde romain. De Liège. Adelman écrit à Bérenger, P. L., t. cxliii, col. 1290, que le bruit de ses innovations doctrinales remplit les oreilles des Latins et des Teutons au milieu desquels Fécolàtre de Liège poursuit son long pèlerinage. Vers 1060, de Mayence, Gozechin, ancien écoïàtre de Liège, écrit une lettre découragée, où il se plaint que tout va de mal en pis, et donne en preuve la diffusion du bérengarianisme. P. L., t. CXLIII, col. 900. Durand de Troarn, Liber de corpore et sanguine Christi, c. xxxii, P. L., t. cxlix, col. 1421, parle d’une « très grande multitude » d’ennemis de l’Église disséminés dans la France et cherchant à gagner les régions voisines, puis, indiquant l’origine du mal, de Bérenger et de plures Francorum, nonnuUi quoque Norlhmannorum, dont il avait été le maître ou qu’il avait aidés dans leurs études, et qu’il avait pour partisans. Guitmond, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, 1. I, P. L., t. cxlix, col. 1429, suivi par plusieurs écrivains, avance qu’il propagea ses opinions par des écoliers pauvres qu’il nourrissait ; ailleurs, 1. III, col. 1485-1487, il insiste sur le petit nombre de ses prosélytes, d’accord en cela avec Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, c. iv, P. L., t. cl, col. 414, qui oppose les paucissimos schismatïcos à la masse de l’Église universelle. Il ressort de ces textes que l’hérésie de Bérenger émut les esprits et excita une vive agitation, mais que ses adhérents furent une minorité assez restreinte. Le plus illustre d’entre eux fut Eusèbe Brunon. Une lettre de Frolland, évêque de Senlis, à Bérenger, écrite vers 1050, est remplie de témoignages de respect et de vénération, et prouve que l’évêque s’est entremis en sa faveur auprès du roi ; elle ne fait aucune allusion à la polémique engagée par l’hérésiarque.

Guitmond, nous l’avons vii, distingue, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, 1. I, P. L., t. cxlix, col. 1430-1431, parmi les bérengariens, ceux qui ne voyaient qu’une ombre ou une figure du corps du Christ dans l’eucharistie et ceux qui admettaient l’impanation ; d’autres, continue-t-il, sans être bérengariens, mais influencés par les arguments de Bérenger, estiment que le pain et le vin sont changés en partie et subsistent en partie ; d’autres encore prétendent que le pain et le viii, totalement changésau corps etau sang du Christ, reparaissent quand le communiant est indigne.

Le bérengarianisme ne mourut pas avec son auteur. Le concile de Plaisance (1095) jugea utile de condamner de nouveau l’hérésie de Bérenger déjà tant de fois anathématisée. Dans son fougueux réquisitoire « contre les quatre labyrinthes de la France » , Gauthier de Saint-Victor appelle Abélard « un autre Bérenger » . P. L., t. cxcix, col. 1154. Au temps d’Abélard, Hugues Métel, de Toul, écrivait à Gerland, qui « portait le poids et l’honneur (onerato et lionorato) de la science du trivium et du quadrivium » , une letlre où il lui attribue des doctrines qui sont un écho de celles de l’écolàtre de Tours. P. L., t. clxxxviii, col. 1273. L’abbé fiupert de Tuy parle, P. L., t. clxix, col. 201, de contradicteurs qui assurent, à la suite de Bérenger, que le sacrement du corps et du sang du Seigneur est seulement le signe d’une chose sacrée : comme Gerland, ils citent saint Augustin à l’appui de leurs dires. Hupert lui-même fut invité amicalement par Guillaume de Saint Thierry, P. L., t. clxxx, col. 1142, à surveiller son langage sur l’eucharistie, qui n’était pas toujours satisfaisant (dans le De divinit officiis) »t pouvait être pris dans un sens bérengarien. Grégoire Barbarigo, évêque de Bergame, publie, vers 1140, un important " Traité de la vérité du corps du Christ » contre les o nouveaux bérengariens » ; il pousse un cri d’alarme, et déplore l’inertie et le si lence universels alors qu’il faudrait résister à ces docteurs dangereux et à ceux qu’ils entraînent. Cf. son prologue, dans Hurter, Sanctorum Patrum opuscula selecta, t. xxxix, p. 2. Folmar de Triefenstein, vers le milieu du XIIe siècle, émit des idées qui lui valurent d’être qualifié par Gerhoch de Beichersberg de Berengarii pedissequus. P. L., t. cxcxiv, col. 1117. Cf. Bach, Die Dogmengesclùchte des Miltelalters, t. I, p. 398. Les pétrobrusiens subirent, au moins de façon indirecte, l’influence de Bérenger, mais en le dépassant. Cf. Pierre le Vénérable, Tractatus contra Petrobrusanios, P. L., t. clxxxix, col. 788. Il en fut de même des cathares et des autres sectes du moyen âge hostiles à l’eucharistie, et plus tard des sa crânien ta ires. Cf., par exemple, Jean Fisher, évêque de Rochester, De veritate corporis et sanguinis Christi in eucharistia adversus Johannem Œcolampadium, Cologne, 1527, fol. 3, 58, surtout 74.

II. les adversaires nE bérexger.

Bérenger se heurta au sentiment unanime des catholiques. « Tous les auteurs lui disent, d’un commun accord, comme un fait constant, que la foi qu’il attaquait était celle de tout l’univers ; qu’il scandalisait toute l’Église par la nouveauté de sa doctrine… ; qu’il n’y avait pas une ville, pas un village de son sentiment ; que les Grecs, les Arméniens et, en un mot, tous les chrétiens, avaient en cette matière la même foi que l’Occident… Bérenger ne niait pas ce fait ; mais, à l’exemple de tous les hérétiques, il répondait dédaigneusement que les sages ne devaient pas suivre les folies du vulgaire. » Bossuet, Histoire des variations des Églises protestantes, 1. XV, n. 133, édit. Lâchât, t. xv, p. 144-145. Et il est remarquable que l’opposition entre Bérenger et « le vulgaire » ne porte pas ou, du moins, ne porte pas uniquement sur la présence réelle, mais bien sur la transsubstantiation. Cf. la lettre à Adelman, dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. iv, col. 111.

Parmi ceux qui combattirent Bérenger, il faut signaler tout d’abord ses anciens condisciples de Chartres : Hugues de Breteuil, évêque de Langres, Adelman de Liège, Ascelin le Breton, chanoine de Notre-Dame et, plus tard, moine de Saint-Père de Chartres (non du Bec), Arnoul, chantre, Guillaume, prévôt, Ingelran, chancelier, Yve, suppléant du chancelier dans les écoles de Notre-Dame de Chartres, et Agobert, devenu évêque de Chartres en 1048. Cf. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, p. 44, 64-67, 91, 103. Trois lettres nous restent, l’une d’Hugues de Langres, la deuxième d’Adelman, la troisième d’Ascelin, adressées à Bérenger, qui témoignent de l’émotion ressentie par les élèves de Fulbert à connaître les innovations bérengariennes ; ce sont de véritables petits traités, d’une saine théologie, et qui ne sont point dépourvus, celui d’Adelman surtout, de valeur littéraire.

Nous n’avons pas à revenir sur la lettre de Théoduin de Liège. Durand, abbé de Saint-Martin de Troarn, écrivit contre Bérenger un traité important, vers 1158. Mieux encore, Lanfranc, alors abbé du Bec, et, après lui, Guitmond, son disciple, moine de la Croix-Saint -Leufroy, ensuite évêque d’Aversa, réfutèrent l’hérésiarque. (Guitmond le lit vers 1075. Il est parfois appelé non Guitmond, mais Christiauus. Cf. P. L., t. cxlviii, col. 1452, 1458 ; t. ccxiii, col. 979, 982. C’est par erreur qu’on a attribué un ouvrage contre Bérenger à Gui d’Arezzo ; comme Ceillier l’a indiqué, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, 2e édit., Paris, 1863, t. xiii, p. 131, on a dû confondre (lui avec Guitmond, et cette confusion paraît avoir son origine dans un passage de la chronique d’Hélinand de Froidmond, 1. XI. VI, /’. /.., t. eexii, col. 946.) Outre les papes qui condamnèrent Bérenger, Léon IX, Nicolas II, Grégoire VII, et pour nous en tenir à ceux de ses contemporains qui écrivirent

contre lui, citons également Bernold de Constance, saint Anastase, moine d’abord au Mont-Saint-Michel,