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BÉRENGER DE TOURS


Au commencement de son De corporis et sanguinis C/tristi veritate in eucharistia (écrit avant 1078), 1. I, P. L., t. cxlix, col. 1430 il raconte qu’il a arraché aux bérengariens des aveux sur leurs divergences : les uns voient dans l’eucharistie un pur symbole ; les autres, contraints de céder aux raisons de l’Église mais ne renonçant pas à leurs folies, pour paraître en quelque sorte d’accord avec les orthodoxes, disent que le corps et le sang du Christ sont contenus dans l’eucharistie véritablement mais d’une façon cachée, rêvera sed latenlcr contineri et, ut sumi possint guodammodo, ut ita dixerim, impanari. Or, ajoutent-ils, cette dernière opinion est celle de Bérenger, et hanc ipsius Berengarii subliliorem esse sententiam aiunt. Cf. Alger, De sacramentis corporis et sanguinis dontinici, 1. I, c. VI, P. L., t. clxxx, col. 754-756. Un peu plus loin, 1. III, col. 1481, 1488, Guitmond attribue à Bérenger l’usage de l’une et de l’autre théorie selon la diversité des disciples, la deuxième étant réservée à ceux qui ne se contentaient pas des explications ordinaires, subtilius quxr ^nlibus.

Conclusion.

Que, dans sa polémique sur l’eucharistie,

Bérenger ait obstinément nié la transsubstantiation, c’est ce qui est hors de doute. Son sentiment sur la présence réelle est moins clair.

Plusieurs lormules existent qui ont été tour à tour employées ou repoussées par les Pères et les écrivains ecclésiastiques, et qui, selon la manière dont on les entend, présentent un sens irréprochable ou dangereux. Les suivantes eurent cours dans les débals dont Bérenger lut le centre : « L’eucharistie est ou n’est pas le signe, la figure, le gage du corps du Christ. — Le corps du Christ dans l’eucharistie n’est pas ou est le même qui est né de Marie, qui a été crucifié, qui est au ciel à la droite du Père. — Le corps du Christ dans l’eucharistie ne peut pas ou peut être mangé, broyé par les dents. » Ces expressions, sagement expliquées, sont justes. Voir un bon résumé de ce qu’on a dit là-dessus, dans Tanquerey, Synopsis theologiæ dogmatiese specialis, 3e édit., Tournai, 1897, t. il, p. 329-330. Mais elles se prêtent, si on les prend à la lettre, à une double interprétation, l’une trop spirituelle qui compromet la présence de Kotre-Seigneur dans l’eucharistie, l’autre matérialiste qui l’exagère. Bérenger inclina pour le moins vers la première interprétation ; quelques-uns de ses adversaires donnèrent des gages à la seconde. Du reste, comme il arrive souvent dans la discussion, Bérenger et ses contradicteurs ne se comprirent pas toujours bien. La pensée de Bérenger lut parlais dénaturée. Il avait écrit à Ascelin, par exemple : « Tu as contre toi la nature elle-même, les écrits évangéliques et apostoliques, si tu adhères à Paschase Badbert en ce que seul il a imaginé, à savoir que la substance du pain lait tout à iait défaut dans le sacrement du corps du Seigneur ; » Ascelin répondit : « Avec Paschase et les autres catholiques, je reconnais et je vénère le vrai corps et le vrai sang du Christ pris par les fidèles sous les espèces du pain et du vin, et en cela je n’ai pas contre moi la nature, quoi que tu en dises. » Cf. P. L., t. cl, col. 66, 67. Où Bérenger avait parlé de la transsubstantiation, Ascelin avait compris qu’il s’agissait de la présence réelle. De son coté, Bérenger ne sut ou ne voulut pas entrer dans la peqsée de ses adversaires. Il argumentait contre la lormule du concile romain de 1078 de manière à mettre sur le compte de la partie adverse cette proposition : le pain et le vin de l’autel, après la consécration, sont seulement le vrai corps et le vrai sang du Christ, et non point les sacrements du Christ. Cl. Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, c. v-vin, col. 414-419 ; c. xvii, col. 427. A le lire, on croirait que, pour Paschase Badbert, pour Lanfranc, l’hostie consacrée ne contiendrait qu’une parcelle de la chair du Christ divisée en autant de parcelles qu’il y eut ou qu’il y aura d’hosties consacrées. On de vine combien ces malentendus embrouillaient la dispute.

Tout pesé, il ne semble pas que Bérenger ait rejeté la présence réelle, dans la première période de la polémique jusqu’au conciledeRomedel059. Lui-même, à ce qu’il assure, De sacra cœna, p. 44, n’avait pas encore des idées arrêtées au moment du concile de Verceil (1050). De 1050 à 1059, sa cause se confond avec celle de Jean Scot, c’est-à-dire très probablement de Ratramne de Corbie ; or, le livre de Ratramne, s’il est défectueux, ne détruit pas la présence réelle. Déjà, ainsi que l’atteste la lettre à Adelman, Bérenger adopte l’impanation.

Après le concile de 1059, Bérenger accentue sa thèse. Il veut la justifier, non seulement par l’autorité, mais aussi par la raison, et ses principes philosophiques sont difficilement conciliables avec la présence réelle. A vrai dire, ils tendent directement à établir que le corps du Christ ne peut être dans l’eucharistie tel qu’il lut dans sa vie mortelle ou tel qu’il est dans le ciel, et tout pourrait s’arranger en spécifiant que le mode d’être du corps eucharistique n’est pas le même que celui du corps historique et du corps céleste. Mais cette distinction n’apparaît pas suffisamment dans les écrits de Bérenger, et, plus d’une lois, il ne semble admettre guère autre chose qu’une présence dynamique ou figurative dans l’eucharistie. D’autre part, tout à côté, se lisent des passages en faveur de la présence réelle du vrai corps, du corps humain du Christ, et de l’impanation. La contradiction s’atténuerait si l’impanation bérengarienne était bien celle que décrit Mabillon, Acta sanct. ordinis S. Benedicti, sœc. vi, part. II, p. xxix : l’union du Verbe à la substance du pain et du viii, et, par l’intermédiaire du Verbe, l’union du pain et du vin au corps du Christ existant dans le ciel, en telle sorte que le pain et le viii, gardant leur substance, deviendraient, d’une certaine façon, le corps et le sang du Christ. Le malheur est que, d’après Guitmond, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, 1. I, III, P. L., t. cxlix, col. 1430, 1481, ce ne serait pas le Verbe seul, mais ce seraient encore le sang et le corps du Christ qui, dans l’impanation bérengarienne, s’uniraient à la substance du pain et du vin. Disons donc que, dans cette seconde période, la pensée de Bérenger, fut obscure, hésitante, peut-être changeante et contradictoire. 11 ébranla le dogme de la présence réelie, sans toutefois que nous puissions le ranger au nombre de ceux qui l’ont simplement niée.

Sur la communion Bérenger s’exprime comme sur la présence réelle ; il repousse une manducation matérielle et admet une manducation spirituelle du corps du Christ. Cf. sa lettre à Adelman, Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. iv, col. 110 ; De sacracœna, p. 71, 148, etc. Évidemment l’interprétation de ces textes est la même que celle des passages sur la présence de Notre-Seigneur dans l’hostie.

Dans une lettre à Eusèbe Brunon, publiée par Brucker, L’Alsace et l’Eglise au temps du pape saint Léon IX, t. il, p. 393, il est dit que, d’après des écrits venus de France, Eusèbe et Bérenger étaient appelés stercoranistes. Voir ce mot. Il paraît certain que le stercoranisme lut une hérésie imaginaire. Cf. Mabillon, Acta ordinis S. Benedicti, sæc. iv, part. II, p. xxxii-xliv ; Witasse, Tractatus de augustissimo eucltaristix sacramento, t. i, p. 416-427. Quoi qu’il en soit, Bérenger ne iut pas stercoraniste, mais il objecta à ses contradicteurs que leur croyance conduisait logiquement au stercoranisme. C. Guitmond, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, 1. II, P. L., t. cxlix, col. 1450-1453.

III. La controverse bérengarienne.

I. les disciples de BÉrtENGEit. — Bérenger recruta des adeptes. Il n’y a pas lieu de prendre à la lettre l’affirmation de Guillaume de Malmesbury, Gesta regum anglorum, 1. III, § 281, P L., t. clxxix, col. 1257, que toute la