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BÉRENGER DE TOURS


note. Récemment, une nouvelle hypothèse a été émise : clans un mémoire, lu au Congrès des sociétés savantes, à Paris, le 4 avril 1902, M. R. Astier a essayé d’établir que le traité de Jean Scot Érigène doit être reconnu dans le De corpore et sanguine Domini publié par dom Pez, et reproduit dans P. L., t. cxxxix, col. 179-188, sous le nom de Gerbert, sur la foi d’un manuscrit unique. Cf. Bulletin historique et philologique du comité des travaux historiques et scienti/iques, Paris, 1902, p. 151155. Ce n’est pas ici le moment de discuter ces hypothèses. Observons seulement que ni le livre de Gerbert, ni celui deRatramne — quelque malencontreuses que soient certaines de ses explications, et quoique Bossuet, Histoire des variations, 1. IV, n. 32, édit. Lâchât, t. xiv, p. 167, l’ait justement caractérisé : un « ouvrage ambigu, où l’auteur constamment ne s’entendait pas toujours lui-même » — n’attaquent la présence réelle ; il en résulte que, si l’une ou l’autre des hypothèses que nous avons mentionnées est exacte, il y a bien des chances pour que Bérenger, lui aussi, ait admis la présence réelle, quitte à l’exprimer par des formules malheureuses. Nulle part, en effet, dans l’emploi de ces mots : « L’eucharistie est la figure, le signe, le gage du corps du Christ, » il ne paraît aller au delà de l’écrit de Jean Scot, et les conciles qui condamnent ce langage dans Jean Scot et dans Bérenger ne mettent pas de différence entre eux.

Les textes.

Hugues de Langres qui, le premier,

combattit par la plume Bérenger après un entretien avec lui, expose de la sorte l’enseignement de i’écolâtre tourangeau, P. L., t. cxlii, col. 1327 : « Tu affirmes que le corps du Christ est dans ce sacrement, de telle façon que la nature et l’essence du pain et du vin ne soient pas changées, et ce corps, que tu disais avoir été crucifié, tu le fais intellectuel. D’où il ressort très évidemment que tu avoues qu’il est incorporel. » Bérenger écarte donc la transsubstantiation, tout en admettant dans l’eucharistie la présence du corps du Christ, mais une présence intellectuelle ou spirituelle, car, selon la remarque de Gore, op. cit., p. 256, ces deux termes étaient alors syno- ; nymes. Hugues de Langres s’attache à prouver que, si le pain et le vin demeurent, erit impotens sacramentum, et qu’il faut ou admettre que la nature du pain a disparu ou renoncer à la présence du corps du Christ : « Que si tu prétends, ajoute-t-il, que le pain garde sa nature et que cependant le sacrement n’est pas sans efficacité, tu parles contre la raison. » Le dilemme est dénué de valeur si Bérenger est partisan de l’impanation, surtout si la présence intellectuelle ou spirituelle qu’il revendique est dite telle, comme dans Ratramne, cf. Mabillon, Acta sanct. ordinis S. Benedicli, sa ?c. iv, part. II, p. l-lix ; Boileau, dansP. L., t. cxxi, col. 151-152, note, pour désigner la présence invisible par opposition à la présence visible, le mode d’être sacramentel par opposition au mode d’être naturel.

Il n’y a pas à s’attarder à la lettre qu’Adelman, sur des on-dit, écrivit de Liège à Bérenger. La date de la réponse de Bérenger nous est inconnue, mais elle ne peut être de beaucoup postérieure à la missive d’Adelman, et de cette réponse nous n’avons que des fragments, mais notables, dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. iv, col. 109-113. Il y déclare, avec force, qiw le vrai corps du Christ est dans l’eucharistie, et distingue le corps et le sang ou res sacramentorum et les espèces sacramentelles ou sacramentel, ajoutant que seules ces dernières sont appelées des signes, la figure, la similitude, le gage du corpsdu Christ. Mais il enseigne panis superesse non absumptam esse substanliam, et à la doctrine de ses adversaires, qu’il résume ainsi : urgente consecratione panem et vinum per corruptionem vel absamplioneni sui in particulam carnis Christi sensualiter transire et sanguinis, il oppose la doctrine suivante : panent et vinum mensæ dominicæ non sensualiter sed intelleclua îiter non per absumplianem sed per assumptionem, non in porliunculam carnis… sed… in totum converti Christi corpus et sanguinem. Il prête faussement à ses adversaires l’idée que dans l’hostie consacrée il n’y a qu’une parcelle du corps du Christ. Quant au sens du mot sensualiter très important, Bérenger l’explique : in conversione rerum sensuali, id est per corruptionem sui seu absumplionem, qualis fuit virgse Moysi in serpentem. Ce qu’il repousse, c’est la transsubstantiation, le changement du pain par élimination, per absumptioncm, ou per corruptionem sui, sous ce prétexte que necessarium esseante corruptionem alterius allerum non eaistere et que la chair du Christ, existant depuis tant d’années, nunc primo ad corruptionem panis minime potest esse incipere, d’où il conclut que nihil in altari de carne Cltristi sensualiter haberi omnino necessariumest. L’argument est un pur sophisme, mais la pensée de Bérenger se précise : pas de changement per absumptioncm, c’est-à-dire pas de transsubstantiation, mais bien un changement per assumptionem ; la substance du pain et du vin subsistent et s’unissent le corps et le sang du Christ ; en d’autres termes, c’est une sorte d’impanation. La présence du vrai corps du Christ dans l’eucharistie n’a pas lieu sensualiter ou per absumplionem, mais per assumptionem, intelleclualiter ; Bérenger dit encore qu’après la consécration le pain et le vin facta esse ftdei et intellectui verum Christi corpus et sanguinem. La signification de ces paroles est mise en lumière par le contexte que nous venons de reproduire, et par un passage parallèle de Bérenger, dans son opuscule sur la formule souscrite au concile romain de 1079, cf. Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. iv, col. 105 ; expliquant la conversion « substantielle » du pain et du vin de l’autel, il écrit : panis sacratus in altari, salva sua substantia, est corpus Christi, id est non amittens quod erat, sed assumens quod non erat, et un peu plus loin : Ita est i}>se panis substantia corporis Christi, oculo cordis tui, sed non oculo corporis, non manui, non denti.

Les deux lettres de Bérenger à Paulin de Metz, la lettre à Lanfranc, la condamnation de Bérenger au concile de Rome, la nouvelle condamnation au concile de Verceil, toute la correspondance échangée dans l’intervalle de ces deux conciles, la condamnation du concile de Paris, portent sur l’orthodoxie du livre de Jean Scot et, en particulier, de la formule : « Le sacrement de l’autel est la figure, le signe, le gage du corps du Seigneur. » Bérenger nia carrément la transsubstantiation à la conférence de Chartres, et s’en prit àPaschase Radbert qui, d’après lui, était le seul à l’avoir imaginée, cf. sa lettre’à Ascelin, P. L., t. cl, col. 66 ; il n’attaqua point Paschase Radbert sur la question de la présence réelle. Au concile de Tours, il nia avoir dit que le pain consacré n’est que du pain et ne diffère pas du pain ordinaire, et il souscrivit cette formule : « Après la consécration, le pain et le vin de l’autel sont vraiment le corps et le sang du Christ, » jurant qu’il le croyait de cœur, comme il l’avait professé de bouche. Cf. De sacra cœna, p. 52. La formule de foi arrêtée, au concile de Rouen, contre l’erreur bérengarienne, a pour objet direct la transsubstantiation et affirme l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ : « Nous croyons… que, dans la consécration, la nature et la substance du pain sont changées en la nature et en la substance de la chair, non pas d’une chair quelconque, mais de celle qui a été conçue du Saint-Esprit, est née de la Vierge Marie…, que le vin est vraiment et essentiellement changé en ce sang que la lance du soldat fit jaillir de la blessure du côté pour la rédemption du monde. » P. L., t. CXLIH, col. 1383.

Au concile de Rome (1059), Bérenger fut contraint de signer une profession de foi, rédigée par le cardinal Huinbert, et qui nous a été conservée par Lanfranc, De