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BAIUS


fit lire officiellement la bulle Provisionis nostræ ; s’adressant ensuite au chancelier, il lui demanda s’il ne reconnaissait pas, dans le décret pontifical, la condamnation de beaucoup d’articles contenus dans ses opuscules imprimés et dans le sens même où le décret les condamnait, etiam in co sensu quo in bulla danïnarentur. Je le reconnais, répondit Baius. Condamnez-vous, poursuivit Tolet, ces mêmes articles et tous les autres dont vous venez d’entendre la lecture ? Je les condamne, répliqua le docteur, selon l’intention de la bulle et de la manière dont elle les condamne. Ce fut ensuite le tour des autres docteurs, puis des licenciés, des bacheliers et des simples étudiants ; tous répondirent par une sorte d’acclamation : Articulos damnamus, bullam reverenter suscipimus, atque obedientiam pollicemur. Sur le désir exprimé par le chancelier d’avoir une copie du décret apostolique, le commissaire promit de laire son possible auprès du souverain pontife pour le satisfaire.

Le P. Tolet eut encore avec Baius plusieurs conférences particulières qui furent couronnées du plus heureux succès ; on peut en juger par l’acte suivant, désigné communément sous le titre de Confessio Micliælis Baii : « Je, Michel de Bay, chancelier de l’université de Louvain, reconnais et déclare que par les différents entretiens et les rapports que j’ai eus avec le révérend père D. François Tolet, prédicateur de Sa Sainteté, envoyé spécialement pour cela, touchant diverses opinions et propositions autrefois condamnées et prohibées par N. S. P. le pape Pie V, d’heureuse mémoire, l’an 1567, et depuis condamnées de nouveau par le pape Grégoire XIII, gouvernant actuellement l’Église, en date du 4 des calendes de février 1579, j’ai été tellement touché que j’en suis venu à me convaincre pleinement que la condamnation de toutes ces propositions est très juste et très légitime, et qu’elle n’a été faite qu’après une mûre délibération et un examen très soigneux. Je confesse de plus que dans quelques-uns des opuscules que j’ai écrits autrefois et publiés avant que la censure fût émanée du saint-siège, un grand nombre de ces propositions, plurinias ex iisdem sententiis, sont contenues et soutenues dans le sens même où elles sont réprouvées, etiam in eo sensu in quo reprobantur. Enfin, je déclare que présentement je renonce à toutes ces opinions et que j’acquiesce à la condamnation que le saint-siège en a portée, et que je suis résolu à n’en plus jamais enseigner, ni soutenir aucune. Fait à Louvain le 24 mars 1580. Michel de Bay. »

On rapporte qu’avant de repartir, le commissaire apostolique fit du chancelier ce bel éloge, qu’il ne le cédait à personne en fait de science et d’humilité. Nihil liaio doctius, nihil humilius. De retour à Rome, il parla de lui dans les meilleurs termes au pape Grégoire XI11, et celui-ci voulut donner au docteur lovaniste un témoignage de sa grande satisfaction, en lui adressant, en date du 15 juin, un bref très bienveillant. Le P. Tolet obtint aussi pour l’université un exemplaire de la bulle, qui fut déposé dans les archives, après qu’on en eut délivré au chancelier une copie collationnée. Il n’y avait dans cet exemplaire ni ponctuation, ni division des propositions, quoique la bulle eût été imprimée au Vatican le 4 février de l’année précédente avec ponctuation et division des propositions et que Tolet eût porté à Louvain un de ces imprimés. Le fait, comme on le verra plus tard, a son explication dans un usage de la chancellerie romaine.

Une nouvelle intervention fut bientôt nécessaire. Quoique soumis de volonté, Baius n’était pas tellement dégagé de ses anciens préjugés qu’il ne lui arrivât de laisser échapper des paroles compromettantes. Ainsi, dès le mois de novembre 1580, présidant à des thèses sur les actions méritoires, il avança que l’homme avait été’créé pour faire des bonnes œuvres, comme les oiseaux pour voler, et que d< puis la ruine de ses forces, il ne lui était pas moins impossible de bien agir qu’aux oiseaux de

voler lorsqu’ils ont les ailes brisées. Assertion suspecte, que son auteur n’expliqua pas nettement. Divers bruits coururent ensuite sur le chancelier ; il aurait refusé de faire prêter aux candidats le serment d’obéissance à la bulle de saint Pie V, aurait même proposé la suppression de cette formalité. Ses partisans, de leur coté, émettaient des idées qui tendaient à éluder les condamnations portées ; déjà commençait à s’élaborer la théorie du silence respectueux, sans obligation d’embrasser les sentiments contraires à ceux qui étaient soutenus dans les propositions censurées. Grégoire XIII voulut couper court à ces nouveaux subterfuges ; ayant envoyé, en 1584, l’évêque de Verceil, Jean-François Bonhomme, comme nonce en Allemagne, il le chargea de concerter avec l’archevêque de Malines les mesures qu’il y aurait à prendre pour déraciner complètement l’erreur. Les deux prélats estimèrent que le mieux serait de faire dresser par la faculté de théologie de Louvain un corps de doctrine qui ferait désormais loi dans les matières controversées. Les docteurs acquiescèrent à la demande ; le professeur Jean de Lens, Lensscus, fut chargé de rédiger le document. Achevé et authentiquement approuvé, en 1586, il fut présenté par l’archevêque de Malines au nonce apostolique, qui s’en montra satisfait. C’est une pièce importante où, pour se conformer au jugement rendu par le saint-siège sur les soixante-seize propositions, les théologiens lovanisles énoncent clairement et établissent solidement la doctrine contradictoire à celle des articles flétris. De là ce titre : Doctrinse ejus quant eertorum artiadorum damnatio postulare visa est, brevis et quoad fieri potuit ordinala et cohærens explicatio, a veneranda facultate sacrée theologiee in lovaniensi Academia, etc. Cette fois, il n’y avait plus d’équivoque possible.

Baius souscrivit-il à ce corps de doctrine ? On’n’en a pas de preuve péremptoire ; cependant, la présomption est pour l’affirmative, car on lit dans les actes de la faculté, que la formule rédigée par Jean de Lens reçut l’approbation commune des autres maîtres requis à cet effet, communi cseterorum magistrorum ad hoc requisitorum judicio probata est. Il est du moins certain que personne n’a jamais accusé le chancelier d’avoir contredit l’acte en question. La paix semblait acquise, quand un incident vint de nouveau la troubler pour longtemps, et fournir aux partisans du baianisme une arme dont ils ne manquèrent pas ensuite d’abuser. Dans ses cours de théologie au collège des jésuites de Louvain, Lessius réiutait, à l’occasion, les erreurs de Baius, comme l’avait fait avant lui Bellarmin ; en même temps, il soutenait, sur la prédestination et sur la nature de la grâce, des propositions où les docteurs de l’université virent une attaque à la doctrine et à l’autorité de saint Augustin. De là, en 1587, la fameuse Censure de Louvain contre Lessius. Le récit de cette affaire n’appartient pas à l’étude présente ; cette censure portait sur des points de doctrine que liaius n’a pas traités dans ses opuscules et qui sont en dehors des propositions condamnées par les papes Pie V et Grégoire XIII. Il suffit de remarquer, que, si le rédacteur désigné d’office par la faculté fut Henri Gravius, l’instigateur de la censure paraît bien avoir été le chancelier, aidé de son neveu Jacques Baius et d’un disciple dévoué, Jacques Janson, Disquisitio hisloricade rcctitudine et stabilitate censurée apostolicte trium summorum ponti/icum, c. ix, manuscrit déjà cité, fol. 7 ; détails confirmés par une autre pièce contenant des notes sur les faits du baianisme. Biblioth. royale de liruxelles, n. 1758, fol. 11. De même, dans l’article De Buy de la Biographie nationale, publiée par l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, Bruxelles, 18715, t. iv, p. 774, on rapporte que liaius ne fut pas des derniers à provoquer à l’égard de Lessius une sentence de la faculté, et l’on ajoute cette réflexion : « Agit-il par esprit de vengeance contre les jésuites ou, poussé par un zèle excessif, jugea-t-il que son abstention