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BAIUS

La faculté prit de nouvelles conclusions, le 4 juillet 1572 : les articles condamnés par la bulle Ex omnibus af/Iiclionibus seraient mis au rang des opinions suspectes et rigoureusement prohibées parles statuts, cette clause serait lue à tous ceux qui se présenteraient aux degrés théologiques, avec ordre de s’abstenir d’enseigner, de défendre ou de répandre les propositions censurées. Baius assistait à la délibération et souscrivit, comme les autres docteurs, aux conclusions. Cette conduite ne fit que le grandir aux yeux de tous ; loin de le tenir en suspicion, on le revêtit, en 1575, de deux dignités considérables, celle de chancelier de l’université et celle de doyen de la collégiale de Saint-Pierre de Louvain. Trois ans plus tard, il fut encore nommé conservateur de l’université, et parvint ainsi au sommet des honneurs académiques.

V. Deuxième condamnation de Baids par Grégoire XIII. — A la suite des actes qui viennent d’être rapportés, il y eut quelques années de calme relatii. Baius attira cependant bientôt l’attention en prenant parti contre deux sentiments récusa Louvainde temps immémorial. Dans un discours prononcé aux mois de mai et d’août 1575, il soutint que tous les évêques tiennent immédiatement leur juridiction de Dieu et non pas du pape : Oratio, an soins Romanus Pontifex immédiate a Deo suam jurisdictionis potestatem habeat. Il avança en même temps que ces paroles de Notre-Seigneur à saint Pierre : J’ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point, ne prouvent pas suffisamment l’infaillibilité doctrinale du pape. Attaqué vivement, il se défendit dans l’opuscule intitulé Tractatus apologeticus circa quæstionem, utrum ex isto Cliristi verbo : Ego rogavi pro te, etc., salis clare ostenditur, Rom an uni Ponlificem in definiendo non posse errare. L’affaire, du reste, n’eut d’autre effet immédiat que de mécontenter les adversaires du nouveau chancelier et de réveiller leurs défiances ; si Baius mettait en question l’infaillibilité du pape, n’était-ce pas pour s’assurer le droit de penser et de dire que la bulle de Pie V ne tranchait pas le débat relatif aux propositions censurées ?

Les défiances s’accrurent encore à l’occasion d’une controverse qui commença deux ans après. Philippe Marnix de Sainte-Aldegonde, grand champion du calvinisme dans les Pays-Bas, adressa par écrit au chancelier de Louvain une série de questions sur l’autorité de l’Eglise en matière de foi et sur l’eucharistie. Baius répondit, et la polémique se poursuivit ; il y eut, jusqu’à sa mort, un échange d’écrits qui forment la moitié du volume où ses œuvres ont été réunies. Quelle fut l’intention de Marnix en provoquant ce débat ? On a soupçonné qu’il rêvait une réunion des calvinistes et des catholiques, grâce à des concessions mutuelles dont le germe se serait trouvé dans les opuscules du docteur lovaniste. Baius n’en était pas là : il détendit avec talent la doctrine de l’Église sur les points soulevés, mais il inquiéta et indisposa les théologiens orthodoxes en prenant une position générale qui leur parut préjudiciable à l’autorité de l’Église et à la tradition considérée comme source partielle et règle de la foi. De là, en 1580, une attaque du cordelier François Horantius ; le professeur incriminé fit une réponse qui ne nous est pas parvenue. On releva également, dans une réponse à Marnix sur le sacrement de l’autel, un passage où Baius semblait admettre que dans saint Jean, vi, 54 : Nisi manducaverilis carnem Filii hominis, etc., il s’agissait d’une manducation non sacramentelle mais spirituelle. Baii opéra, Cologne, 1696, p. 281.

Cette accusation se trouve, avec huit autres, dans deux censures des universités de Salamanque et d’Alcala qu’on rapporte souvent à une époque ultérieure en les attribuant à l’intervention du jésuite François Tolet, devenu cardinal. (Il ne le fut qu’en 1593 !) En réalité, les propositions furent dénoncées à ces universités par

le cardinal de Tolède, grand inquisiteude la foi en Espagne ; en outre, il est question de ces censures dans une relation manuscrite en langue castillane qui lut composée avant la bulle Provisionis nostræ car on y sollicite l’intervention du pape Grégoire XIII, et on lui propose un plan de conduite qu’il agréa de fait et réalisa peu après par la publication de cette bulle. Relation del negocio de Michel Baij, y Juanes de Lovanio, y de lo que conviene para et remedio, pièce conservée à la Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. 4318. Parmi les neuf articles contenus dans les censures espagnoles, trois méritent d’être signalés. Dans le 7e, on note cette proposition, prêtée à Baius, qu’il y aurait dans le concile de Trente des assertions inconsidérées, qusedam inconsiderate posita. Dans le 8e, on incrimine l’attitude de l’inculpé : « Depuis la publication de la bulle du pape qui condamne les articles dénommés ailleurs, ce docteur n’a cessé de répandre, d’enseigner et de soutenir, dans ses leçons et dans les disputes, ses nouvelles doctrines et autres erreurs qui avaient été déjà prohibées. » Accusation qui pouvait s’appuyer, en partie du moins, sur ce fait que, dans les exercices et réunions académiques, le chancelier attaquait toujours les dogmes opposés à ses erreurs, sous prétexte d’argumenter contre les candidats. Enfin, le 6e article des censures de Salamanque et d’Alcala nous apprend incidemment que Baius avait adressé au successeur du pape saint Pie V une apologie de ses opinions : In apologia ad Gregorium Xlll pro suis condamnatis articulis habet… C’était sans doute l’ancienne apologie, retouchée et augmentée.

Toutes ces circonstances, jointes à l’état de trouble et de contusion que causaient en Belgique la continuation et l’aggravation des discordes politiques, contribuèrent à relever le courage et les espérances des partisans de Baius. Ils commencèrent à taire courir des bruits défavorables à la bulle Ex omnibus af/lictionibus ; bulle supposée, disaient les uns, car on n’en a jamais vu de copie ; bulle obtenue par obreption, disaient les autres, aussi sera-t-elle bientôt révoquée par le nouveau pape. Le roi d’Espagne, inquiet de voir cette affaire recommencer, fit solliciter Grégoire XIII, par le marquis de Castel-Bodrigo, son ambassadeur à Borne, de publier et de confirmer la décision de son prédécesseur. La faculté de théologie de Louvain adressa elle-même au saintsiège, par l’intermédiaire du P. Tolet, une supplique semblable. Bipalda, Adversus Baium et baianos, disp. I, sect. il, n. 14. Grégoire XIII se rendit à ces instances, et le 29 janvier 1579, il signa la bulle Provisionis nostrse. Elle contient, intégralement reproduites, les propositions condamnées par Pie V ; un court préambule et une clause finale donnent à l’acte sa signification : « Il est de notre prévoyance, particulièrement quand il s’agit de la foi catholique, de mettre les décisions émanées de nos prédécesseurs entre les mains des fidèles toutes les lois qu’ils en ont besoin. C’est pour cela que nous avons inséré dans ces présentes la teneur des lettres de Pie V, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, telles que nous les avons trouvées dans son Regeste. » Ces paroles, rapprochées des circonstances qui avaient précédé l’acte pontifical et de celles qui suivirent, montrent clairement que Grégoire XIII voulait mettre horsde doute et, en réalité, confirmer la condamnation précédemment portée.

Le P. François Tolet reçut la mission de porter la bulle à Louvain et de l’y publier au nom de Sa Sainteté. Arrivé dans l’Athènes brabançonne au mois de mars 1580, il eut d’abord avec Baius une conférence fructueuse, puis, dans une première réunion de la faculté, il produisit ses lettres de créance et exposa les motifs qui avaient porté le souverain pontife à publier la bulle de saint Pie V et à la confirmer de sa propre autorité. Dans une seconde réunion, tenue le 21 mars, le commissaire apostolique