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BENOIT XII


défavorable à la jouissance immédiate de la vision béatilique. Et telle est, en ell’et, l’interprétation qui se maintint parmi les Grecs ; on la retrouve, attaquée, d ans un écrit du dominicain Manuel Calécas, patriarcbe de Constantinople au milieu du xiv siècle. Contra Grxcorum errores, 1. IV, § De domiientibus, P. G., t. CLIT, col. 225 sq. Mais ni alors, ni plus tard à l’époque du concile de Florence, cette opinion ne peut s’appeler l’opinion commune de l’Église orientale. Muratori le démontre par un grand nombre de témoignages, dont beaucoup sont aussi formels que possible, op. cit., c. xxv.

Une preuve domine toutes les autres par sa netteté et sa portée, celle que les défenseurs du dogme défini par Benoit XII et inséré dans le décret d’union au concile de Florence, tirent des livres liturgiques de l’Église orientale. Preuve richement développée dans la Defensio quinque capitum qnse in sancta et œcumenica Florentina synodo continentur, P. G., t. eux, col. 1286 sq. Peu importe que cette apologie soit de l’évêque Joseph de Méthone (Joannes Plusiadenus), ibid., col. 1107, ou du patriarche de Constantinople Grégoire Mamma, comme semblerait l’indiquer un passage de son Apologia contra Ephesii Confessionem, P. G., t. clx, col. 187 sq. Dans la longue série de textes que présente cette apologie remarquable, ce n’est pas seulement la présence des âmes justes au ciel, ni la possession du royaume et de la couronne, ni les joies ineffables et la félicité suprême qui sont constamment affirmées ; c’est aussi la jouissance de la vision béatifique, exprimée dans des termes de ce genre : « Basile notre Père, souvenez-vous de nous, vous qui êtes avec la Trinité consubstantielle, .uapEUTOJî r ?j Tpiâot tïj Ô|aoouo’co>… Et maintenant, Antoine, le miroir est brisé’; vous voyez la sainte Trinité clairement, immédiatement, y.aâapw :, à^éaua ; … Maintenant, ô grand Paul, vous voyez le Christ non plus d’une manière obscure et comme dans un miroir ; mais vous le voyez face à face, et il vous dévoile dans toute sa plénitude la gloire de la divinité, re^etav <rot tyjv SôSjxvàTroy.a-’/.jutwv t ?, ç ÛEa>c7£ioç. » Et ainsi dans beaucoup d’autres textes.

Une remarque du même auteur servira tout à la fois de résumé aux pages qui précèdent et de réponse à la vague accusation portée contre l’Église latine dans la Lettre encyclique patriarcale et synodale de 1895. « Il y a un point qui en fait hésiter beaucoup et qui leur fait croire à un désaccord entre les docteurs : ils les entendent dire tantôt que les saints sont récompensés complètement, TE), £t’(oi ;, tantôt qu’ils ne le sont qu’incomplètement, où te).e : (o ;. Voici l’explication : ils disent que les saints sont récompensés complètement ou incomplètement, suivant qu’ils parlent des âmes seules ou de tout l’homme. Comment, en effet, tout l’homme pourrait-il être récompensé avant la commune résurrection ? Ainsi donc, à ne regarder que les âmes, les saints sont parfaitement récompensés ; mais à regarder le composé humain, ils nelesont qu’imparfaitement. Le corps, élément matériel, n’a pas sa récompense, tant qu’il n’est pas ressuscité !  ; lame, immortelle, a sa pleine récompense. Mais parce que l’homme se compose d’un corps et d’une âme, ayant pris part ensemble au combat, nous dirons que l’homme n’a pas reçu sa pleine récompense ; ce n’est qu’en prenant la partie pour le tout et en jugeant des choses d’après la partie la plus noble, que nous attribuons aux saints la parfaite récompense. » P. G., t. eux, col. 1298 sq. Cf. Pitzipios, L’Église orientale, in-8", Home, 1855, part. I, c. ix ; M. Malatakis, leponse à la lettre patriarcale et synodale de l’Église de Constantinople sur les divergences qui divisent les deux Églises, c. viii, Constantinople, 18 ( J0, p. 68 sq.

Conclusion.

Le dogme défini par Benoit XII

n’a donc pas seulement de solides racines dans la sainte Écriture ; il en a encore, et de profondes, dans la tra dition orthodoxe de l’Occident et de l’Orient. A lui seul, indépendamment de la sanction du suprême magistère, l’argument de tradition suflirait-il pour trancher le problème ? On peut se le demander, pour deux raisons. D’abord, les voix discordantes ou les témoignages ambigus ont presque toujours, avant la définition, empêché l’existence ou la certitude d’un consentement même moralement universel. Surtout, la conviction des docteurs, comme la croyance du peuple chrétien, s’appuie en dernière analyse sur les textes de la sainte Ecriture, dont l’ensemble constitue une preuve décisive : le Scienles quoniam dum sumus in corpore, peregrinamur a Domino ; le Desiderium Italiens dissolvi et esse cum Chris to, le Mori lucrum, le Videmus nunc per spéculum et in œnigmate, tuncautem facic ad facicm. Mais la tradition réagissait en quelque sorte sur la valeur probante de ces textes, en les interprétant pratiquement. Du moment qu’il admettait l’entrée immédiate des âmes saintes au ciel, Jean XXII ne pouvait échapper à la force combinée du double argument, qu’en recourant à la distinction entre la possession ou la vue du Christ homme, et celle du Christ Dieu. Mais cette distinction était sans fondement solide dans l’Écriture et dans la tradition, pour ne rien dire de plus. En elle-même, elle était illogique ; car les saints Livres, et après eux les Pères dans leurs écrits et l’Église dans sa liturgie, célébraient les saints reçus dans les tabernacles éternels, vivant heureux avec le Christ et en présence du Seigneur, vêtus de robes blanches et debout devant le trône de Dieu. Quelle inconséquence, que de leur accorder dans le Christ la vue de l’homme et de leur différer celle du Dieu, quand Jésus lui-même avait promis de faire venir les saints là où il serait, et de leur montrer la gloire dont son Père l’avait revêtu avant la création du monde, Joa., XIV, 3 ; xvii, 24 ! Quelle inconséquence, que de leur refuser au ciel ce qui a fait ici-bas l’objet principal de leur espérance, quand le ciel est proprement la demeure de Dieu, l’endroit où il manifeste sa gloire ! Benoît XII avait raison de partir de ce fait acquis déjà à la foi, que les âmes saintes sont au ciel avec le Christ, pour conclure à la vision immédiate de Dieu : Quod animée sanctorum, ex eo quod sunt cum Christ o in cselo, habent Dci visionem. Tract., I, c. XXI. La preuve, sans valeur dans l’ordre spéculatif, est, au contraire, efiicace dans l’ordre concret et historique.

Les raisons et les convenances théologiques étaient avec la croyance traditionnelle. Car la passion et la mort du Christ, en même temps qu’elles nous ont ouvert le ciel, nous ont permis de mériter ici-bas la vision béatifique ; et cette vision est un acte spirituel, qui ne requiert en aucune façon le concours d’un organe corporel. Si donc l’âme pure ou purifiée entre au ciel, pourquoi la vision béatifique lui serait-elle différée ? Dieu lui-même n’a-t-il pas fait aux hommes cette recommandation : Vous ne retiendrez pas jusqu’au lendemain le salaire du mercenaire, Lev., xix, 13 ? Peu importe ici l’axiome métaphysique : Aclioncs sunt suppositorum ; cet axiome prouve simplement que {’homme a mérité, comme principe d’action. Mais quand il s’agit de déterminer le sujet immédiat de la récompense, il faut considérer ce que l’homme a mérité et pour qui ; car il mérite et pour son âme et pour son corps, les biens spirituels pour son âme, les biens sensibles pour son corps. L’âme parvenue au ciel, au terme de l’épreuve, peut recevoir la part qui lui revient ; mais quand l’homme ressuscitera, cette part deviendra (’gaiement la sienne, puisque c’est l’homme qui alors jouira dans son âme, comme il jouira dans son corps. La possession immédiate de la vision béatifique n’enlève nullement sa raison d’être au jugement dernier ; il conserve, pour parler avec l’un des théologiens qui écrivirent sur la question à l’époque de la controverse, quatre effets propres : séparation générale des bons et des méchants ;