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BENOIT XII

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telligunt, P. L., t. cxcii, col. 1083 ; Pierre de Poitiers, Sent., 1. V, c. xxi, dit des âmes pleinement purifiées : Statim absque mora Dei vlsione fruuntur. P. L., t. ccxi, col. 1273. La croyance à la vision béatifique des âmes entrées au ciel était devenue si générale et si ferme, que dans une censure portée, le 13 janvier 1241, par l'évêque de Paris Guillaume, le chancelier de l’université et les maîtres de la faculté de théologie, on lit dans la réfutation du premier article : Firmiter credimus et asserimus, quod Deus in sua essentiel vel substantiel videbitur ab angelis et omnibus sanctis ET videtur ab animabus gloriftcatis. Denifie, Chartularium, t. I, p. 170. C'était l'époque des grands docteurs scolastiques du XIIIe siècle, Alexandre de Ilalés, Albert le Grand, saint Bonaventure et saint Thomas ; cette décision n’est qu’un écho de leur enseignement. Le docteur angélique se demande, Sum. theoi., Ia-IIæ, q. IV, a. 5 : Utrum ad bealitudinem honùnis requiratur corpus ; la réponse est négative en ce qui concerne la béatitude essentielle : Manifestum est quod animée sandorum separatx a corporibus ambulant fer speciem, Dei essentiam videntes, in quo est vera bcatitudo. Même doctrine dans Contra gentes, 1. IV, c. xci : Statim igitur cum anima sancta a corpore separatur, Deum par speciem videt ; quod est ultima beatitudo ; et dans Vpusc, II, ou Declaratio quorumdam articidorwm contra Grœcos, etc., c. ix : Non ergo sanctarum animarum differtur gloria, quse in Dei visione consistit, tisque ad diem judicii, quo corpora résument.

Il fallait citer ces textes, pour permettre au lecteur d’apprécier cette stupéfiante affirmation de M. Lea, €p. cit., t. iii, p. 711 : « Thomas d’Aquin discute cette question avec une abondance qui en montre à la lois

I importance et la difficulté ; mais son audace se borne à établir que les bienheureux, apri-s la résurrection, verront Dieu face à face. » Et, quand on lit ces autres lignes à la page suivante : « La dernière étape fut franchie peu après, semble-t-il, par le célèbre théologien dominicain, maître Dietrich de Fribourg, lequel écrivit un traité pour prouver que les bienheureux sont immédiatement admis à la vision béatifique, » on se demande dans quelles sources l’auteur a étudié la question ; depuis des siècles l'étape n'était plus à franchir. Le traité de maître Dietrich ou Théodoric n’avait pas pour objet de prouver l’existence de la vision béatifique, mais d’en discuter le mode : De principio ex parte nostri, quo immédiate beali uniuntur Deo in illa gloriosa et beati/ica visione, W. Preger, Vorarbeiten zu einer Geschichto der deutschen Mystik im 13 und 14 Jahrhundert, dans Zeilsclirift fur die historische Théologie, Gotha, 1869, p. 41 sq. La croyance à la vision béatifique immédiate, sans être dans les professions de foi comme

II doctrine de l’entrée au ciel ou de la descente en enfer, n’en était pas moins alors croyance commune dans l'Église latine ; par là s’expliquent rétonnement et l'émoi que causèrent les doutes soulevés par Jean XXII et ses partisans.

b) En Orient. — Les difficultés survenues au temps de Photius entre les deux grandes branches de la chrétienté ne portèrent pas sur la nature de la béatitude dont jouissent les âmes séparées, moins encore sur la question plus générale de l’entrée des âmes saintes v au ciel ou de la descente des âmes pécheresses en enfer. Pourtant, même sur ce dernier point, il y eut des ombres en Orient. Vers le milieu du Xe siècle, l'évêque syrien Moïse Bar* Kepha place les âmes des justes dans le paradis terrestre, en attendant le jour de la résurrection et du jugement. De paradiso, part. I, c. vii, x, xvin, P. G., t. exi, col. 491, 461, 500. Cette opinion eut des partisans, car elle est réfutée, au commencement du siècle suivant, par Philippe le Solitaire dans sa Dioptra, ou règle de la vérité chrétienne, 1. IV, c. XVII, P. G., t. cxxvii, col. 806 sq. Un écrit polémique, com posé à Constantinople dans le couvent des dominicains, en 1252, attribue aux Grecs cette erreur, entre plusieurs autres : Les âmes des justes n’entrent pas dans le paradis, et les âmes des réprouvés ne vont pas en enfer avant le jour du jugement. Tractatits contra errores Grœcorum, P. G., t. cxl, col. 511. Vers la même époque, saint Thomas d’Aquin signale la même erreur. Contra gentes, 1. IV, c. xci, mais en l’attribuant seulement à quelques Grecs, error quorumdam Grœcorum. Et c’est justice ; car il est impossible de voir là une erreur générale. La doctrine contraire était vraiment la doctrine commune en Orient comme en Occident ; les citations qui ont été faites du Menologium suffiraient à établir ce point, en dehors de tout autre témoignage. L’empereur Michel Paléologue n’eut point de difficulté au sujet de la clause ; Mox in cselum recipi, mox in infernum descendere. Ce point de doctrine se retrouve dans des documents officiels de l'Église grecque qui sont de date plus récente, comme la Con/essio // a, S. Gennadii, n. 12, et la Confessio orthodoxa, part. I, q. lxvii, lxviii. Monumenta fidei orientalis, p. 20, 137 sq.

Mais, quand il s’agit de déterminer la nature de la béatitude dont les âmes jouissent maintenant au ciel, ou celle des peines qu’elles souffrent maintenant en enter, il n’y a plus dans l'Église grecque la même fermeté ni la même unanimité. Des conceptions analogues à celle de Jean XXII apparaissent dans un certain nombre d’auteurs. Telle paraît être, en réalité, l’opinion visée dans le Tractalus contra errores Grœcorum, car ce dont on accuse proprement les Grecs, c’est d’affirmer « que les âmes des détunts ne jouissent pas des joies du paradis et ne sont soumises ni aux supplices de l’enfer ni au feu du purgatoire » avant le jour du jugement universel et le prononcé de la sentence finale. P. G., t. cxl, col. 487, à rapprocher de col. 470 sq. Les défenseurs de cette opinion s’appuyaient, dit-on dans cet écrit, sur l’autorité d’André de Césarée et sur la doctrine de saint Paul, Heb., xi, 39, ibid., col. 511. Une autre circonstance put contribuer au développement de cette erreur : en expliquant ce passage de saint Paul ou les paroles dites par Notre-Seigneur au bon larron, Luc, xxiii, 43, les commentateurs grecs du Xe et du XIe siècle s'étaient servis de termes ambigus. Ainsi, le non acceperunt repromissionem de l’apôtre est commenté en ces termes par Œcuménius : « Ils n’ont pas encore reçu les biens promis aux justes, tôiv èuïiyyeX[xsvcov aYa6û>v ; ils attendent la récompense, xâGovrai àyépatrroi. » P. G., t. cxix, col. 442 sq. Théophylacte dit : « Pour qu’ils ne nous parussent pas supérieurs, s’ils étaient couronnés les premiers, Dieu a réglé que les couronnes seraient distribuées en même temps, é'va ttSiti y.cupàv (opedî râiv CTScpàvo-v. » P. G., t. CXXV, col. 366. Euthymius distingue entre le paradis, que Jésus-Christ accorde au bon larron comme arrhes du royaume, et le royaume lui-même, qu’il fait consister dans la jouissance des biens ineffables que l'œil n’a point vus ; « car nul juste n’a encore reçu la promesse, tïjv ÈiraYyêAi’av, suivant la doctrine du grand Paul. » Comment, in Lucam, c. lxxxi, P. G., t. cxxix, col. 1092.

Ces textes, les deux premiers surtout, peuvent assurément s’entendre, non de la vision béatifique, mais de la récompense parfaite ou de la béatitude consommée ; car Œcuménius explique ainsi les mots : Ne sine nobis consummarentur : « C’est-à-dire pour qu’ils ne parvinssent pas avant nous au terme des biens, tô Trépaç twv àyaûtov, » et Théophylacte obt-erve avec saint Jean Chrysostome que l’apôtre n’a pas dit : ut non coronarentur, mais bien : ut non consummarentur ; ce qui suggère encore l’idée de terme, de perfectionnement, xb ôè-réXeiov tôte knolr^oy-zoa. Voir la dissertation de Bernard de Bubeis sur Théophylacte, c. cxxi, n. 83, P. G., t. cxxii, col. 99 sq. Malgré tout, l’ambiguité des termes pouvait devenir le principe ou l’occasion d’une interprétation