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BAIUS


que si nous n’avions point encore donné notre décret sur cette affaire, il faudrait le donner, comme en effet nous le faisons de nouveau. Ainsi nous vous imposons, et à tous les autres défenseurs desdites propositions, un silence perpétuel avec défense de les avancer ou de les soutenir. »

Le cardinal de Granvelle, qui était toujours à Rome, envoya le bref à son vicaire général pour qu’il le transmit à Baius ; il ajoutait que ce docteur devait abjurer les erreurs condamnées et recevoir l’absolution des censures encourues. Cette dernière exigence venait sans doute de ce que, malgré la prohibition portée, l’auteur des propositions avait continué, en partie du moins, à les soutenir. Morillon se rendait bien compte des difficultés qu’il rencontrerait ; il écrivait le 4 juin à son archevêque au sujet du prévenu : « Tout le mal est que, comme jugent par de la les savants de lui, qu’il n’est d’érudition fondée en scholastique ni de bon jugement, et il y a longtemps que je m’aperçois de ce dernier point. » La rencontre eut lieu le 20 du même mois, et la négociation fut, en effet, difficile, surtout quand Morillon parla d’une rétractation formelle, comme condition préalable à l’absolution des censures. Baius « se leva et dit qu’il ne le pouvait faire, s’il n’avait copie de la bulle, pour être par icelle dit, que aucunes propositions seraient soutenables in rigore et proprio verborurn sensu » . Le grand-vicaire n’entra point dans la discussion de ce moyen de défense ; il se contenta d’alléguer son mandat et de rappeler le théologien catholique à l’obéissance due au saint-siège. Secondé par le curé de Sainte-Gudule, il réussit enfin à taire abjurer toutes les propositions contenues dans la bulle, suivant le décret, censure et intention de Sa Sainteté. L’acte de cette soumission fut dressé et envoyé à Rome, mais sans porter la signature de Baius, Morillon n’ayant pas osé l’exiger de ce docteur dans l’état de trouble où il le voyait. Quelques mois plus tard, le P. Julien du Chesne, provincial des cordeliers, prit des mesures énergiques pour bannir définitivement de son ordre les nouveautés. Par un décret, rendu à Nivelle le 1 er septembre, il enjoignit aux gardiens d’assembler leurs communautés, de lire les propositions et les censures dont elles étaient flétries, de les faire abjurer à haute voix par chaque religieux, et d’obliger ceux-ci à promettre que dans l’espace de vingt-quatre heures ils livreraient tous les écrits de Baius qu’ils auraient chez eux ou ailleurs et qu’ils ne diraient désormais rien en faveur des articles censurés ou de ceux qui les avaient avancés. Mesures qui lurent suivies d’un heureux succès.

A Louvain, la paix n’était pas définitive. Josse de Ravestein mourut le 7 février 1570 ; Baius devint doyen de la faculté, n’ayant plus guère pour collègues que d’anciens élèves. Mais il avait aussi des adversaires qui ne se faisaient pas faute de l’attaquer, soit dans leurs prédications de carême, comme le P. Godefroy de Liège, soit dans leurs thèses de classe, comme Cunerus Pétri. Ce fut ce dernier docteur qui, fait évêque de Leeuwarden, dans la Frise, publia l’année suivante (1571) un commentaire sur les propositions condamnées, pour montrer que toutes avaient été légitimement censurées. Bellarmin avait aussi commencé à réfuter la doctrine de Baius, mais avec beaucoup de ménagements. Devenu, après la fin de ses études et son ordination en 1570, professeur de théologie au collège des jésuites à Louvain, le grand controversiste profitait des occasions qui se présentaient dans son cours, où il expliquait la Somme de saint Thomas, pour signaler et relever l’erreur ; tout en suivant Baius sur son propre terrain, la doctrine des Pères et de saint Augustin en particulier, il ne le nommait jamais et ne le mettait pas directement en cause. Ces détails sont donnés par un manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles, sous la cote 330 ! I et intitulé Uisquisilio historica de cerliludine et slabili tate censuras apostohese trium snmmorum Pontificum PU V, Gregorii XIII et Urbani VIII, adversus assertiones theologicas Michælis Bay ; ils sont pleinement confirmés par l’autobiographie de Bellarmin, publiée par Dollinger, Die Sclbstbiographie des Cardinals Bellarmins, in-8°, Bonn, 1887, p. 33. Ils réduisent à leur juste valeur certains récits fantaisistes, empruntés à Melchior Leydecker par dom Gerbcon et copiés ensuite par d’autres auteurs, protestants ou même catholiques.

Baius s’était soumis extérieurement, mais son cœur restait ulcéré et son esprit Drévenu. Il y avait en lui lutte intime et douloureuse entre le respect pour l’autorité du saint-siège, dont il désirait ne pas se départir, et l’attachement à ses propres idées qui, dans son jugement, s’identifiaient avec la véritable doctrine de saint Augustin. De là, des incertitudes et des variations qui donnaient prise aux défiances et à de nouvelles accusations. Dans les premiers mois de 1570, les évêques d’Ypres, de Bois-le-Duc et de Gand l’engagèrent à s’expliquer publiquement. Il le fit en deux séances, les 17 et 19 avril, et voici comment il débuta : « Je vais vous déclarer ce que j’ai jusqu’ici tenu caché. Vous savez que, depuis environ deux ans, il est venu de Rome une bulle qui condamne un certain nombre d’articles, dont quelques-uns sont faux et justement censurés, d’autres mal entendus ou mal extraits, d’autres enfin seulement odieux, parce qu’ils ne sont pas exprimés dans le langage de l’école, bien que conçus dans des termes dont les Pères se sont parfois servis. » La suite n’était que le développement de ces idées ; en particulier, Baius déclarait qu’il y avait environ quarante des articles qui lui étaient étrangers. Explicatio articulorum aPio V damnatorum, ab ipsoMicliæle Baio Lovanii inscltolis tlieotogorum facla. Voir, pour la traduction de ce document, [’Histoire ecclésiastique de Fleury, Paris, 1779, t. xxxv, p. 14 sq.

Par cette déclaration, le docteur de Louvain revenait à la position qu’il avait prise dans les apologies adressées au pape saint Pie V et au cardinal Siinonella. Saisi d’une plainte formelle, le duc d’Albe, gouverneur des Pays-Bas, jugea que les ménagements n’étaient plus de saison ; il écrivit aux évêques de Flandre, réunis à Malines en concile provincial, et leur enjoignit de faire publier authentiquement à Louvain la bulle de Pie V et d’obliger les docteurs et les professeurs de la faculté de théologie à y souscrire. Les évêques députèrent Morillon pour l’exécution de ces ordres. Arrivé à Louvain, le prévôt notifia sa commission aux docteurs assemblés le

16 novembre et lit une seconde fois lire la bulle. Tous les docteurs protestèrent de leur soumission ; acte en fut dressé par le greffier. Toutefois le délégué n’obtint pas alors la souscription désirée. L’année suivante, sur de nouvelles instances du pape et du duc d’Albe, les docteurs, réunis en assemblée plénière, décidèrent, le

17 avril, que les soixante-seize propositions seraient tenues pour condamnées, que tous les membres de la faculté s’abstiendraient de les enseigner et que tous les livres où elles se trouveraient soutenues seraient ôtés aux étudiants. Les livres de Jean Hessels furent expurgés, notamment son Catéchisme, publié à cette époque par Henri Gravius ; ce qui déplut fort à Baius. Voir Berti, Augustinianuni systema, diss. I, c. I, S "’i op. cit., t. viii, p. 335. Enfin, sur une nouvelle injonction du gouverneur des Pays-Bas, les docteurs se rassemblèrent de nouveau le 29 août et dressèrent un acte des plus formels pour assurer la soumission demandée ; Bains devait attester qu’il recevait avec respect la bulle de Pie V, qu’il la regardait connue dûment et suffisamment publiée, qu’il était résolu de s’y soumettre sans aucune restriction, et que si Sa Sainteté souhaitait de lui quelque chose de plus, il obéirait au premier ordre. Quatre docteurs furent députés pour porter cet acte à Baius, qui l’approuva et de lui-même y souscrivit.