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BENOIT XII

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vraiment pour elle le rassasiement, l’entrée dans la joie du Seigneur, les noces royales et le grand festin, le paradis céleste promis au vainqueur. Ps. xvi, 15 ; Matth., xxv, 10, 21 ; Luc, xiv, 16 ; Apoc, ii, 7.

Mais comment concilier ces conclusions avec les textes de la sainte Écriture où la vie éternelle, le royaume du ciel, la couronne de gloire, la réalisation des promesses, la vision même de Dieu apparaissent en connexion avec le jugement dernier ? — Première réponse : Il faudrait d’abord prouver que, dans les témoignages allégués ou en conséquence de ces témoignages, la relation de coexistence entre le jugement dernier et tous ces autres objets doit s’entendre dans un sens exclusif ? Sans doute, il n’y a pas là de distinction entre jugement et jugement, entre récompense et récompense, mais une distinction de ce genre n’est nullement nécessaire ; le jugement particulier et le jugement général ne sont, moralement parlant, qu’un seul jugement total, dont le second est au premier comme une promulgation et une consommation. Mais ce second jugement, parce que public et universel, est pour ainsi dire le jugement officiel et définitif ; alors cessera, non seulement pour tel ou tel homme, mais pour tout le genre humain, cette vie d'épreuve, ce stade du mérite et du démérite, où les bons restent confondus avec les mauvais ; alors se fera l’entière et suprême séparation, suivie pour tous sans exception de la vie ou de la mort éternelle. Les paraboles de la zizanie, des poissons jetés pèle-mèle dans le filet, et autres semblables, ne peuvent pas avoir d’autre sens pour quiconque admet que le sort des âmes est fixé, aussitôt après la mort, entre ces deux termes définitifs : le ciel ou l’enfer. — Deuxième réponse : La récompense ou la couronne qui nous a été promise n’est pas quelque chose de simple et d’indivisible ; elle renferme deux parts : celle de l'âme et celle du corps. A ce titre, il est vrai de dire que notre récompense se rapporte au jugement dernier ; en ce jour seulement le salaire sera complètement soldé. Bien plus, parce que nous nous composons, comme personnes humaines, d’un corps et d’une âme, alors seulement nous serons couronnés ou châtiés ; alors seulement nous entendrons ces paroles : Venite benedicti ; ou ces autres : Iïecedite a me maledicti ; alors seulement nous entrerons dans la joie de Notre-Seigneur ; ou nous irons à la mort éternelle, à l’enter où il y aura des pleurs et des grincements de dents. C’est là, et c’est là uniquement ce que signifient la grande scène finale du jugement et les textes similaires. Aussi voyons-nous par le manuscrit de Cambridge, fol. 95 b, que les défenseurs de la vision béatifique répondirent d’abord à Jean XXII : que prouvent tous ces textes, si ce n’est que l’homme tout entier ne verra pas Dieu avant le jour du jugement ? Primum est, quod dieunt euni non probasse per auctoritates suas, nisi quod tolus homo non videbit deitatem ante diern judicii.

Les textes spéciaux, que les partisans du délai de la vision objectaient, se résolvent par les mêmes principes. Quand saint Paul dit des saints de l’ancienne loi qu’ils sont morts sans avoir revu la récompense promise, Deo pro nobis rnelius aliijuid providente, ut non sine nobis consummarentur, Heb., xi, 40, la réponse commune et la meilleure consiste à mettre l’accent sur le mot consummarentur ; la béatitude complète qjj consommée qui comprend, outre la vision béatifique propre à l'âme, la gloire du corps et ses conséquences, n’aura lieu, en effet, pour tous qu’après la résurrection générale, et en même temps. I Cor., XV, 23 ; I Thess., IV, ii sq. Aux arguments tirés de la vision de l’Apocalypse, VI, 9sq. et des passages semblables, Benoit XII ne craignit pas de répondre dans son grand traité, 1. IV, c. x : Levia sunt, cum verba, prophetica quidem, stjmbolica sint, ex quibus nihil poteat elici. En effet, de ce que saint Jean nous montre les aines des martyrs au ciel, placées

sous un autel, et invitées à patienter encore jusqu'à ce que le nombre des élus soit au complet, il ne s’ensuit pas que l’objet de leurs désirs soit la vision béatifique ; il s’agit seulement de la manifestation de la justice divine et de la consommation du royaume de Dieu qui se fera au jour du grand jugement. Dans les mots : et daim sunt Mis singulse stolse albse, beaucoup de commentateurs voient même le symbole de la gloire essentielle dont les âmes des bienheureux jouissent maintenant au ciel, en attendant la résurrection de leurs corps. Voir, par exemple, S. Grégoire, Dialogi, 1. IV, c. xxv, P. L., t. lxxvii, col. 357 ; Bossuet, L’Apocalypse, c. vi, explication des versets 9, 10, 11, in-8°, Paris, 1689, p. 112 sq.

Preuves de tradition.

Ici, comme pour la

sainte Écriture, la distinction est à faire entre la doctrine générale qui place au ciel les âmes saintes, et la doctrine plus précise qui leur attribue la vision béatifique. On ne trouve pas dès le début la même clarté ni la même richesse de documents sur ce double objet ; comme dans beaucoup d’autres dogmes, il y a eu passage et progrès du général au particulier, de l’implicite à l’explicite. Aussi distinguerons-nous trois périodes : la période anténicéenne ; la période postnicéenne jusqu’au schisme grec ; la période postérieure au schisme.

1. Période anténicéenne.

Dans son ouvrage déjà cité sur l’histoire de l’eschatologie chrétienne avant le concile de Nicée, le D r At/.berger fait et développe l’observation suivante, p. 84 sq. : Dans son ensemble, l’eschatologie chrétienne se présente à nous sous la forme d’une prophétie mystérieuse ; elle ne peut donc nous être connue qu'à la manière d’une prophétie, et c’est de cette manière seulement que, surtout dans l'époque qui suivit l'âge apostolique, on l’a conçue et l’on s’en est servi. De quelque côté que l’on regardât l’avenir, on voyait, par de la le salut des individus, le salut de l’humanité. Sous cet angle la distinction chronologique s’efface ; on ne saisit plus ni les distances ni les espaces qui séparent les phases diverses de l'économie divine, mais l’esprit s’arrête uniquement sur le lien logique et abstrait des états individuels, sur leur valeur idéale et sur leur signification dans la marche de la créature vers son but final. Pour qui conçoit les choses de cette façon il importe peu, évidemment, de savoir si le bonheur des justes a un rapport plus ou moins étroit avec la première et la seconde venue du Christ ; celui-là ne s’arrêtera point davantage à décrire l'état des âmes entre ces deux venues. Bemarque utile, et dont l’auteur se sert ensuite pour résoudre plusieurs questions, pour expliquer, par exemple, comment les Pères postapostoliques ont pu, sans contradiction, faire dépendre la béatitude tantôt de la première et tantôt de la seconde venue du Christ. Cette solution, toutefois, ne peut être universelle ; à elle seule, l’existence du millénarisme nous avertit que, dans cette première période, on ne peut pas chercher un consentement unanime des Pères, même sur la question générale de l’entrée immédiate au ciel. Nulle nécessité de faire des prodiges d’interprétation pour plier à cette doctrine des textes comme ceux de Justin, d’Irénée, d’Hippolyte, de Tertullien, de Victorin, de Lactance ou d’Aphraate. En reculant la béatitude jusqu’après la résurrection des corps, ces écrivains étaient dans la logique de leur erreur, que ce soit l’erreur millénariste ou celle du sommeil des âmes ou de leur réclusion dans l’Hadès. Voir Diss., III, de Irensei doctrina, a. 10, P. G., t. vii, col. 379 sq. ; Prssfatio in Aphraaten, c. iii, n. 15, Pair, syr., t. I, p. i.vi sq.

A l’opposé se présente une conception tout autre, de filiation vraiment évangélique et apostolique, et de plus réellement indépendante en elle-même des idées purement subjectives que les premières générations chrétiennes purent avoir sur l’apparition prochaine de l’An-