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BENOIT XII


ou habitent-ils tous jusqu’au jugement dernier les régions aériennes ? De ces questions la première seule a été définie par Benoit XII, sans toutefois que le châtiment subi par les âmes damnées soit exprimé autrement que par le terme générique de peines inlernales, ad inferna descendunt ubi pœnis infernalibus cruciantur. Enfin, comme par une sorte de réplique à l’une des principales objections fuites contre la récompense ou la punition immédiate des âmes, la constitution Benediclus Deus maintenait, dans une dernière phrase, la comparution finale de tous les hommes ressuscites devant le tribunal du Christ, « pour rendre compte de leurs actes personnels, afin que chacun soit récompensé en son corps suivant qu’il aura lait le bien ou le mal. » La définition du 29 janvier 1336 ne rencontra pas de résistance dans l'Église latine. « Le dogme fut reçu si complètement, constate M. Lea, op. cit., t. iii, p. 717, qu’il figura dans les formulaires de l’Inquisition, au nombre des points sur lesquels on interrogeait les gens soupçonnés d’hérésie. » Voir, entre autres, Eymeric, Dircctorium inquisitorum, part. II, q. viii, Rome, 1685, p. 267. Il n’en lut pas de même pour l'Église orientale. Dans le Libellus ad Armenos, dont il sera question à l’article suivant, figurent deux accusations relatives à ce point de doctrine. On signale des erreurs introduites, vers la même époque, par Nicéphore Calliste dans les livres liturgiques de l'Église grecque, celle-ci, par exemple, dans le Synaxarium, Venise, 1870, p. 18 : « Il faut savoir que les âmes des justes habitent maintenant dans des endroits déterminés, et de même celles des pécheurs, mais séparément : les premières, dans la joie de l’espérance ; les autres, dans la tristesse que cause l’attente des tourments. Car les saints n’ont pas encore reçu les biens promis, suivant la parole de l’Apôtre : Deo pro nobis melius aliquid providente, ut non sine nobis consummarentur. Heb., xi, 40. » Nilles, Kalendarium manuale utriusque Ecclesiæ, 2e édit., Inspruck, 1897, t. il, p. 23. Même doctrine dans l’archevêque Siméon de Thessalonique, mort en 1426 : Dialog. adversus omnes heereses, c. xxiii ; Responsiones ad nonnulla queesita episcopi, q. iv, P. G., t. clv, col. 116 sq., . Il sq. Par là s’explique que la question ait été traitée au concile de Florence, dans les discussions qui eurent lieu entre les évêques et les théologiens des deux Églises. Labbe-Coleti, Sacrosancta concilia, Venise, 1732, t. xvill, p. 26 sq. L’accord se fit cependant, et le décret d’union du 6 juillet 1439 reproduit la définition de Benoit XII, en ajoutant au sujet des âmes bienheureuses « qu’elles voient clairement le Dieu un et trine, tel qu’il est, mais d’une manière plus ou moins parfaite selon la diversité de leurs mérites » . Denzinger, Enchiridiun, n. 588. Après la nouvelle rupture, Marc d'Éphèse revint aux vues de Nicéphore Calliste, comme le prouve la protession de foi que réiute Grégoire Mamma, Apologiacontra Ephesii confessïonem, P. G., t.CLX, col. 186. C’est aussi ce que paraissent affirmer ou supposer la seconde contession de Gennade et la confession dite orthodoxe ; mais la confession de Dosithée, au synode de Jérusalem de 1672, attribue aux âmes qui sont au ciel la claire vision de la Trinité. Kimmel, Monunwnta fidei Ecclesiee orientalis, in-8°, Iéna, 1850, p. 20, 129 sq., 435. Au début du xixe siècle, un théologien russe, plus tard évêque, l’archimandrite Sylvestre, distingue nettement entre la béatitude réservée à toute la personne humaine, et celle qui est due à l'âme séparée, et qui comprend la vision intuitive. Compendium theologiee classicum… doctrines orthodoxes consonum, c. lvii, 2e édit., Moscou, 1805, p. 576 sq. Par là, il est facile de juger à quelle tradition s’est rattaché le patriarche de Constantinople, ou quelle équivoque il s’est permise, quand, le 12 octobre 1895, il a compté parmi les innovations latines « la doctrine de l’entière récompense des justes avant la commune résurrection et le dernier

jugement » . Lettre encyclique patriarcale et synodale, trad. franc., Constantinople, 1895, p. 10.

En dehors de l'Église grecque, le dogme défini par Benoit XII a été attaqué par les chefs du protestantisme, Luther, et surtout Calvin qui montre les âmes fidèles « recueillies en repos, où elles attendent avec joye la truition de la gloire promise » , tandis que les réprouvés « sont enchaînez comme mal-faicteurs, jusques à ce qu’ils soyent trainez à la punition qui leur est apprestée » . Institution de la religion chrétienne, 1. III, c. xxv, n. 6, Genève, 1562, p. 625. A la suite de leurs chefs, beaucoup de luthériens et de calvinistes ont partagé plus ou moins, et sous des formes très diverses, les mêmes idées. Voir L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie inrterhalb der vornicanischen Zeit, in-8°, Frihourg-en-Brisgau, 1896, p. 79, note 2. Qu’il suffise, pour exemple, de citer l’ouvrage du docteur anglican Thomas Burnet : Traclatus de statu mortuorum etresurgenlium, in-8°, Londres, 1726. Auc. iii, cet auteur ne prétend pas seulement que la doctrine de la vision béatifique immédiate n’est conforme ni aux saintes Écritures ni à la foi des premiers chrétiens ; il rejette aussi le dogme de l’entrée des âmes au ciel ou de leur descente en enfer avant le jour du jugement ; toutes vont si ; "A6r)v, lieu d’attente analogue aux limbes, où la conscience de leur bon ou de leur mauvais état fait goûter aux âmes un avant-goùt soit de leur béatitude, soit de leur damnation future.

Ainsi comprise, la controverse dépasse de beaucoup l’objet propre et spécifique de la constitution Benedictus Deus. Elle a pourtant amené un résultat dont il faut tenir compte ici, celui d'élargir le champ de bataille. Outre les textes scripturaires et les autorités patristiques assez restreintes que Jean XXII’et ses partisans invoquaient, on a dès lors opposé au dogme catholique deux catégories de témoignages. D’abord, ceux des Pères anténicéens qui diffèrent jusqu’après la résurrection soit le jugement des âmes, soit leur entrée au ciel, soit leur récompense. S. Justin, Dialog. cum Tryjihone, 5, 80, P. G., t. vi, col. 488, 666 ; cf. Pseudo-Justin, Queestiones et responsiones ad orlhodoxos, lx, lxxv, lxxvi, ibid., col. 1302, 1316 sq. ; S. Irénée, Cont. Jtser., 1. V, c. xxxi, n. 2, P. G., t. vii, col. 1209 sq. ; Tertullien, Adversus Marcioneni, 1. IV, c. xxxiv ; De anima, c. lv ; De resurrectione carnis, c. xliii, P. L., t. ii, col. 444, 742 sq., 856 ; S. Hippolyte, De causa universi, P. G., t. x, col. 796 sq. ; Origène, Homil., vii, in Levit., n. 2 : nondum enim receperunt leetitiam suani, ne apostoli quideni, P. G., t. XII, col. 480 ; S. Victorin de Pettau, Scltolia in Apocalypsim, vi, 9, P. L., t. v, col. 329 sq. ; Lactance, Divin, institut., 1. VII, c. xxi, P. L., t. vi, col. 802 sq. ; S. Aphraate, Démonstrations, vi, n. 14, 18 ; viii, n. 20 sq., théorie du sommeil des âmes, Palrol. syriaca de R. Grafiin, Paris, 1894, t. i, col. 294, 307 sq., 398, 402 sq.

Viennent ensuite les textes des grands docteurs de l'Église qui paraissent incompatibles avec l’hypothèse de la vision béatifique accordée dès maintenant à toutes les âmes justes. Chez les latins, en dehors des saints Augustin et Bernard, déjà cités : S. Hilaire, Tract, in Ps. cxx, n. 16 : in sinu intérim Abrahse collocali, etc. ; in Ps. cxxxviii, n. 22 : humanee ista lex necessitatis est, ut consepultis corporibus ad inferos animée descendant, P. L., t. ix, col. 660, 804 ; S. Ambroise, De bono mortis, c. x, n. 46, 47 : dum exspectatur plenitudo temporis, exspectant animée remunerationem débitant ; c. xi, n. 48 : incipiunt intelligere requiem suant et futuram sui gloriam preeridere, P. L., t. xiv, col. 560 sq. ; cf. DeCain et Abel, 1. II, c. il, n. 9, ibid., col. 344. — Chez les grecs, en plus de saint Jean Damascène : S. Cyrille de Jérusalem, Cat., xviii, n. 4, P. G-, t. xxxiii, col. 1022 ; S. Jean Chrysostome, Homil., xxvili, in epist. ad Heb., n. 1 : exspectantes (Abraham