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BAIUS


saint Pie V exprime la douleur dont il a été saisi « en voyant plusieurs personnes d’une probité et d’une capacité d’ailleurs reconnues, répandre de vive voix ou par écrit diverses opinions très dangereuses et très scandaleuses » .

Enfin la date de la bulle suggère à dom Thuillier une réflexion que je crois utile de lui emprunter : « Tel est, dit-il, le système condamné, ce qui est bien digne de remarque, vingt et un ans avant que le jésuite Louis Molina rendit public son livre de la Concorde où il établit le système qu’on appelle moliniste, système que lui-même donnait comme nouveau ; vingt ans avant que Lessius, autre jésuite, eût été censuré par les universités de Louvain et de Douai ; dix-neuf ans avant que Jansénius vînt au monde, et soixante-treize ans avant que YAitgustinus de ce prélat sortit de dessous la presse, ouvrage qui n’est, à proprement parler, qu’un commentaire de ceux de Baius. La conséquence qui sort naturellement de ces différents calculs et qui sautera aux yeux de tout homme équitable, c’est que l’on ne peut dire, sans choquer également le bon sens et la vérité, que lorsque le pape et les évêques ont condamné la doctrine de Baius et de Jansénius, ils ne l’ont fait que pour appuyer les opinions de Molina et par la sollicitation de ses partisans. Ce ridicule paradoxe a cependant été débité et l’est encore tous les jours par les défenseurs de Jansénius. » Cette réllexion d’un auteur du xviif siècle a-t-elle perdu tout son à propos ?Qu’on lise, sur la question du baianisme, les récentes histoires du dogme faites par des auteurs protestants.

IV. Apologies de Baius.

Le cardinal de Granyelle, archevêque de Malines, avait été chargé par le pape saint Pie V de faire exécuter la bulle ; il transmit ses pouvoirs à son vicaire général, Maximilien Morillon, prévôt de l’église collégiale d’Aire en Artois et depuis évêque de Tournai. Le 13 novembre 1567, il lui adressa deux lettres ; dans l’une, destinée à passer sous les yeux de Baius, il résumait toute la suite de l’affaire et racontait ce qui s’était fait à Borne, en insistant surtout sur les preuves de bienveillance données par le souverain pontife aux théologiens atteints par la censure ; dans l’autre lettre, il recommandait lai-même à son mandataire d’avoir les plus grands ménagements à l’égard de Baius qui, depuis la mort de Hessels, survenue en novembre 1566, restait seul en cause : « Que l’on y procède, écrivait-il en propres termes, avec charité chrétienne pour rhabiller doucement la faute qu’il y a. » Morillon se conforma de tout point aux instructions du cardinal. Le 29 décembre, il réunit à Louvain les docteurs qui composaient l’étroite faculté, c’est-à-dire le chancelier de l’université et les huit professeurs de théologie, et leur donna lecture de la bulle Ex omnibus affliclionibus. Tous protestèrent de leur soumission à l’acte pontifical, et la séance se termina par un acte signé des docteurs, y compris Baius, où ils attestaient que le vicaire général de Malines leur avait notifié la bulle. Peu après, Morillon obtint le même résultat auprès des cordeliers ; dans un chapitre, réuni à Nivelle pat un nouveau provincial, les gardiens et les députés des différentes maisons abjurèrent les doctrines de Baius.

Le calme ne revint pas complètement. Sur la demande des docteurs de Louvain, le vicaire général de Malines leur avait accordé un extrait des propositions censurées, mais en leur recommandant de n’en rien laisser transpirer au dehors. Pour diverses raisons, le secret fut mal gardé ; grand sujet de chagrin pour Baius qui, dans une nouvelle entrevue avec le prévôt Morillon, au mois de mai suivant, donna libre cours à ses plaintes : on l’avait condamné sans l’avoir entendu ; on avait mal extrait les articles, on lui en imputait qui n’étaient pas les siens ; on avait décidé des points qui ne devaient pas être tranchés, au moins si légèrement, puisqu’ils étaient aupa ravant controversés ; on ne tenait pas compte de la doctrine de saint Augustin et de saint Prosper. Sans entrer dans une discussion de fond, le grand-vicaire ramena peu à peu le docteur ulcéré aux sentiments de filiale obéissance qu’il avait toujours professés à l’égard du souverain pontife ; mais il n’osa pas parler, comme il comptait le faire, de rétractation formelle, et il partit sans être pleinement rassuré sur l’avenir.

En effet, le 8 janvier 1569, Baius adressa au pape une apologie dont le titre seul indique suffisamment son état d’esprit : Sententise per sanctissimum Dominum nostruni Pium V, Rom se, calendis octobris anni 1561, damnatse : adjecta explicationc, tum earum, quse non tantum verbis, sed etiam in alio sensu expresses sunt, quam in Us libellis habentur, ex quibus significantur ecccerptse : tum quse ad alium sensum torquentur quam habent libelli ; tum etiam quse forte cuipiam non immerito videantur non satis fuisse discussse. Dans cet écrit, le docteur de Louvain reconnaissait comme siennes un certain nombre de propositions, une trentaine environ, mais en prétendant qu’elles contenaient la pure doctrine de l’Ecriture, des saints Pères, et surtout de saint Augustin. Une lettre accompagnait l’apologie ; elle est assez caractéristique pour mériter d’être rapportée : « Il y a déjà un an, disait-il, qu’on nous a intimé un décret de Votre Sainteté en date du premier jour d’octobre de l’an 1567, et muni du sceau de plomb. Ce décret proscrit soixante-seize propositions, et nous n’avons pu encore en obtenir une copie ni ici, ni à Borne : cependant les articles censurés sont déjà répandus dans tous les Pays-Bas. Nous craignons que l’honneur de Voire Sainteté n’en souffre, non seulement à cause des calomnies manifestes que cette censure contient, mais encore parce que le langage et les sentiments des saints Pères y paraissent flétris. Elle sera un sujet de scandale pour un grand nombre de docteurs de nos contrées que la nécessité de combattre les hérétiques a infiniment plus attachés aux expressions des saintes Lettres et des Pères, qu’à celle des scolastiques. Ils se persuaderont peut-être qu’en faveur de cens qui sont accoutumés à penser et à parler comme les scolastiques, on a proscrit des sentiments contenus dans les écrits des saints Pères. Ainsi nous avons jugé à propos d’envoyer à Votre Sainteté ces propositions, et de lui exposer le sujet de nos alarmes, soumettant le tout à votre jugement ; afin que, les ayant mûrement pesés, vous prononciez si nous devons regarder la censure de ces propositions comm’e légitime et suffisamment réfléchie, ou comme subreptice et arrachée par les importunités de ceux qui persécutent les gens de bien, plutôt qu’obtenue pour de justes raisons. »

Baius ne se contenta pas de cette apologie ; il en composa une autre, beaucoup plus courte, mais conçue dans le même esprit ; il y apostille toutes les propositions censurées et les proclame ou supposées, ou mal compilées, - ou injustement condamnées, puisqu’elles sont des saints Pères. Le 16 mars, il adressa ce nouvel écrit au cardinal Louis Simonetta, dont il avait fait la connaissance à Trente. Dans une lettre, tenantlieu de préface, il racontait ses antécédents, la méthode à laquelle il s’était attaché et les raisons qui l’avaient guidé. Quand ce second envoi parvint à Rome, le destinataire venait de mourir ; l’apologie et la lettre furent remises à Sa Sainteté en personne. Ces démarches de Baius avaient fait relever la tête à ses partisans. Morillon écrivait au cardinal de Granvelle, le 20 mars : « Aucuns cordeliers se pourvantent que notre saint père le pape serait assez incliné de rétracter les censures données contre le livret de Me Michiel le Bay. » L’illusion ne fut pas de longue durée ; car, le 13 mai, saint Pie V fit adresser au théologien de Louvain un bref où, après avoir dit que le premier jugement n’avait pas été rendu sans mûre délibération, il parlait du nouvel examen qu’il avait fait faire et concluait : « Tout considéré avec maturité, nous avons jugé