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BENOIT XII


allemand Ulrich observait-il judicieusement que, si le pape eût voulu définir la question, ou donner son sentiment pour une vérité dogmatique, il n’aurait point tissu ses discours de citations, de syllogismes et de subtilités scolastiques. Raynaldi, op. cit., an. 1331, n. 45, t. v, p. 524. Rien de plus propre à confirmer cette vérité et tout à la fois a préciser la position prise par Jean XXII, qu’une page du manuscrit de Cambridge, fol. 95 b, où le débat est brièvement résumé. Voici les assertions qu’on reprochait au pape d’avoir énoncées, lsla sunt aux opportun lu r domino : 1° Avant le jour du jugement, les âmes des saints voient seulement l’humanité du Christ, et c’est en elle seule que se trouve leur repos. 2° Avant le jour du jugement, les âmes saintes ne voient Dieu que d’une façon abstractive, comme dans un miroir, visio spéculons. 3° L’objet propre de cette vision n’est pas la divinité même, mais son image. 4° Avant le jour du jugement, l'àme n’est ni récompensée ni punie, car ce n’est pas elle, mais la personne qui a mérité. 5° La béatitude céleste ne peut pas recevoir d’accroissement après le jugement dernier, comme si d’abord moins parfaite dans l'âme séparée, elle devenait plus parfaite dans le composé bumain. 6° Dans cette prière de la messe : Mémento etiam, Domine, famulorum famularunique tuarum, etc., l'Église prie pour la délivrance des âmes saintes. — Suivent les répliques de Jean XXII, Responsiones domini : 1° J’ai dit et prouvé que les âmes séparées ne voient pas l’essence divine face à face, visione faciali, et j’ai prouvé par les Pères qu’elles reposent sous l’humanité du Christ. 2° J’ai prouvé par de nombreux témoignages, empruntés à l’Ecriture et aux Pères, que toute vision dans les âmes saintes est abstractive, specularem. 3° J’ai dit et prouvé que dans cette sorte de connaissance on ne voit pas la divinité de cette vision que l’Apôtre appelle faciale. 4° J’ai dit qu’avant le jour du jugement l'àme ne reçoit pas la récompense qui constitue la vie éternelle, non prsemiatur prsemio illo quod est seterna vita ; qu’en tout le reste elle ne soit pas récompensée, je ne l’ai point dit, j’ai même affirmé nettement et prouvé le contraire. 5° Il est vrai que la béatitude qui consiste dans la vision intuitive ne peut pas être plus parfaite dans l'âme après la résurrection du corps, puisque auparavant l'âme ne jouit pas de cette béatitude, mais seulement de celle qui vient de la connaissance abstractive, capable assurément d’augmentation et de diminution. 6° La prière en question semble bien supposer ce que j’ai avancé, puisque, d’après sa teneur, les âmes appartiennent à l'Église militante jusqu’au jour du jugement.

III. Développement de la controverse ; Jean XXII et l’université de Paris. — Les sermons d’Avignon ne passèrent pas inaperçus ; beaucoup s’en émurent et s’en scandalisèrent, <juod midlos scandalizaverat, dit le continuateur de la Clironique de Guillaume de Nangis, à l’année 1333. Dom d’Achery, Spicilegium, in-fol., Paris, 1723, t. iii, p. 96. Le pape n’ignorait pas l’effet produit, on le voit par cette pbrase de son discours du 2 février 1332 : « Il en est qui murmurent de ce que nous tenons cette opinion, je le sais bien ; mais je ne puis pas faire autrement, et ego dico quod non possum aliter facere. » Nicolas le Mineur, op. cit., fol. 304. Il avait dit auparavant, dans son troisième sermon : « On prétend, il est vrai, que cette opinion est nouvelle et qu’il faut l’abandonner. Aussi voulons-nous montrer « que cette opinion n’est pas nouvelle. » Ibid., fol. 255. C’est dans le même dessein qu’il composa, en 1333, un petit traité, HUellum, commençant ainsi : Queritur ittrum anime sanctorum ab omnibus peccatis purgate videant divinam essenliatn. Il parle plusieurs fois de ce travail dans sa correspondance et demande, soit à l’archevêque de Rouen, Pierre Roger, plus tard Clément VI, soit au franciscain Gautier de Dijon, confesseur de la reine, de

faire connaître et d’expliquer ses raisons et ses autorités au roi et à la reine de France. Deniile, Cltartularium, n. 974, 976, 978, 979. Si l’on en croit Villani, op. cit., 1. X, c. ccxxviii, ceux qui lui apportaient des nouveaux textes en faveur de son opinion, recevaient en récompense quelque bénéfice, li faceva gratta d’alcuno bencficio. Les camps se tranchèrent, et si le pape rallia à sa cause le général des franciscains, Gérard Eudes, avec un certain nombre de ses religieux, il eut contre lui tout l’ordre des frères prêcheurs. Diverses circonstances donnèrent bientôt à la controverse un grand retentissement.

Le dimanche 3 janvier de l’an 1333, en l’octave de la Saint-Jean, un dominicain anglais, Thomas Walleis, prêcha devant le clergé dans l'église de son ordre à Avignon. Après une attaque voilée contre les franciscains au sujet de leurs théories sur la pauvreté religieuse, il affirma fortement la doctrine de la vision béatifique immédiate et réfuta huit arguments apportés en faveur de l’opinion contraire, en y joignant la preuve que Jean XXII prétendait tirer du Mémento des morts. A la fin de son discours, faisant allusion à ceux qui se ralliaient à l’opinion du pape pour les avantages temporels qu’ils en espéraient, il exprima ce souhait oratoire : « Que l’excommunication et la malédiction de Dieu descendent sur la tête de celui qui, mû par. un tel motif, nie la vérité qu’il croit ! » Manuscrit de Cambridge, fol. 52 b. Imprécation qui, dans la pensée de l’orateur, ne se rapportait nullement au pape, mais constituait une sorte de riposte contre le franciscain qui avait prêché auparavant. Voir, en les confrontant, ces deux ouvrages : Quétif et Echard, Scriplores ordinis prsedicatorum, in-fol., Paris, 1719, t. i, p. 599 sq. ; Denifle, Chartularium, p. 415 sq. Six jours après, sur l’ordre de l’inquisiteur d’Avignon, Guillaume de Monte Rotondo, franciscain, Thomas Walleis fut arrêté et jeté en prison, où il subit, au début, un rude traitement. Cette arrestation fit grand bruit, car on l’attribua de tous côtés à l’attaque du prédicateur dominicain contre l’opinion du pape. Le roi de France, Philippe de Valois, en écrivit à Jean XXII ; mais celui-ci répondit, le 28 février, que Thomas Walleis n'était pas inculpé pour avoir attribué la vision béatifique aux âmes des saints, mais pour avoir avancé dans son discours plusieurs propositions erronées ou suspectes d’hérésie. En même temps, le pape écrivait à la reine de France, Jeanne de Rourgogne, pour la mettre en garde contre les rapports malveillants. Denifle, loc. cit., pour ces deux lettres et plusieurs autres relatives au même objet. Les actes du procès institué contre le prédicateur dominicain se trouvent dans le manuscrit de Cambridge, fol. 53 1 ' ; ils justifient l’affirmation de Jean XXII. Thomas Walleis est accusé d’avoir avancé ou détendu ces propositions : la résurrection et le jugement se font en un seul et même instant, in eodem instant i temporis ; les corps ressuscites doivent leur gloire au rejaillissement de la béatitude de l'âme ; la vision de Dieu et la béatitude correspondante sont la fin naturelle de l'âme ; sans la vision intuitive les âmes des saints seraient dans un repos violent ; à proprement parler, ce n’est pas saint Pierre, mais son âme qui sera au ciel ; l'âme de sainte Lucie voit Dieu aussi clairement et aussi parfaitement que l'âme du Christ. L’inculpé composa dans sa prison une sorte de lettre ou petit traité De instanlibus etmomentis, où il essayait d’expliquer plusieurs de ces assertions ; mais cette apologie devint l’occasion de nouveaux griefs. Parmi les juges, le cardinal Jacques Fournier tenait le premier rang ; le procès fut long, et Thomas Walleis n'était pas encore sorti de prison en 1338, alors que Denoit XII avait solennellement réprouvé l’opinion du délai de la vision béatifique. Deniile, op. cit., p. 416, 418, 424. D’où il suit que Thomas Walleis ne fut pas poursuivi pour le seul fait d’avoir prêché contre l’opi-.